Deuxième partie :
Les frontières entre l'entente et l'abus de
position dominante
Par rapport Leurs effets anticoncurrentiels :
L'article 81 du Traité CE, dispose
qu' « Sont incompatibles avec le marché commun et
interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions
d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont
susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour
objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la
concurrence à l'intérieur du marché commun... »,
Tandis que l'article 81 du Traité CE stipule à l'alinéa 1
qu' « Est incompatible avec le marché commun et interdit,
dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible
d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises
d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché
commun ou dans une partie substantielle de celui-ci... ».
L'interdiction des ententes et celle des pratiques abusives
dans l'exploitation d'une position dominante ont toutes deux pour objectif de
maintenir l'existence d'une concurrence effective dans le marché commun.
Elles sont en outre complémentaires, puisqu'à la prohibition de
l'article 81 CE relative à la coopération restrictive de
concurrence entre entreprises, l'article 82 CE ajoute celle des pratiques
unilatérales d'une ou plusieurs entreprises. Cette
complémentarité est d'ailleurs renforcée d'une part par le
fait que les deux dispositions peuvent être invoquées de concert,
parallèlement, dés lors que la situation litigieuse remplit les
conditions d'application propres à chacune d'elles. Elle l'est aussi
d'autre part dans la mesure où la quasi concordance des exemples
prohibés par les deux textes rend inconcevable l'exemption d'une entente
lorsqu'elle est susceptible de donner à ses membres la
possibilité d'abuser d'une position dominante, voir même seulement
de la conquérir ou de la renforcer (27).
(27)-Rapport de la commission
sur « l'application des article 81CE et 83CE par les
juridictions nationales des Etats membres », p.92
L'ensemble de la problématique est traité dans
cette partie en trois temps ; le premier expose le principe relatif
d'interdiction des ententes, le second celle d'appréciation de la
position dominante, et le troisième examine les rapports entre les
articles 81CE et 82CE
I- Le principe relatif d'interdiction des
ententes :
Sont incompatibles avec le marché commun et interdits
tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations
d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles
d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour
effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence
à l'intérieur du marché commun, et notamment ceux qui
consistent à:
a)
|
|
fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou
de vente ou d'autres conditions de transaction;
|
b)
|
|
limiter ou contrôler la production, les
débouchés, le développement technique ou les
investissements;
|
c)
|
|
répartir les marchés ou les sources
d'approvisionnement;
|
d)
|
|
appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux,
des conditions inégales à des prestations équivalentes en
leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence;
|
e)
|
|
subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par
les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou
selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces
contrats.
|
2. Les accords ou décisions interdits en vertu
du présent article sont nuls de plein droit.
3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1
peuvent être déclarées inapplicables:
-
|
|
à tout accord ou catégorie d'accords entre
entreprises,
|
-
|
|
à toute décision ou catégorie de
décisions d'associations d'entreprises,
et
|
-
|
|
à toute pratique concertée ou catégorie de
pratiques concertées
|
Qui contribuent à améliorer la production ou la
distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou
économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie
équitable du profit qui en résulte, et sans:
a)
|
|
imposer aux entreprises intéressées des
restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs;
|
b)
|
|
donner à des entreprises la possibilité, pour une
partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la
concurrence.
|
Ce texte constitue à l'évidence, un ensemble
fort complexe dont la mise en oeuvre s'est révélée
délicate. Ainsi que la cour de la justice l'a
constaté, « la rédaction de l'article 81 du
Traité est caractérisé par la formulation d'une
règle d'interdiction, et ses effets (A),
tempérée par l'exercice d'un pouvoir de
dérogation à cette règle
(B) » (28).
A- Entraves concertées à la
concurrence :
La concurrence, à laquelle se référent
aussi bien l'article 3, point g, que l'article 81 du Traité CE implique
que toute entreprises détermine et exécute sa propre
stratégie de manière autonome. Il en résulte que toute
concertation entre entreprises risque d'apparaître comme une anomalie,
alors même que les concurrents ne peuvent jamais totalement s'ignorer.
Ces exigences ont été clairement formulées par la cour de
justice par un motif qui dépasse les limites de l'espèce,
« S'il est loisible à tout producteur de modifier librement
ses prix et de le tenir compte à cet effet du comportement actuel ou
prévisible de ses concurrents, il est, en revanche, contraire aux
règles de concurrence du Traité qu'un producteur coopère
avec ses concurrent, de quelque manière que ce soit, pour
déterminer une ligne d'action coordonnée relative à une
hausse de prix, et pour en assurer la réussite par l'élimination
préalable de toute incertitude quant au comportement réciproque
relatif aux éléments essentiels de cette action, tels que taux,
objet, date et lieu des hausses » (29). Il
convient donc de déterminer, d'abord, quelles entraves à
la concurrence sont interdites par l'article 81, paragraphe1 (1),
puis les évaluées (2).
(28)-CJCE, 9 juill.1969,
Portelange, Rec. CJCE, p.309
(29)-CJCE, 14 juill.1972,
Matières colorantes, Rec. CJCE, p.851
1- Détermination de
l'entrave :
Dans la mesure où les agissements
anticoncurrentiels font encourir des sanctions à leurs auteurs, ceux-ci
ne cherchent pas délibérément à les mettre en
valeur. Aussi convient-il d'abord d'identifier les éventuelles
restrictions contractuelles de concurrence (a), puis de
déterminer leur localisation exacte (b).
a- Identification de
l'entrave :
L'article 81, paragraphe1, du
Traité vise uniquement les accords, décisions d'association
d'entreprises ou pratiques concertées qui « ont pour objet ou
pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser la
concurrence ». En vue de unifier les interprétations dues
à la diversité des versions linguistiques du Traité, la
cour de justice adopte une interprétation unique depuis son arrêt
du 17 juillet 1997, Ferrière Nord (30). Cette
condition, énoncée par l'article précité, est de
caractère alternatif. Il importe donc de considérer
successivement les notions d'objet puis d'effet restrictif
(á), puis de présenter les différents types
d'entraves visées par ce texte (â).
á - objet
et effet anticoncurrentiel :
L'objet d'un accord, au sens de l'article 81 du
Traité, se détermine à partir des termes adoptés
par les cocontractants et leur éventuelle interprétation ainsi
que les conséquences vraisemblables de leur application. L'objet
résulte souvent de la combinaison de plusieurs clauses d'un même
contrat. Ainsi, « par sa nature même, une clause
d'interdiction d'exportation constitue une restriction de concurrence qu'elle
soit adoptée à l'initiative du fournisseur ou du client,
l'objectif sur lequel sont tombés d'accord les contractants est d'isoler
une partie du marché » (31).
(30)-CJCE, 17 juill.1995,
Ferrière Nord, Rec. CJCE, p.4411
(31)-TPICE, 14 juill1994, Parker,
II, p. 549
Concernant la fixation directe des prix ou des condition de
vente, il s'agit de toutes les restrictions apportées à
l'autonomie dont dispose l'entreprise pour fixer elle-même ses prix et
ses conditions de vente. Tel est le cas d'un système de réunions
périodiques et la collusion permanente des producteurs qui tend à
réguler les tonnages vendus et à faire monter les prix
(32). S'agissant de l'effet restrictif du comportement
délictueux devra, cependant être évalué lorsqu'il
s'agira d'apprécier la gravité de l'infraction en vue de fixer
éventuellement le montant de la sanction encourue (33).
En revanche, le fait que la clause ou l'accord restrictif par son
objet n'ait pas été appliqué, ou ne l'ait pas
été que partiellement, ne fait pas disparaître l'infraction
de l'article 81 TCE (34), l'effet restrictif de concurrence
d'une clause ou d'un accord se produit dans un contexte économique et
juridique donné. La restriction peut résulter d'une simple clause
ou de la conjonction de diverses clauses. L'échange des informations
entre entreprises sur un marché dont l'offre présent un
caractère atomisé ne constitue pas en principe une entrave
interdite par l'article 81, alors que la même pratique commise dans un
marché oligopolistique est vraisemblablement délictueuse
(35).
â -
Différents types d'ententes :
La distinction classique est
établie entre les accords verticaux et les accords horizontaux. Son
utilité est certaine car leurs effets sont bien différents, si
les premiers sont souvent tenus pour plus dangereux que les seconds, tous sont
susceptible de tomber dans le champ d'application de l'article 81, paragraphe1.
De plus, les accords verticaux peuvent provoquer à la fois des entraves
verticales et des entraves horizontales. Tel est le cas du système de
distribution, établi par un producteur de balles de tennis qui instaure
une protection territoriale absolue (36).
(32)-Comm. 27 juill.1994, JOCE,
n° L239/4
(33)-CJCE, 39 janv. 1985, BNIC,
Rec. CJCE, p.391
(34)-Comm. 30 Oct.1996, Compagnies
de Ferries, JOCE, n° L26/24
(35)-TPICE, 27 Oct. 1994, Fiatagri,
att. n° 132
(36)-Comm. 21 Déc. 1994,
Tretorn, JOCE, n° 378/45
L'examen d'une coalition au titre de l'article 81,
paragraphe1, exige que les diverses entraves à la concurrence soient
rigoureusement distinguées les unes des autres, l'entente produit une
restriction horizontale lorsqu'elle limite l'initiative économique entre
ses membres qui sont situés au même stade du processus
économique (37), tandis que l'entente verticale
réduit des coalisé qui exercent leur activités à
différents échelons du marché (38).
S'agissant les entraves internes et les entraves externes, la
coopération produit une entrave interne qui se manifeste par une
réduction de la compétition entre les ententes qui y participent
, l'entente peut laisser subsister une concurrence potentielle entre ses
membres qui ne peut être impunément restreinte
(39).
b- Localisation de
l'entrave :
Par une communication du 9
décembre 1997, la commission vient de présenter la
synthèse de la jurisprudence et la pratique administrative relative
à la définition du marché en cause
Il s'agit « d'identifier et de définir le
périmètre à l'intérieur duquel s'exerce la
concurrence entre entreprises » (40).le
marché de référence résulte d'une segmentation de
caractère économique, géographique et parfois
juridique.
á -
Délimitation économique du marché en
cause :
Selon la communication, précitée, du 9
décembre 1997 le marché « comprend tous les produits et
services que le consommateur considère comme interchangeable ou
substituable en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de
l'usage auquel ils sont destinés », la délimitation
économique du marché s'effectue essentiellement en fonction de la
substituabilité de la demande. Il s'agit de déterminer
l'éventail des produits ou services considérés comme
substituable par le consommateur.
(37)-Comm. 27 juill. 1994 :
JOCE, n° L 239/23
(38)-Comm. 24juill. 1992, Givenchy,
JOCE, n° L 236/11
(39)-Comm. 13 juill. 1983,
Rochwell-Iveco, n° 13, JOCE, n° L 224
(40)-JOCE, 9 Déc. 1997,
n° C- 372/5
Le degré de l'interchangeabilité ne
présente qu'un caractère relatif : il peut en effet
s'accroître ou diminuer au point de disparaître lorsque le prix des
produits ou des services se modifie (41), La
substituabilité de l'offre peut aussi constituer un critère de
délimitation du marché de
référence, « lorsque les fournisseurs
réorienter leur production vers les produits en cause et les
commercialiser à court terme sans encourir aucun coût ni risque
supplémentaire » (42).
Pour les produits et services qui rentrent dans le champ
d'application du Traité CE, les éventuelles exceptions au
principe de la concurrence non faussée doivent être
formulées explicitement. La cour de justice a ainsi
précisé que « lorsque le Traité a entendu
soustraire certaines activités à l'application des règles,
de concurrence, il a prévu une dérogation expresse à cet
effet » (43).
â -
Délimitation géographique du marché en
cause :
Cet marché, d'après la communication du 9
décembre 1997, « comprend le territoire sur lequel les
entreprises concernées sont engagées dans l'offre de biens ou de
services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment
homogènes et qui peut être distingué des zones
géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de
concurrence y diffèrent de manière appréciable »
L'intérêt de la segmentation géographique
porte essentiellement sur la répartition des parts de marché
détenues par les membres de l'entente et par leurs concurrents ainsi que
le niveau des prix.Le marché géographique de
référence peut se limiter à un ou plusieurs marchés
nationaux lorsque leur originalité respective exige de les
considérer de façon distincte (44), le
marché de référence peut également correspondre
à l'ensemble du territoire communautaire. Exceptionnellement, la
commission élude la délimitation précise du marché
géographique (45).
(41)-CJCE, 21 juill. 1981,
Hasselblad, Rec.CJCE, p. 883
(42)-Communi. 9 Déc. 1997.
précitée
(43)-CJCE, 27 Janv. 1987,
Assuranco.Incendio, Rec. CJCE, p. 405
(44)-Comm. 5 juin 1996,
Fenex : JOCE, 20 juill. 1996, n° L 181/28
(45)-Comm. 18 déc. 1996,
Iridium : JOCE, 18 janv. 1997, n° L 16/87
è - Délimitation
juridique :
La législation nationale de chaque
Etat membre peut constituer une contrainte plus ou moins importante sur
certains marchés (46), sachant que la
réglementation communautaire et son évolution actuelle et
prévisible contribue à délimiter certains marchés.
En revanche l'utilisation de certains contrats peut également modifier
les conditions de concurrence sur un marché donné.
2- Evaluation de l'entrave :
L'évaluation de l'entrave
apportée à la concurrence par la coopération litigieuse
s'effectue en fonction de certain nombre de critères
(a), qui doivent être examinés par
référence au marché en cause (b).
a- Critères
d'évaluation de l'entrave à la
concurrence :
La cour de justice a ainsi
présenté les critères à partir desquels
s'apprécie la nocivité d'une coopération entre
ententes « Pour apprécier (...) si un accord doit
être considéré comme interdit en raison des
altération du jeu de la concurrence qui en sont l'objet ou l'effet, il y
a lieu d'examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où
il se produirait à défaut de l'accord litigieux. A cet effet, il
y a lieu de prendre en considération notamment la nature et la
quantité limitée ou non de produits faisant l'objet de l'accord,
la position et l'importance des parties sur le marché des produits
concernés, la caractère isolé de l'accord litigieux ou, au
contraire, la place de celui-ci dans un ensemble d'accord »
(47).
L'évaluation de la coopération s'effectue donc
par référence au marché en cause, dont les
caractéristiques serviront de critères objectifs
d'appréciation.
(46)-CJCE, 29 Oct. 1980, Fedetab,
JOCE, n° L209/78
(47)- CJCE, 11 Déc. 1981,
L'Oréal, Rec. CJCE, n° 19
b- Caractéristiques essentielles
sur marché de référence :
La forme du marché constitue le premier
élément auquel se réfère la commission. Il n'est
pas inutile, en effet, de déterminer si le marché se
présente sous la forme d'un oligopole plus ou moins étroit
(48), l'importance des investissements, le degré de
l'intégration verticale, la diversification des implantations
géographiques constituent d'autres indices.
Les parts du marché détenues par les membres de
l'entente et par leurs concurrents sur le marché de
référence seront également pris en considération.
En revanche, le stade de l'évolution du marché constitue une
autre caractéristique essentielle. Il est en effet important de
déterminer s'il s'agit d'un marché nouveau dont l'entrée
exige des investissements importants qui peuvent se justifier par des
perspectives substantielles de développement ou sur un marché
déjà constitué en cours d'expansion
(49).
II- L'exception au principe d'interdiction de
l'entente :
Après avoir déclaré nulle de plein
droit, par le paragraphe2, la concertation entre ententes visées par le
paragraphe1, l'article 81 ajoute dans son paragraphe 3 que :
Toutefois, les dispositions du paragraphe 1
peuvent être déclarées inapplicables:
-
|
|
à tout accord ou catégorie d'accords entre
entreprises,
|
-
|
|
à toute décision ou catégorie de
décisions d'associations d'entreprises,
et
|
-
|
|
à toute pratique concertée ou catégorie de
pratiques concertées
|
Qui contribuent à améliorer la production ou la
distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou
économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie
équitable du profit qui en résulte, et sans:
(48)-Comm. 18 Mai 1994, Exon c/
Shell : JOCE, n°51
(49)-Comm. 13 juill.1994,
Carton : JOCE, n°31
a)
|
|
imposer aux entreprises intéressées des
restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs;
|
b)
|
|
donner à des entreprises la possibilité, pour une
partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la
concurrence.
|
Pour que l'exemption individuelle d'une entente puisse
être prononcée par la commission, deux conditions relatives
à son efficacité doivent être réunies. La commission
rappelle, en effet, qu'on ne saurait « parler d'une contribution
au progrès économique au sens de l'article 81, paragraphe3, du
Traité que dans le cas où exceptionnellement, la concurrence ne
permet pas d'aboutir au résultat économique le plus
favorable » (50), la coopération entre
ententes doit produire un avantage suffisant (A), qui sera
équitablement réparti (B).
A- Avantage suffisant :
L'entente ne peut être exemptée au titre de
l'article81, paragraphe3, du Traité que si elle présente une
utilité nette. Les inconvénients qu'elle provoque
inévitablement doivent, au moins, être compensés par les
avantages qu'elle doit procurer. Tant qu'un écart positif entre les
inconvénients provoquer par l'entente et son éventuelle
utilité économique n'a pas été établie,
l'examen des autres conditions énoncées par l'article 81,
paragraphe3, demeure inutile. Il convient donc d'établir, d'abord, que
l'amélioration apportée par les membres de l'entente est
inaccessible par le jeu de la concurrence tel qu'il se manifeste sur le
marché de référence. L'entente examinée doit
être susceptible de réaliser un tel avantage (1),
et de compenser les inconvénients qu'elle produit
(2)
1- Avantages accessibles par
l'entente :
En vertu de l'article 81, paragraphe3, pour que l'entente
soit exemptée, elle doit permettre d'obtenir des avantages substantiels
qui contribuent à un meilleur fonctionnement du marché
(a), ou à l'assainissement de celui-ci (b).
(50)-Comm. 15 Déc. 1975,
Bayer c/ Gist-Brocades: JOCE, n° L 30/13
a- Meilleur fonctionnement du
marché :
L'article 81, paragraphe3, exige de
façon explicite que la coopération entre ententes contribue
à l'amélioration de la production ou de la distribution des
produits, à la promotion du progrès technique ou
économique. Des effets, bénéfiques doivent être
obtenus, qu'il s'agisse de produits ou de services.
S'agissant le marché des produits,
l'entente peut d'abord aboutir à une amélioration de la
production par différents moyens, tels qu'une localisation plus
opportune de l'outil de production (51), ou une meilleur
utilisation des capacités de production (52), ou un
accroissement de la productivité par un allongement des
séries (53).
Sur le marché des services, la
coopération entre ententes peut également permettre
d'accéder à des avantages non négligeables. Le meilleur
fonctionnement du marché imputable à une entente est lié
aux caractéristiques propres de celui-ci. Dans le service
régulier des transports maritimes, le prix risque d'être une
donnée particulièrement volatile. En conséquence,
l'entente peut, sous certaines conditions, apporter une stabilité
économique justifiée, si la stabilité des prix permet
l'organisation de services « réguliers, fiables,
suffisants t efficaces » (54). Tel n'est pas le cas
lorsque la stabilité des prix constitue en réalité une
simple garantie protégeant tous les membres de l'entente, y compris les
moins efficaces, l'accord peut également porter sur le gel des
capacités excédentaires. Encore convient-il que cette entrave
soit indispensable pour améliorer la qualité des services offerts
aux changeurs et que la rationalisation recherchée conduise à une
diminution globale des coûts.
b- Assainissement du
marché :
La coopération entre ententes peut
également être utilisée en vue de l'assainissement d'un
marché en favorisant les restructurations et les diminutions de
capacité.
(51)-Comm. 23 Mars 1990, Mooshead
Whiterbread: JOCE, n° L376/1
(52)-Comm. 12 Févr. 1984,
Carlsberg: JOCE, n°L207/26
(53)-Comm. 5 Déc. 1983,
Vw-Man: JOCE, n° L376/11
(54)-Comm. 19 Oct. 1994, TAA: JOCE,
n°L376/2
Selon la commission, « Dans une
économie de marché, il revient en premier lieu aux entreprises
d'apprécier individuellement à quel moment leurs
surcapacités deviennent économiquement insupportables et de
prendre les mesures nécessaires à leur réduction.
Cependant à l'intérieur d'un secteur déterminé en
situation de crise, les circonstances économiques ne garantissent pas
nécessairement la réduction des capacités
excédentaires les moins rentables » (55).
2- Avantages imputés à
l'entente :
L'utilité effective de chaque
entente doit être fondée sur des données
prouvées (a), dont la portée exacte est
évaluée par la commission (b).
a- Preuve de l'avantage imputé à
l'entente :
Il incombe aux parties à
l'ententes de prouver l'existence d'avantages substantiels qui
sont « directement et strictement imputables à
l'entente » (56). Les avantages invoqués par
les coalisés pour justifier l'entente sont nécessairement
contrebalancés par des inconvénients qui ont été
déjà examinés au titre de l'article 81, paragraphe1, du
Traité CE. La preuve de ceux-ci est à la charge de la commission.
Ainsi dans la décision Van den Bergh, la commission a
admis que « s'il est incontestable que la méthode de
distribution actuellement utilisée par HB peut lui offrir certains
avantages en termes d'efficacité, à elle ainsi qu'à ses
détaillants, il faut souligner que les accords d'exclusivité
portent aussi atteinte à l'efficience des autres fournisseurs de
glace... » (57), la commission, quant à elle,
n'est pas tenue de proposer
D'autres solutions ou d'indiquer ce qu'elle
considérerait comme susceptible de justifier l'octroi d'une exemption
(58).
(56)-TPICE, 27 Févr. 1992,
Vichy, Rec. CJCE, II, p.415
(57)-Comm. 11 Mars 1998, Van Den
Bergh Foods: JOCE, n° 15
(58)-TPICE, 21 Févr. 1995,
SPO, aff. T-29/96
b- Evaluation de l'avantage
imputé à l'entente :
La commission exerce son pouvoir d'appréciation
sous le contrôle du tribunal de première instance et de la cour de
justice. Selon une jurisprudence constante de la cour, l'octroi ou le refus
d'une exemption individuelle au titre de l'article 81,
paragraphe3, « comporte nécessairement des
appréciations complexes en matière économique qui
incombent, à titre exclusif, à la commission
(59). Il s'agit, dans chaque espèce, de vérifier
si les inconvénients produits par l'entente sont contrebalancés
par les avantages qui lui sont imputables. L'ampleur de ces derniers sera
d'autant plus considérable qu'ils contribueront à réaliser
les objectifs déterminés par la commission, parmi lesquels figure
la mise en oeuvre de la politique de concurrence. Ainsi, à propos d'une
entente dans le secteur bancaire, la commission a admis que « la
coopération répondra (...) à l'objectif de la commission
de faire en sorte que les services offerts par le systèmes de paiement
transfrontaliers soient améliorés »
(60).
B- Avantage réparti :
L'article 81, paragraphe1, précise
que l'exemption individuelle ne peut être accordée par la
commission que si l'entente est effectivement utile, « tout en
réservant aux utilisateurs une part équitable du profit qui en
résulte ». La cour de justice a immédiatement
précisée, au sujet de l'efficacité de
l'entente, « que cette amélioration ne saurait être
identifiée a tous les avantages que les partenaires retirent de l'accord
quant à leur activité de production ou de
distribution » (61).
Il importe, en effet, de ne pas confondre «le souci
des intérêts spécifiques des partenaires avec les
améliorations objectives visées par le Traité ».
La commission a pour mission « d'apprécier aussi objectivement
que possible le projet qui lui est soumis, en faisant abstraction de toute
appréciation de l'opportunité de ce projet, par
référence à d'autres choix techniques possibles ou
économiquement variables » (62).
(59)-CJCE, 28 Févr. 1991,
Delimitis: Rec. CJCE, I, p.977
(60)-Comm. 24 juin 1996, BNP c/
Dresdner Bank, n°18: JOCE, n° L188/37
(61)-CJCE, 13 juill. 1966,
Grunding: Rec. CJCE, n°10
(62)-TPICE, 15 juill. 1994, Matra
Hachette SA : JOCE, n°15
III- L'appréciation de situation de
domination :
L'infraction contenue à l'article 82 du
Traité CE est révélatrice de la volonté de ses
rédacteurs de tenir compte des rigidités qui tiennent à
structure des marchés. Ce n'est en effet pas la seule la situation de
domination qui est interdit. La constatation de l'existence d'une position
dominante n'implique en soi aucun reproche à l'égard de
l'entreprise concernée. La domination est en elle-même licite, au
regard de l'article 82, même si elle ne laisse subsister qu'une
concurrence affaiblie ou résiduelle (63).
L'article 82 sanctionne uniquement l'exploitation
« abusive » de la position dominante, par rapport à
l'interdiction des ententes, celle qui vise les positions dominantes suppose
des appréciations plus « factuelle » et
plus « économique ». La notion de
« domination » sur un
« marché », se prêtent à
l'évidence à des discutions des lesquelles le raisonnement
purement juridique passe quelquefois au second plan.
S'agissant, les rapports entre les articles 81 et 82 du
Traité CE, on constate qu'il résulte de cette dualité, une
dualité d'infraction. Une pratique d'entreprises qui a
bénéficié d'une exemption individuelle ou
catégorielle peut fort bien être poursuivie et condamnée
sur le fondement de l'article 82 TCE. A l'inverse, et même si cet article
vise des comportements unilatéraux, il peut arriver qu'une entreprise
dominante induise aussi une entente restrictive, ou y participe.
En revanche, et contrairement à l'article 81 CE,
l'article 82CE ne prévoit aucune exemption individuelle ou
catégorielle. L'architecteur du texte est ici plus simple. Il est vrai
que la notion même d' « abus » est antinomique
à toute idée de contribution au progrès économique.
Cela étant, le principe d'appréciation in concreto, que l'on
trouve ici aussi, permet de considérer dans certains cas que ne sont pas
abusifs des comportements qui répondraient à certains objectifs
légitimes, alors qu'ils le sauraient dans un autre contexte
(64). Il convient donc dans un premier temps de
déterminer les critères de la position dominante
(A), puis on procédera à une analyse de
marché de référence (B).
(63)-Christian Gavalda,
Gilbert Parleani, Droit des affaires de U.E, Litec, p.317
(64)- Christian Gavalda,
Gilbert Parleani, Droit des affaires de U.E, Litec, p.318
A- Critères de la position
dominante :
L'indépendance de comportement,
caractéristique fondamentale de la position dominante ;
procède d'une situation de force de l'entreprise, cette situation
dérivant elle-même de la conjonction ou de la réunion de
différents facteurs qui chacun pris isolément, ne sauraient pas
nécessairement déterminants. C'est de leur combinaison que l'on
peut inférer la position dominante de l'entreprise sur un certain
marché. La position dominante suppose que l'entreprise concernée
se trouve dans une situation de puissance économique, ce qui revient
à dire qu'elle bénéficie d'un pouvoir de marché tel
qu'il lui permet de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur
le marché en cause et de rester indifférent aux réactions
des autres agents économiques.
En revanche, dans des situations dépourvues
d'ambiguïté, la part de marché détenu par
l'entreprise peut constituer un facteur prépondérant, très
souvent retenu, seul, par les autorités de contrôle. Selon la cour
de justice, « l'existence de parts de marché d'une grande
ampleur est hautement significative » (aff. Hoffmann-La Roche
préc.). Ainsi des parts très importantes, aboutissant à
une situation de monopole sur un marché, constituent par
elles-mêmes, en principe, la preuve de l'existence d'une position
dominante.
Les autorités communautaires se satisferont alors de
cette seule constatation pour conclure à l'existence d'une position
dominante.
B- Délimitation du marché de
référence :
La notion de marché n'est pas différente selon
qu'on applique l'article 81 ou l'article 82 du TCE. La communication de la
commission du 9 décembre 1997 sur la définition du marché
e cause aux fins du droit communautaire de la concurrence expose de
manière « transparente » la méthode
suivie par la commission.
La délimitation du marché est bien entendu une
question de fait. La charge de la preuve de l'existence et des limites du
marché incombe à la commission lorsqu'elle effectue l'instruction
d'un dossier.
Le critère principal est celui de la
substituabilité de la demande. Il s'agit de chercher s'il y a des
solutions de rechange raisonnable et perceptible par les utilisateurs, en
général, une variation légère et durable des prix,
afin de rechercher l'éventuel glissement de la demande. La
substituabilité n'est donc pas la possibilité théorique
pour les consommateurs ou utilisateurs finals de choisir un autre produit qui
assurerait en définitive leur satisfaction objective. La
substituabilité n'est pas non plus la possibilité non
perçue de contourner l'entreprise dominante, et son produit. La
substituabilité doit s'apprécier d'abord en considérant
les caractéristiques objectives d'un produit ou d'un service, et en
considérant ensuite les « besoins constants »
exprimés par les utilisateurs : le produit, ou le service, peut-il
se distinguer des autres et permettre la satisfaction de ces besoins constants
pour lesquels il serait particulièrement apte, ou perçu comme
tel ? Cela le rendrait alors peu substituable aux autres, ou peu
interchangeable, et il constituerait un marché.
La substituabilité de l'offre n'est retenue pour
délimiter le marché pertinent que dans la mesure où les
offres concurrentes pourront satisfaire rapidement la demande observée,
ou les besoins constants des consommateurs ou des utilisateurs. La
substituabilité de l'offre suppose donc ici une situation de concurrence
suffisamment directe et effective entre les produits du dominant, et ceux qui
sont substituable. La substituabilité de l'offre demeure
envisagée par rapport au comportement prévisible de la
clientèle considérée.
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