2.1.2. " L'animal social "
Avec l'analyse de l'homme comme "animal social", Hannah
Arendt, nous introduit pleinement dans une sorte d'anthropologie philosophique
nécessaire pour mieux comprendre la coexistence humaine et "la condition
humaine de pluralité".
L'homme comme "animal social" : cette expression veut
signifier que l'homme vit parmi les autres hommes, que l'animal humain est un
animal vivant dans une société d'animaux humains. Et Hannah
Arendt dit, sans ambages, que "vivre" et "être parmi les hommes " comme
aussi "mourir" et "cesser d'être parmi les hommes" sont des termes
synonymes_. Le simple fait d'être dans une société
définit déjà un mode d'existence de l'animal humain.
Dans le monde grec, le terme social était bien
distinct du terme politique. Pour définir l'homme, les Grecs parlaient
uniquement du bios politikos. Hannah Arendt dira même que l'adjectif
social n'existait pas dans la langue grecque. Il a son origine dans le monde
romain (latin). Le mot qui exprimait le social chez la langue grecque est
politique ? C'est pourquoi d'ailleurs Aristote définissait l'homme
comme zôon politikon.
Au Moyen-Age, Saint Thomas d'Aquin traduit le zôon
politikon d'Aristote en homo est naturaliter politicus,id est, socialis. C'est
alors que le terme social fait pleinement son apparition dans la pensée
politique. Cette apparition est, d'après Hannah Arendt, le début
même de la confusion entre le social et le politique. Ainsi, dit elle,
« on a mal compris le politique, on l'a
assimilé au social dès que les
termes grecs ont été traduis en latin,
dès qu'in les a adaptés à la pensée
romano-chrétienne .»_
A l'époque moderne, la confusion entamée au
Moyen-Âge devient totale, on ne perçoit plus
« aucune frontière bien nette entre les
deux domaines ; puisque dépuis
l'accession de la société, autrement dit du
`ménage' (oikia) ou des
activités économiques, au domaine public,
l'économie et tous les
problèmes relevant jadis de la sphère
familiale sont devenus
préoccupations `collectives' .»_
Le monde moderne a par le fait même initié la
dégénéréscence (dégradtion) du politique_.
Disons donc que, bien que l'homme ne puisse pas vivre hors de
la société, la condition "social" de l'homme n'est pas une
caractéristique spécifiquement humaine. Ce serait une erreur que
de se limiter à définir l'homme comme un simple "animal social".
On ne désignerait pas ainsi la nature ou la condition
spécifiquement humaine, "animal social" "étant un trait que la
vie humaine avait de commun avec la vie animale et qui, pour cette raison, ne
pouvait pas être foncièrement humaine"_.
Aussi, pensons-nous que parler de l'animal social est certes
un pas dans la bonne direction, si on veut définir la
réalité humaine, mais qu'elle ne suffit pas pour exprimer
pleinement la nature humaine, puisque la sociabilité est une
capacité de l'animal en général. Car tous les animaux
peuvent faire "société", "vivre ensemble" avec leurs semblables.
"En définissant l'homme comme un animal social, on le
considère du seul point de vue de son appartenance à
l'espèce, et on tue l'humain en lui : l'humanité n'est pas le
genre humain."_ Pour comprendre l'homme, il faut superposer à cette
sociabilité l'autre mode d'existence propre à l' "animal
politique".
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