3.2. La participation politique par la praxis.
L'homme peut vivre sans travailler, s'il fait travailler
d'autres personnes pour sa survie. L'homme peut aussi vivre dans le monde
créé sans y ajouter quelque chose, ouvrage de ses mains ;
mais une vie humaine dépourvue d'actions serait comme une vie morte au
monde, donc inutile. L'action s'avère comme étant la condition
sine qua non de la politique ; c'est-à-dire que l'animal politique est
dorénavant l'animal agissant et parlant en public. L'agir politique
devient ainsi la matérialisation de la participation politique par
l'action concrète.
Agir est aussi et surtout le fait de commencer du nouveau,
c'est-à-dire de mettre en activité la capacité
d'initiative que l'homme porte en soi. Nous pouvons
reprendre les mots de Hannah Arendt pour être ici plus
explicite :
«l'agir, au sens le plus général,
signifie prendre une initiative,
entreprendre (le grec archein = commencer, guider et
éventuellement
gouverner) mettre en mouvement (latin, agere)»_.
Participer à la vie politique par l'action, telle
qu'Arendt comprend celle-ci, revient donc à transcender l'automatisme et
l'habitude pour commencer quelque chose de neuf, pour introduire l'inattendu.
Puisque chaque individu est unique au monde, son agir est une nouveauté
qui enrichit le monde de l'action, et le rend ainsi pluriel : monde des
co-actions marqué par la diversité et la multiplicité des
individus. La praxis se comprend précisément comme le fait de
prendre part aux devoirs civiques (que sont les élections, les
manifestations politiques, l'expression d'opinions individuelles etc.), mais
aussi d'initier d'autres actes civiques imprévus, puisque l'homme a la
capacité de créer du neuf. C'est pourquoi l'action est encore
définie comme une capacité de commencement, d'un commencement qui
révèle l'agent aux autres. Par l'agir, l'homme répond
à la question `qui es-tu' que les autres lui posent dès son
entrée dans le monde c'est-à-dire sa naissance.
Mais l'action resterait mal comprise, si nous l'analysions
séparément de la parole. Pour Hannah Arendt, en effet,
«l'acte ne prend un sens que par la parole dans laquelle l'agent
s'identifie comme acteur, annonçant ce qu'il fait, ce qu'il a fait, ce
qu'il veut faire»_. Pour Arendt donc, l'action est inséparable de
la parole, la praxis et la lexis sont en liaison nécessaire l'une avec
l'autre.
3. 3. La participation par la lexis.
Le commencement qui caractérise l'action (praxis)
caractérise donc également la parole. Cela se comprend dans cette
perspective où l'agir est à la fois l'agir en acte et en parole,
ou comme acte langagier. Hannah Arendt affirme que la plupart des actes sont
accomplis en manière de parole.
Nous sommes amené de la sorte au constat
qu'étudier la praxis et la lexis d'une manière
séparée n'est pas dans la ligne de penser de Hannah Arendt, qui
n'admet cette division que par un seul souci méthodologique. Pour
Arendt, «l'action muette ne serait plus action parce qu'il n'y aurait plus
d'acteur et, l'acteur, le faiseur d'actes, n'est possible que s'il est en
même temps diseur de paroles»_.
La parole dont il est question ici n'est pas bien sûr
le monologue, ni la parole
dictée, elle est parole échangée qui
n'est pas violence ni bavardage. C'est une parole
donatrice de sens à l'agent - diseur puisque celui-ci
révèle son identité par ce qu'il dit
en se prononçant.
Dès lors, la parole se comprend comme la
capacité qu'a l'individu humain de
dire ce qu'il est et ce qu'il fait aux autres qui l'entendent
et le voient. Le rôle spécifique
de la parole publique est celui de matérialiser et de
rappeler (nommer) les choses
neuves que l'action (praxis) a introduites, les choses qui
apparaissent ainsi et qui jettent leur éclat dans le monde des hommes.
En d'autres termes, la parole aide la mémoire collective à se
souvenir des résultats des actes de l'action (praxis).
Nous savons que la nouveauté et
l'imprévisibilité introduites désormais par l'action
suscite nécessairement des réactions de la part des autres, qui
ont normalement chacun la même capacité d'initier quelque chose de
différent. C'est que le neuf rencontre et suscite d'autres neufs. Il y a
ainsi un débat public à plusieurs qui s'ouvre à la suite
de l'acte langagier ou de l'action simplement (praxis). C'est à cet
échange de paroles et d'actes que Hannah Arendt veut en arriver pour
qu'on puisse parler effectivement de l'espace politique et de la participation
politique.
L'acte muet devient violence, et celle-ci fait taire.
La participation par la lexis est donc le fait de prendre part
aux débats publics en toute liberté d'expression.
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