Paragraphe 2 : Les implications de la théorie sur la
notion de la guerre préventive
Plusieurs raisons nous autorisent à penser que
la théorie de l'état de nature tend à soutenir la
licéité de la guerre préventive : c'est ce que nous
appelons implications positives (A). Mais compte tenu des
limites propres à la doctrine de l'état de nature, la
reconnaissance
de la guerre préventive peut s'avérer
être une chose difficile : ce sont les implications
négatives (B).
A- Les implications positives
Nous partons du principe selon lequel le seul droit qui
règne dans la société
internationale n'est que le droit de nature qui assure aux
Etats la liberté d'user comme ils le veulent et selon leurs propres
jugements de tous les moyens adaptés pour assurer leur
sécurité. S'inspirant de ce principe, si l'Etat le juge important
pour sa survie, la guerre n'est donc qu'un moyen parmi tant d'autres.
Même une guerre d'agression ne serait pas interdite si elle était
destinée à cette fin. Il en est de même pour la guerre
préventive. Cela parce que rien
ne peut être injuste dans les relations internationales,
que ce soit l'agression ou la défense vis-
à-vis de l'agression. Il est alors sans
intérêt de savoir si la guerre préventive est une
agression
1 Spinoza. Traité politique.
Publié en 1677. CHP III (Cité par Marcel Merle. Sociologie
des Relations internationales. 3ème
édition. Paris : Dalloz, 1982, p. 45)
2 Revue française de science politique.
Qu'est-ce qu'une théorie des relations internationales ?
Octobre 1967 (Cité par de
Marcel Merle. Op cit, p.47)
ou une légitime défense, donc si elle est juste ou
injuste. Il n'y a qu'une seule réponse. Elle
est juste, légitime et légale tout simplement
parce que toutes les guerres sont légales dans l'état de
nature.
Pourquoi alors distinguer une guerre préventive d'une
autre guerre s'il en est ainsi ?
De toute façon, cette distinction ne doit pas avoir pour
but de légaliser l'une des formes de guerre au détriment de
l'autre, car toutes sont justes.
En outre, la fin justifiant les moyens,
considérer la guerre préventive comme un moyen d'atteindre
le but qui est celui de se défendre contre un futur agresseur, est tout
à fait justifié. L'essentiel c'est que l'Etat qui se
défend ait opté pour cela comme étant un moyen de
défense.
C'est toujours dans la même optique que Spinoza
affirmait que « si un Etat veut déclarer la guerre à
un autre pour l'assujettir, il peut l'entreprendre à bon droit
». Le seul droit qui importe en ce moment est la volonté de
l'Etat qui veut déclencher la guerre. Si cette volonté opte
pour la guerre préventive, cette dernière devient alors
pleinement légale. Car, comme Raymond Aron eut à le
dire, ce qui constitue la spécificité des relations
internationales, est « la légitimité et la
légalité du recours à la force armée. »
Si on s'en réfère
à cette conception d'Aron, la GP étant un type de
recours armé parmi tant d'autres, elle se trouve de ce fait
légale.
Pour appuyer l'ensemble de ce raisonnement en
faveur de la guerre et plus précisément en faveur de
la guerre préventive, Montesquieu défendra de
manière très éloquente que : « entre les
sociétés le droit de la défense naturelle
entraîne quelquefois la nécessité d'attaquer, lorsqu'un
peuple voit qu'une plus longue paix en mettrait un autre en état de le
détruire, et que l'attaque est dans ce moment le seul moyen
d'empêcher cette destruction. » La portée d'une
telle pensée à l'égard de la guerre
préventive n'est plus à démontrer. Lorsqu'une paix trop
durable a des risques assez élevés d'offrir l'opportunité
à un
Etat ennemi de se préparer contre soi1,
l'idée de défense impliquerait donc nécessairement
d'anticiper sur l'acte d'agression en rompant la paix en premier.
L'idée principale qui germe
de cette affirmation de Montesquieu est donc qu'en vertu
de la légitime défense, un Etat puisse rompre la paix sans
avoir à attendre de subir la destruction qui voulait lui être
infligée
par ses adversaires.
1 Le soi représente l'Etat contre lequel une
agression se prépare
D'une manière générale nous
devons reconnaître la pertinence de tous ces
développements philosophiques qui tendent à
reconnaître la valeur légale1 de la guerre
préventive. Mais ces points de vue restent purement philosophiques et
pour ce faire, au regard
des reproches qu'ils encourent, on peut réfuter sur cette
base la valeur qu'ils octroient à la notion de GP.
B- Les implications
négatives
Peuvent être reprochés à la notion
d'état de nature, d'une part son abstraction et
d'autre part, son caractère caricatural.
Elle est abstraite en ce sens qu'elle n'est qu'un postulat,
c'est-à-dire une hypothèse qui
ne peut être démontrée (mais qui est
seulement nécessaire pour établir une démonstration).
Pour cette raison, ses partisans n'ont jamais daigné se
référer à une situation historique concrète
où l'homme était réellement à l'état
de nature et à fortiori, dans le milieu international. Certes, la
notion, entendue comme un postulat, permet évidemment d'expliquer bon
nombre de comportements interétatiques. Mais il n'en demeure pas
moins qu'elle est purement philosophique et explicative : d'où
son abstraction. Ainsi, ne rend t-elle pas suffisamment compte de
l'ensemble des phénomènes internationaux jusqu'au point de
démontrer une légalité éventuelle de la
guerre préventive. Même en admettant que cette
théorie pourrait situer la valeur juridique de la guerre
préventive, elle se fonde sur une vision trop caricaturale de la
société internationale pour le faire.
Elle se fonde sur une vision caricaturale en ce sens
qu'elle opère une distinction arbitraire entre la nature de la
politique intérieure et celle de la politique extérieure ;
c'est-à- dire une opposition radicale entre l'ordre interne et le
désordre international. Il est vrai que sur
la scène internationale, le recours à la force
semblait être plus privilégiée jusqu'à une
époque donnée2 et même jusqu'à
présent, alors que dans l'ordre interne il est monopolisé
par la
puissance publique. Mais cette vision des choses demeure
partielle et très formelle. « Elle
1 Comme nous avons déjà eu à le
dire dans les pages précédentes, il ne s'agit pas d'une
légalité au sens formel mais plutôt au sens large, si non
au sens très large.
2A titre d'exemple nous pouvons citer
l'expédition maritime que l'Allemagne, l'Italie et la
Grande-Bretagne avaient organisée contre le Venezuela pour
contraindre celui-ci à honorer ses obligations contractuelles envers
eux. C'est d'ailleurs
en réponse à ce type d'emploi de la force que la
Convention Drago-Porter a été signée en 1907.
introduit une différence de nature là
où il n'y a plus, au moins actuellement, qu'une différence
de degré entre les deux types de sociétés.
»1
Cette différence de degré suppose que sur la
scène internationale, tout n'est pas aussi désordonné
comme il est prétendu dans la théorie de l'état de nature.
Certes on n'en n'est pas encore arrivé au stade d'organisation qui
prévaut dans l'ordre interne, mais une certaine organisation en
vue de limiter le désordre existe déjà. Nous pourrions
donner l'exemple de la création tout d'abord de la SDN et ensuite de
l'ONU. Ainsi, tout en reconnaissant qu'il n'y a
pas encore un ordre complet sur la scène
internationale, nous sommes néanmoins en mesure d'infirmer le concept
selon lequel il n'y a que du désordre dans ce système.
Or c'est ce dernier concept qui justifiait la légalité absolue
de tous les types de recours à la force. Une fois qu'il trouve ses
limites, il est normal que toutes les argumentations qui se sont basées
sur
lui soient, à leur tour, remises en cause dans un premier
temps (à tort ou à raison)2. Ainsi, il ne
sera plus opportun d'affirmer de manière
systématique, que le recours à la force dans les
relations internationales est une chose légale et légitime
et que par conséquent la guerre préventive l'est aussi. La
proportion d'une telle affirmation doit être très mesurée
désormais à défaut d'être systématiquement
rejetée.
Aux vues de toutes ces limites que nous venons
d'énumérer, soutenir sans distinction que la guerre
préventive est légale, serait trop simpliste et trop complaisant.
Mais en somme il faudra retenir que la tendance de la doctrine de l'état
de nature va largement en faveur de ce concept.
Une fois la position doctrinale étudiée, il sera
aussi utile de montrer celle de la norme qui est une autre source
incontournable du droit.
1 Marcel Merle. Op. cit, p. 54
2 A tort ou à raison car certaines
argumentations peuvent se baser dans le même temps sur d'autres concepts
justes et de ce
fait ne pas s'avérer forcément fausses à
l'image du concept de désordre international.
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