1.3) Modèle de régulation du catabolisme de la
proline chez la bactérie E. coli
Chez les organismes procaryotes (qui ne possèdent pas
d'organelles), la dégradation
de la proline en glutamate a lieu à la
périphérie de la membrane interne et met en jeu des
intermédiaires réactionnels identiques à ceux
décrits dans le paragraphe 1.1. Alors que chez
les eucaryotes la proline déshydrogénase
PRODH et la P5C déshydrogénase P5CDH sont encodées
par deux gènes différents, chez la bactérie, les deux
fonctions sont assurées par une seule protéine encodée
par le gène PutA, dont l'évolution
phylogénétique a conduit à la
séparation de ce gène en deux distincts (Figure
1.4).
H H
H COO-
N+ COO-
N+ COO-
NAD+ NADH
-O
3
NH +
O
proline P5C glutamate
PRODH
PutA
P5CDH
Eucaryotes
Procaryotes
Figure 1.4 : Evolution
phylogénétique du gène encodant les enzymes proline
déshydrogénase
PRODH et P5C déshydrogénase P5CDH. La
conversion intermédiaire spontanée et non enzymatique du P5C
en glutamate-ã-semialdéhyde n'est pas
représentée.
PutA (proline utilization) est une flavoenzyme
multifonctionnelle bactérienne qui
présente quatre types d'activités pour un seul
polypeptide : la fonction PRODH, la fonction P5CDH, la capacité à
lier l'ADN, et la capacité à fixer la membrane interne. Chez
E. coli, PutA est une protéine de 1320 acides aminés,
qui adopte une structure quaternaire dimérique
en solution, et qui contient un cofacteur FAD lié
de manière non covalente à chaque monomère (Brown
& Wood, 1992). Le domaine PRODH oxyde la proline en P5C et catalyse
le transfert de 2 électrons du substrat proline
vers son cofacteur flavine (Surber & Maloy,
1999). L'association de PutA à la membrane permet alors
de transférer ces 2 électrons à un accepteur de la
chaîne respiratoire, ce qui régénère la forme
oxydée du FAD. Après linéarisation spontanée
du P5C, le domaine P5CDH catalyse l'oxydation de glutamate-ã-
semialdéhyde en glutamate par un mécanisme NAD-dépendant
(Figure 1.5).
H H
N+ COO-
FAD FADH2
H
N+ COO-
NAD+ NADH
-O
COO-
+
NH3
O
proline P5C glutamate
Figure 1.5 : Mécanismes de
dégradation de la proline en glutamate par la protéine PutA
de
la bactérie E. coli. L'étape
intermédiaire non enzymatique n'est pas
représentée.
PutA est également un répresseur de
transcription de la région inter-génique put. Cette
région comporte le gène PutA, ainsi que le
gène PutP qui encode une perméase dont la
fonction est d'assurer l'entrée et le transport de la proline dans la
cellule (Chen et al., 1985). L'expression des gènes put
dépend de la biodisponibilité de la proline dans la cellule
et de la localisation intracellulaire de PutA. En absence de proline, la
protéine PutA est localisée dans
le cytoplasme et inhibe la transcription des gènes
PutA et PutP en fixant la région promotrice
du régulon Put (Ostrovsky De Spicer et
al., 1991). En présence de proline, PutA rejoint la membrane, ce
qui lève l'inhibition de la transcription des gènes put
et déclenche le processus d'oxydation de la proline par le domaine
PRODH (Wood, 1987 ; Surber & Maloy, 1999).
La proline réduisant le cofacteur FAD, il est
proposé que l'état d'oxydation du FAD soit
l'élément clé qui gouverne la localisation
cellulaire de PutA, et par conséquent sa fonction
(répresseur de transcription ou déshydrogénase). En
effet, il a été montré que la
forme réduite FADH2 est primordiale pour
la liaison de PutA à la membrane (Wood, 1987).
Surber et Maloy ont confirmé cette
hypothèse en démontrant que la réoxydation du cofacteur
FADH2 conduisait à la rupture de cette liaison (Surber & Maloy,
1999). En revanche, d'autres études ont mis en évidence que
la liaison à l'ADN dépend peu de l'état
d'oxydation du cofacteur (Ostrovsky & Maloy, 1995 ; Becker & Thomas,
2001). Sur la base de ces données,
il apparaît donc que la localisation intracellulaire et la
fonction de PutA sont intimement liées
à des modifications d'affinité de liaison
de PutA à la membrane. Des études de digestion
chymotripsique suivie sur gel SDS-PAGE ont été
réalisées dans l'optique de caractériser la nature de ces
modifications. Les travaux de Brown et Wood montrent que la
protéine PutA présente des susceptibilités aux
protéases différentes selon la présence ou l'absence de
proline (Brown & Wood, 1992). Ceci indique que la réduction
du FAD par la proline induit une modification structurale
significative de la protéine. Ces résultats ont
été récemment confirmés par une étude
similaire, réalisée sur un échantillon de protéine
recombinante PutA purifiée, qui suggère que les changements
d'état d'oxydation du FAD sont capables de provoquer des
changements de conformation au-delà du domaine catalytique PRODH (Zhu
& Becker, 2003). L'ensemble de ces données permet de proposer un
modèle fonctionnel de la régulation du catabolisme de la proline
chez les procaryotes où le cofacteur flavinique joue un rôle
central (Figure 1.6).
2 e
FADH2
PutA
P5C
FADH2
PutA
PutP
proline
PutP
PutP
proline
FAD
PutA
FAD
PutA
PutP
put
PutA
Figure 1.6 : Modèle de
régulation du catabolisme de la proline chez E. coli par la
protéine
PutA. La protéine de transport PutP permet
l'entrée de la proline dans le cytosol de la bactérie. En
absence de proline, la protéine PutA fixe le régulon put et
inhibe la transcription des gènes PutP et PutA. La dégradation de
la proline en P5C par PutA s'accompagne d'une réduction du cofacteur
FAD en FADH2. Ce changement d'état d'oxydation du
cofacteur
induit une modification structurale de PutA qui
conduit d'une part, à un repliement plus
favorable à la liaison de PutA à la
membrane interne, et d'autre part, à la rupture de la liaison
au régulon put. Cette rupture lève l'inhibition de la
transcription des gènes PutP et PutA. Les 2 électrons provenant
de l'oxydation de la proline sont transférés à un
accepteur de
la chaîne respiratoire après fixation de PutA
à la membrane.
La caractérisation du cofacteur flavinique chez
E. coli supporte l'hypothèse de l'existence d'un
cofacteur FAD ou FMN chez les organismes eucaryotes. Cependant, le
modèle de régulation du catabolisme de la proline par PutA ne
peut être transposé chez les eucaryotes où la
présence de PRODH dans la matrice mitochondriale ne permet pas
une
régulation de son propre gène situé dans le
noyau.
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