INTRODUCTION GENERALE
S'il est un phénomène économique à
la mode ces deux dernières décades dans tous les continents,
ce pourrait bien être la privatisation. En effet elle a connu
une acceptation mondiale, au point d'en convaincre même les plus
sceptiques. Barber Conable l'ancien directeur de la Banque Mondiale
trouvait d'ailleurs que l'une des caractéristiques les plus
remarquables de ces dernières années est le consensus
fait autour des forces du marché et l'efficacité
économique, comme étant le meilleur moyen d'aboutir à
un développement durable. C'est donc en toute logique que les flux
financiers générés par les cessions des entreprises
publiques sous forme d'offre publique d'achat ces vingt dernières
années s'élèvent à plus de 400 milliards de
dollars
( Megginson et Netter 1997 ).
L'internationalisation du phénomène étant un
fait, il faut cependant relever que
les raisons qui poussent les décideurs à choisir
cette option diffèrent selon que celle-ci s'opère dans un pays
développé ou non. Dans le premier cas, la privatisation
répond à une logique de vitalité, à un souci
d'impulser une nouvelle dynamique à l'économie ou encore
à une volonté des pouvoirs publics d'accroître
l'actionnariat populaire. Bref elle est une politique volontariste de la part
de ces gouvernements. Par contre dans les pays en voie de développement,
en général il est beaucoup plus question d'entrer dans
la mouvance du libéralisme, se pliant ainsi aux
exigences des bailleurs de fonds internationaux qui ne sont
disposés à n'aider que ceux qui désengagent l'Etat
du secteur productif.
Le Cameroun n'est pas épargné par ce vent.
Confronté à la fin de la décennie 80
à de graves difficultés
économiques1, il tente dans un premier temps de solutionner
le problème par un ajustement volontaire ( Gankou et Bondoma 2003).
Après l'échec de celui-ci, il entreprend un vaste programme de
privatisation qui, quoique imposé par les créanciers
internationaux vient tout de même sonner le glas d'une gestion
moribonde
des entreprises du portefeuille de l'Etat2.
1 En 1990 le rapport de la SNI sur les
performances des entreprises publiques camerounaises révèle
que 87
d'entre elles ont un déficit de plus de 33.6 milliards
FCFA et des Dettes à court terme de plus de 400 milliards
FCFA...
2 - La loi N° 90/004 du 22juin 1990 relative
à la privatisation des Entreprises publiques et parapubliques ;
- La loi N° 90/1423 du 03/10/90 portant privatisation de
certaines entreprises du secteur public et parapublic
La démarche relative à la définition de la
problématique de la présente
étude s'articule autour de deux points.
D'abord il sera question pour nous de mentionner sans entrer dans
les développements quelques fondements théoriques des
privatisations. Ensuite nous retracerons le parcours de la recherche empirique
sur cette thématique en soulignant les limites de chaque étape et
essayerons de nous situer dans
ce processus.
Il faut remonter en 1776 pour trouver les premiers
écrits officiels en faveur des forces du marché. En effet
à cette époque, la question fondamentale à laquelle il
fallait trouver une réponse était celle de savoir si oui ou non
l'Etat en tant que producteur assurait mieux que quiconque le bien être
des populations. En d'autres termes, serait-il avantageux pour le citoyen
de laisser la responsabilité à l'Etat de décider
sur la qualité, la quantité et le prix des biens et services
à produire ? Ou faudrait-il laisser agir les forces du marché ?
Adam Smith apporte une réponse à cette question à
travers
sa philosophie du « laisser faire ». Il
démontre dans « The wealth of Nations » que pour un
plus grand bien être commun, il est préférable de
limiter l'intervention de l'Etat dans l'économie, et de laisser les
mécanismes de marché jouer pleinement. Mill affirmera plus tard
que « le laissez faire en bref doit être la pratique
générale. Chaque manquement à cette règle,
à moins qu'il ne soit nécessaire pour un grand bien,
représente un certain mal ».
Les arguments en faveur de la privatisation se
dénombrent également sur un plan micro économique
avec les théories néoclassiques, particulièrement
dans leurs développements néoinstitutionnels (théorie des
droits de propriété, théorie des coûts de
transaction, théorie de l'agence). Toutes ces contributions se
prononcent en faveur d'une supériorité du système de
propriété privé.
Sur un plan purement empirique, le débat sur
l'accroissement de performance, induit par la privatisation comme le
prévoit la théorie, à toujours suscité une grande
controverse. En effet, les méthodes utilisées par les
différents auteurs pour filmer cette relation ont connu une
évolution dont le file conducteur est la recherche d'une
plus
grande visibilité.
On n'est parti des études faisant une comparaison
entre les entreprises privées
d'une part et les entreprises publiques d'autre
part3. Ces études ne portaient pas directement sur la
privatisation. Et aussi paradoxale que cela puisse paraître, un
très grand nombre d'études sur les privatisations se regroupent
dans cette vague4. Le fait
que celles-ci aboutissent à des résultats ambigus
décrédibilise cette méthode. En effet,
on ne saurait comparer des entreprises
différentes dans leurs objectifs, leurs tailles (petites,
moyennes, grandes), leurs contextes (monopole, concurrente). La critique
majeur ici à notre avis est que ces recherches comparent des
entreprises, et non pas le phénomène de la privatisation ou
mieux les effets du passage du public au privé.
A la lumière de ces critiques, on a évolué
vers des recherches étudiant l'impact
du transfert d'une entreprise du secteur privé
au secteur public. A ce niveau, si la comparaison des performances ex
ante et ex post5 est le dénominateur commun, il n'en demeure
pas moins vrai que de nombreux clivages persistent dans les
approches de comparaison. La performance d'une entreprise privatisée
peut être comparée respectivement avec sa propre performance avant
la privatisation, avec d'autres firmes
qui n'ont pas encore été
privatisées, avec la performance des entreprises
étrangères privatisées ou pas, etc.... Ici les
études de cas sont monnaie courante, ceci compte tenu de la
faible quantité de données disponibles pour envisager
des modèles économétriques. La méthode mise
sur pied par Megginson et al (1994) est particulièrement
intéressante et mérite d'être mentionnée.
En effet ces auteurs recensent une soixantaine d'entreprises (61) dans
18 pays et 32 industries différentes et comparent leurs performances
avant et après la privatisation sur une période de sept ans (3
ans avant la privatisation et 3 ans après).
Une grosse critique faite à ces études est
leur caractère international. En effet, «la diversité
des cadres juridiques et réglementaires, les particularités
des
économies nationales ( par exemple le niveau de
développement ou la qualité de
3 On pourrait également loger dans ce ensemble
(quoique les critiques n'auraient pas la même ampleur), les
études qui comparent les performances des firmes
privatisées à celle d'un groupe de firmes non privatisées,
ou à
la performance qu'elles auraient réalisées si elles
étaient restées publiques (performance potentielle). C'est la
dimensions transversale selon Charreaux et Alexandre (2001)
4 Blankart(19980), De Alesi(1980), borcherdind
et al (1982), Millward(1982), Millward et Parker (1983), Courchesne(
1985), Yarrow(1986), Domberger et Pigott(1986), Borins et
Boothman et vining(1987), Donohue(1989), Baily et Pack(1995).
5 Charreaux et Alexandre (2001) designent cette
méthodologie comme étant la dimension longitudinale
l'administration publique6), la
comparabilité des cadres comptables », sont autant
d'éléments qui réduisent la
fiabilité de telles comparaisons. C'est ainsi que Charreaux souligne la
nécessité de recourir à des études
nationales, tout au moins de manière complémentaire pour
échapper à ces biais. Notre étude obéit à
cette logique.
Une autre limite que l'on attribue à ces études
est que malgré l'accent qui est mis sur le phénomène
de privatisation, il reste quand même que l'ambiguïté
des résultats, déjà fustigée dans la
première vague de recherche est toujours présente. En effet,
certaines de ces études comme celles de Parker et Martin (1991) Parker
(1993), Bishop et Kay (1989) arrivent à la conclusion que la
privatisation n'est pas forcement synonyme d'accroissement de performance.
D'autres par contre comme celles de Galal, Leroy, Tandon et
Vogelsang(1992) et celle de Megginson, Nash et Randerborhg (1994)
aboutissent à une forte performance consécutive aux
privatisations. Face à cette lacune persistante, on est en droit de se
poser la question de savoir pourquoi ces va-et-vient entre prédictions
théoriques et observations empiriques ?
La dernière vague de recherche empirique sur la
privatisation est une tentative
de réponse à cette question. Les protagonistes
de ce courant affirment que jusque là la littérature existante
sur la privatisation a partiellement analysé le problème,
en le limitant à la question de savoir si oui ou non le
système de propriété privée était
consécutif à une plus grande performance. Pourtant, la
supériorité de cette forme de propriété sur la
forme publique en terme de performance n'est que la condition
nécessaire de l'existence d'une relation positive
privatisation/performance (Villalonga
2000). Mais cette condition n'est pas suffisante. C'est ainsi
qu'on assiste à la mise sur pied des modèles
économétriques à même de mieux analyser la relation.
Les auteurs introduisent donc dans l'analyse l'étude des facteurs
temps (statique/dynamique), et environnement (politique et
économique). C'est le cas de Villalonga (2000) qui fait
l'hypothèse selon laquelle les effets de la privatisation sur
la performance sont fonction de la période de temps (plus ou moins
longue) considérée par l'étude. Il teste
cette proposition par un échantillon d'entreprises
espagnoles. C'est le cas également de
6Une des limites est que ces études font
l'hypothèse d'une gestion publique également inefficace
dans les différentes nations. Ce qui est loin d'être vrai.
certains auteurs qui intègrent dans le modèle les
variables telles que « le contexte de
privatisation, les caractéristiques organisationnelles et
de gouvernance de l'entreprise,
et le levier d'efficacité », qui sont de nature
à influencer d'une manière ou d'une autre
la performance des firmes privatisées.
Cette dernière vague de recherche a beau
affiné l'analyse, l'ambiguïté des résultats --
certaines aboutissant même à un accroissement de performance
quelques années avant la privatisation, ce qui justifie un
effort de restructuration ( Villalonga
2000, Charreaux et Alexandre 2000) -- ainsi que de
nombreuses autres critiques demeurent valables :
- les mesures de performance utilisées jusque
là ne tiennent comptent que du mesurable, et ne se focalisent que
sur l'actionnaire comme seul créancier résiduel. C'est à
ce titre qu'elles privilégient la valeur actionnariale comme
indicateur de mesure d'efficacité. Pourtant, une conception plus large
de la rente organisationnelle (préconisée par la
théorie de la gouvernance partenariale), symbolisée par la
« stakeholder value » (Charreaux et Alexandre 1998, Figge et
Schaltegger 2000) devrait également être prise en compte pour une
mesure de la performance. Le danger de limiter la valeur crée à
la seule valeur actionnariale est illustré par Charreaux et al (1998) en
faisant une « analogie avec le domaine de l'enseignement où la
seule note attribuée à un élève ne saurait mesurer
la totalité de
la valeur crée par la fonction éducative sur lui
;
- pratiquement dans la même lancée, la
plupart de ces études ne prennent en compte les effets de la
privatisation sur le bien être des consommateurs, des
salariés, etc.... Cette critique est d'ailleurs faite par
Megginson et Netter (2000), ainsi que par Charreaux et al (2000) dans
le but d'orienter la recherche vers ces nouveaux axes ;
- une autre critique et non des moindres est que ces
études ne tiennent pas compte du sujet auquel ce programme s'applique
à savoir l'entreprise7. Pourtant la
privatisation entraîne des bouleversements à
l'intérieur de l'entreprise à même de
7Ceci s'apparente au problème de l'entreprise
« boîte noire» dans le débat sur la théorie de
la
firme.
donner un coup de fouet à la performance. Vouloir
attribuer l'accroissement de
performance au seul changement de
propriété, au temps et à l'environnement
politico-économique toute chose étant égale par
ailleurs serait une considération bien partielle du
phénomène qui pourrait bien justifier
l'hétérogénéité des résultats
empiriques.
C'est pour contourner ces dernières critiques
que Chatelin (2002 et 2001)
rapproche la thématique de la privatisation à la
théorie de la gouvernance partenariale
et démontre sa portée explicative dans la
compréhension de la dynamique organisationnelle sous-jacente à la
privatisation. La prise en compte de l'ensemble des partenaires, et donc
l'analyse de la valeur partenariale est ainsi nécessaire pour
comprendre le comportement de l'entreprise en matière de performance.
Malgré que cette approche se heurte aujourd'hui au difficile
problème de la mesure de la valeur partenariale, notre étude
se réclame de cette nouvelle tendance. Elle s'inspire des
travaux des pionniers et se propose d'apporter une réponse
à certaines questions restées en suspens. Se limitant aux
privatisations effectuées au Cameroun, elle voudrait savoir
quel est l'impact de la privatisation sur la performance
économique
et partenariale des entreprises camerounaises ?
Autrement dit qu'elle est son impact sur chacun des partenaires de
l'entreprise ? A qui profite les privatisations menées au Cameroun
?
Pour apporter une réponse à ces questions,
nous émettons les hypothèses suivantes :
- H1 « la privatisation
accroît la performance économique de l'entreprise »
- H2 « la privatisation
accroît la valeur appropriable par chaque groupe de partenaire pris
individuellement »
Cette étude nous permet de percevoir des
intérêts aussi bien sur le plan scientifique
que sur le plan pratique.
Au niveau de la recherche scientifique, elle permet
d'affirmer la nécessité de développer l'approche
partenariale de la firme qui n'est qu'émergente et
déjà confrontée à une adversité farouche. En
effet, Jensen (2000) considère que celle-ci ne saurait être un
concurrent sérieux de la conception actionnariale de la firme. Pour cet
auteur le fait que cette conception souffre d'un manque d'indicateur de mesure
agrée
la discrédite énormément. Il trouve
d'ailleurs qu'elle n'est qu'une résurgence des approches
marxistes. Sternberg (1997) dans le même lancée estime que
la liste des partenaires étant inépuisable, la rente
potentielle ne sera jamais équitablement repartie. Cette étude se
propose donc de montrer l'importance de l'approche partenariale, car la mesure
de l'efficacité d'une privatisation devrait s'étendre
à ses effets sur tous les partenaires de l'entreprise.
Sur le plan de la recherche scientifique également, cette
étude nous permettra de confirmer la véracité de la
relation positive qui semble exister entre la privatisation et
la performance dans les pays sous développés
en général et au Cameroun en particulier. Ainsi elle va
poser les bases d'une tentative d'explication de la réussite ou
de l'échec des programmes de privatisation dans ces
économies.
Sur un plan pratique, cette étude permettra de porter
un jugement de valeur sur le programme de privatisation en cours au Cameroun.
Cette appréciation pourrait ainsi ajuster le comportement du
Gouvernement dans la négociation des contrats afin de garantir
une réussite totale aux opérations avenirs. Aussi la
présente étude, parce que faisant ressortir dans une
certaine mesure l'impact de la privatisation sur les partenaires
sociaux de l'entreprise (client, salariés, Etat, Bailleurs de
fonds etc....), permettra au Gouvernement de savoir si la privatisation est un
moyen de lutte contre
la pauvreté, en d'autres termes si elle contribue au
développement.
L'objectif de cette recherche est de savoir si la privatisation
permet d'améliorer de manière significative les performances des
entreprises privatisées au Cameroun. Cette
préoccupation bien évidemment ne se limite pas
à la seule influence du phénomène sur
la richesse des actionnaires. Elle cherche également
à connaître l'impact de la
privatisation sur les autres partenaires de l'entreprise que sont
les salariés, les clients,
les fournisseurs, l'Etat, et les autres bailleurs de fonds. En
d'autres termes elle voudrait être à mesure de répondre
au terme de cette étude à la question de savoir si
les privatisations menées au Cameroun permettent une
amélioration des performances partenariales des entreprises
privatisées.
En fin de compte cette étude s'articule autour de deux
axes :
- la première partie est consacrée
à l'étude théorique de la relation P/P et comporte
deux chapitres. Le premier s'attelle à donner un contenu
à la notion de privatisation et à rappeler quels sont ses
différents objectifs. Il s'agit également dans ce chapitre,
d'entrer pleinement dans le débat sur la relation P/P, en
rappelant les fondements théoriques des politiques de privatisations et
en examinant les raisons de l'ambiguïté des résultats qui
caractérise les recherches empiriques sur la dite relation.
Le deuxième chapitre quant à lui se consacre
au renouvellement de l'analyse de la relation P/P, à travers la
TGP.
- la deuxième partie qui comporte également
deux chapitres se consacre à la vérification de la relation
établie, en se penchant non seulement sur la performance
économique, mais également sur la performance partenariale.
Ainsi, le chapitre trois entre dans les profondeurs du processus de
privatisation camerounais et explique la méthodologie
utilisée pour l'évaluer. Le dernier chapitre enfin donne
un aperçu des
performances économiques et partenariales des
privatisations menées au Cameroun.
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