Section 2 : La doctrine de l'état de nature
Selon cette théorie le milieu international n'a pas
encore atteint le stade de société. Il demeure à
l'état sauvage où seule la loi de la jungle règne, et les
Etats y sont libres de faire la guerre comme ils l'entendent. Dans un
premier temps, nous ferons l'exposé de la théorie
(paragraphe1). Ensuite nous déboucherons sur les
implications de ladite théorie sur la notion
de guerre préventive (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Exposé de la théorie
Cette théorie a certes connu son véritable
essor1 avec le philosophe anglais Thomas
Hobbes, notamment dans son célèbre ouvrage Le
Léviathan paru en 1651 (A). Mais en dehors
de lui, plusieurs autres ont aussi soutenu cette argumentation
(B).
A- La pensée de Thomas Hobbes
Pour expliquer l'état de nature, Thomas Hobbes est
parti du concept selon lequel
l'homme est naturellement porté à se quereller
avec ses semblables, soit pour la recherche du profit, soit pour la
défense de sa sécurité, soit pour la gloire. Il estime que
le seul droit qui puisse exister dans ces conditions est le droit de nature.
Il définit à ce titre le droit de nature comme « la
liberté qu'a chacun d'user comme il le veut de son pouvoir
propre pour la préservation de sa propre vie et en conséquence
de faire tout ce qu'il considèrera, selon son jugement et sa raison,
comme le moyen le mieux adapté à cette fin
»2. Ainsi selon lui, à l'état
de nature, un homme ne peut pas se dessaisir du droit
naturel de défense dont il dispose
puisqu'il n'a pas la garantie qu'en échange de
l'abandon de ce droit, sa sécurité lui serait
assurée : car il n'y a pas un Léviathan3
à qui confier le pouvoir de sécurité dans
l'état de
nature.
1 « Véritable essor » et non
« naissance » parce qu'avant Hobbes, des auteurs tels que
Machiavel avaient déjà brossé légèrement
la question sans toutefois la développer sous cet angle exact de
l'expression « état de nature ».
2 Thomas Hobbes.Le Léviathan.
In Dominique Colas. La pensée politique. Paris :
Larousse, 1992, p. 225
3 Le Léviathan est le prince à qui
les hommes auront confié leur droit de défense naturelle afin que
celui-ci le leur assure. Dans la société internationale,
l'équivalent du Léviathan serait un gouvernement mondial s'il y
en avait. Mais dans l'ordre interne, le Léviathan demeure
l'autorité étatique.
Mais depuis lors, l'état de nature a pu laisser place
à l'état de société à l'intérieur des
Etats1, confiant ainsi la sécurité à un
pouvoir commun au dessus de tous.Cependant, il subsiste
intégralement dans les rapports internationaux. De manière
schématique, nous obtenons de ce fait une opposition radicale
entre l'ordre interne et l'ordre international. Le premier incarne
l'état de société et le second, l'état de
nature. De ces considérations, nous aboutissons au point crucial de
la pensée de Hobbes qui fait une description assez
particulière
des relations interétatiques.
Conformément aux exigences de l'état de
nature, Hobbes soutient que les relations internationales ne sont
dès lors qu'un champ où la violence règne
encore entre les Républiques. Rien ne peut alors être
injuste : « les notions de légitime et
d'illégitime, de justice et d'injustice n'ont pas ici leur place. La
où il n'est pas de pouvoir commun, il n'est pas de loi ; là
où il n'est pas de loi, il n'est pas d'injustice. La violence et la ruse
sont en temps de guerre les deux vertus cardinales
»2. Chaque entité souveraine a le droit de
se conduire comme elle l'entend.
Cette position a été aussi partagée par
d'autres théoriciens.
B- Les pensées des autres
auteurs
Dans son ouvrage célèbre Le Prince
(Publié en 1513), Nicolas Machiavel s'était déjà
montré comme un porte-flambeau de la nature
belliqueuse de la société internationale.
Présenté comme un apologiste de la force, il conseillait à
son élève dans cet ouvrage, de ne jamais ôter sa
pensée de l'exercice de la guerre. Ainsi pour Machiavel, «
seule la fin justifie
les moyens ». Si le Prince veut faire la guerre,
qu'il le fasse ; pourvu que les résultats qu'il escomptait atteindre
soient atteints efficacement. Des penseurs tels que Spinoza et Raymond Aron se
sont aussi penchés sur la question.
Pour Spinoza, « les hommes dans la condition
naturelle, sont ennemis les uns des autres ; ceux donc qui, ne
faisant point partie d'un même Etat, gardent l'un
vis-à-vis de
1 C'est d'ailleurs parce que l'état de nature
a cédé place à l'état de société
qu'on parle d'Etat. Car l'Etat représente l'intérêt
général. Or si les individus avaient gardé leur droit de
se rendre justice eux même, il n'y aurait pas d'intérêt
général et seul le
désordre serait maître. Parler d'Etat
équivaut donc à parler d'intérêt
général ; et qui parle d'intérêt
général parle de société.
En conclusion, reconnaître l'existence de l'Etat
entraîne d'ores et déjà qu'on admet la substitution de
l'état de société à l'état
de nature dans les rapports internes.
2Thomas Hobbes. Op cit, p. 225
l'autre les rapports de droit naturel, restent ennemis. C'est
pourquoi si un Etat veut déclarer
la guerre à un autre Etat pour l'assujettir, il peut
l'entreprendre à bon droit, puisque pour faire la guerre, il n'a besoin
que de le vouloir »1
Raymond Aron répondra d'une manière
particulière à cette question en affirmant ceci :
« j'ai cherché ce qui constituait la
spécificité des relations internationales ou
interétatiques et j'ai cru trouver ce trait spécifique dans la
légitimité et la légalité du recours à la
force armée
de la part des acteurs.»2
Cette affirmation, à l'image des
précédentes, en dit déjà suffisamment sur la
position
de ces auteurs par rapport à la guerre
préventive, même s'ils n'ont pas toujours spécifié
leurs réflexions autour de ce concept uniquement. Il nous
appartient dès cet instant, de faire ressortir toutes les
implications que peut avoir la théorie de l'état de nature sur la
valeur de la GP.
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