Chapitre troisième : LA PARTICIPATION POLITIQUE
DU CITOYEN.
Le chapitre précédent nous a amené
à admettre avec Thonnard que
«l'homme est naturellement un animal politique,
c'est-à-dire destiné à vivre en société, et
que celui qui, par sa nature et non par l'effet de quelques circonstances,
n'est pas tel, est une créature dégradée, ou
supérieure à l'homme»_.
Nous avons aussi compris que l'espace politique est un espace
public, assise normale de l'interaction et de l'apparence. A partir de ces deux
prémisses, nous pouvons affirmer que l'action est l'activité
politique par excellence, elle est une prérogative exclusivement
humaine. C'est pourquoi, chaque homme, en tant que Tel, est dans la stricte
obligation de prendre activement part, d'une manière ou d'une autre, aux
affaires politiques de son pays.
Et la participation politique signifie
«l'acte par lequel le citoyen assure et tente
d'influencer, directement ou indirectement, le cours des affaires publiques
dans sa société. La participation politique suppose une
décision consciente et libre, de la part du citoyen, de s'occuper de ce
qui est censé orienter la vie de tous dans la
communauté»_.
Mais comment peut-on être effectivement participant aux
affaires politiques ? Telle est la question légitime que nous nous
posons à cette étape de notre étude. En un sens donc, ce
dernier chapitre de notre travail sera une recherche de réponse à
cette question essentielle. Mais auparavant, nous essayerons d'examiner les
raisons de l'indifférence politique des citoyens dans certains
états.
3.1. L'indifférence politique des citoyens
C'est un fait patent que dans beaucoup de pays, un nombre
assez notable de citoyens n'est pas associé à la vie politique de
leur nation. Et parfois aussi, bien des citoyens manifestent, par
eux-mêmes, une espèce «d'apathie politique», une
réelle indifférence.
Plusieurs facteurs peuvent être à la base de
cette indifférence politique du citoyen. Cette dernière est
parfois justifiée par des raisons de foi, chez des croyants dont les
convictions religieuses peuvent conduire à une relativisation des
affaires politiques, qu'ils considèrent comme «les affaires
mondaines» par opposition aux «affaires divines».
Déjà Hannah Arendt parlait du «renoncement chrétien
aux choses de ce monde», pour exprimer ce mépris par les
chrétiens des affaires politiques.
En effet, comme l'affirme Xavier La Bonnardière,
«le chrétien considère sa mission de Salut comme distincte
de la fonction politique»_, ce qui n'est pas tout à fait faux. Paul
Valadier explique encore à ce sujet que «le sentiment que le
royaume politique est celui de brigands alimente l'apolitisme d'une masse de
chrétiens»_. Telles sont entre autres les raisons qui peuvent
expliquer l'indifférence des croyants, notamment des chrétiens,
à la vie politique.
Une autre raison qui peut expliquer l'indifférence
politique des citoyens est l'insuffisance économique. En fait, comme
nous l'avons déjà expliqué, l'homme, étant un
être de besoins, doit tout d'abord assouvir ses besoins
élémentaires, qu'Arendt appelle les nécessités de
la vie, avant de pouvoir se tourner pleinement vers les affaires de la
cité. Il doit assurer sa survie et il doit avoir maîtrisé
les affaires de la maisonnée pour s'intéresser ensuite à
la polis. Il est vrai, en effet, que
«dès qu'un homme s'est élevé
au-dessus d'un certain seuil de misère physiologique et d'ignorance
culturelle, il ne peut plus s'identifier purement et simplement à ses
besoins de subsistance ou de confort»_.
Ainsi, les problèmes du pain quotidien, en tant que
condition première de la vie (ou du moins de la subsistance physique)
peuvent éclipser les problèmes généraux de la
cité et réduire l'homme à sa seule vie dans la maison,
puisque empêché de sortir en public. Pour Arendt, en fait, ceux
qui s'occupent uniquement de la production (d'oeuvres ou de nourriture) pour
satisfaire aux besoins de la survie, s'ils restent tournés vers cette
seule préoccupation, ne seront jamais des citoyens, des hommes publics
et politiques.
L'indifférence dont nous parlons est parfois une
conséquence de la propagation de conceptions erronées du
politique. Du point de vue simplement phénoménologique, on peut
admettre, avec le professeur Ngoma Binda, que
«la politique est perçue comme une pratique et
un lieu de fourberie, de ruse, de violence et de cynisme impitoyable. Comprise
de cette manière négative, machiavélique, il va de soi que
la politique devient une pratique répugnante aux yeux de toute personne
désireuse de demeurer pure, digne et intègre»_.
Par ailleurs, au-delà de ces raisons de se
désintéresser de la politique, qu'on peut considérer comme
pertinentes, le citoyen porte en lui le désir humain de participer d'une
manière effective à la vie politique ; «il veut, explique
Ellul, dire son opinion sur les grandes questions, il exige qu'on ne le
considère pas comme quantité négligeable»_.
Dans cette perspective, l'indifférence est
assimilée à l'apolitisme, et devient, quelle que soit sa
justification, un soulagement vil de ne plus se sentir responsable de rien, de
se replier sur soi dans la vie privée. La vie privée, nous le
savons, est privée de la participation politique, car privée de
la lexis et de la praxis en public.
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