CONCLUSION GENERALE
«L'homme, disait Xavier La Bonnardière, est, en
même temps et par nature, animal social et même, à un
degré d'évolution plus avancé, animal politique»_.
Cette conception aristotélicienne de l'homme a
été le leitmotiv de notre étude de Condition de l'homme
moderne de Hannah Arendt. Notre travail s'achève. Il nous faut
maintenant faire succinctement la récapitulation du chemin parcouru.
Dans le premier chapitre, nous nous sommes efforcé de
tracer la ligne centrale de la pensée de Hannah Arendt. Nous avons
ensuite ordonné cette pensée dans une synthèse telle
qu'elle s'énonce dans Condition de l'homme moderne. Condition de l'homme
moderne, nous l'avons vu, est d'abord et surtout une analyse des
activités, de la vita activa dans leur signification politique : le
travail, l'oeuvre et l'action.
Le deuxième chapitre a essayé de montrer que la
coexistence humaine est une réalité tangible, voire
«donnée par la nature», puisque la socialité de l'homme
fait partie de son essence : l'homme est toujours et déjà dans
une société, il est un animal social en tant
qu'«être-avec». Cependant, selon Hannah Arendt, la
communauté politique advient lorsque les hommes, déjà en
société naturelle, s'engagent, dans un espace public, à
dire et à agir sur les affaires politiques ou publiques.
Dialectiquement, on dirait que la communauté politique émerge de
l'action qui s'y situe, et cette communauté politique disparaît
dès que les hommes n'agissent plus de concert.
Toujours dans cette logique de la pensée de Hannah
Arendt nous avons compris qu «il y avait (a) en l'homme quelque
chose de politique qui appartient à son essence»_.
On peut déduire de cette découverte de l'espace
public en tant que lieu naturel
du politique que le domaine politique est l'unique et le
véritable «domaine où nous
(humains) devons être, c'est-à-dire où
nous ne nous sentons ni livrés à nos
impulsions ni dépendants de quoi que ce soit de
matériel»_. De façon simple et claire,
nous dirons que l'inter-esse s'est
révélé nécessaire et exigé de l'homme et des
hommes.
Nous avons vu encore que le vivre ensemble, l'inter-esse,
nécessite toujours une conjugaison harmonieuse d'actions (paroles et
actes) des hommes libres et égaux. C'est à ce niveau qu'intervint
la notion de participation politique, notion que nous avons largement
expliquée dans le troisième chapitre en tant que condition sine
qua non de l'avènement de l'espace politique véritable,
c'est-à-dire l'espace de l'agir humain pluriel où il fait bon
vivre pour tous et pour chacun.
La participation politique de l'homme, en l'occurrence le
citoyen, s'est révélée comme l'acte humain et civique le
plus excellent parce que, c'est lorsque l'homme s'engage actuellement
(effectivement) à prendre part (selon le sens même de participer),
par l'action et par la parole en face de ses égaux, c'est-à-dire
aux affaires publiques qu'il exhibe réellement ce qui est
d'essentiellement humain en lui, son être politique, en tant
qu'être avec. La réciprocité caractérise l'agir et
le dire en public, car l'homme est toujours un être avec les autres et
c'est avec ceux-ci qu'il échange les paroles et les actions pour
créer cet espace de vivre ensemble organisé. Comme on s'en sera
rendu compte, la visée de ce travail, dans le contexte où nous
sommes, c'est d'être un plaidoyer pour une communauté humaine
caractérisée par la participation politique de tous et de chaque
citoyen.
Partant d'une phénoménologie du vivre-ensemble
actuel, notamment en Afrique, et nous tournant vers l'analyse de Hannah Arendt
sur la condition de l'homme moderne, notre travail a consisté justement
à montrer l'importance du politique comme une structure fondamentale de
la réalité de l'homme, et que cette structure ne provient
effectivement que «d'une action et d'une parole partagées au sein
d'un espace politique»_.
L'accomplissement du politique au sens qu'en donne Hannah
Arendt est important, d'autant plus qu'il est destiné à garantir
le droit qu'a chaque homme en tant qu'être humain : d'agir et de dire ce
qu'il pense sur les problèmes qui engagent le destin collectif de la
cité, c'est-à-dire de tous.
Enfin, nous allons conclure ce travail. Après le
chemin que nous avons
parcouru, le titre de notre travail devient plus
compréhensible :
«La coexistence humaine et la participation politique.
Une réévaluation de l'espace politique chez Hannah Arendt».
Ce titre, qui a guidé notre étude, stipule, en ces deux parties,
que la coexistence humaine lorsqu'elle est bien assumée et pour
être excellemment réussie, convoque et exige nécessairement
la participation politique des individus qui vivent ensemble et qui partagent
un même espace. La re-évaluation de l'espace politique dont nous
avons parlée tient du seul fait qu'avant nous, Hannah Arendt ainsi que
d'autres penseurs ont fait des évaluations de leur espace politique.
Nous avons, à notre tour, fait une nouvelle évaluation de notre
politique avec l'aide et selon l'inspiration de la pensée de Hannah
Arendt.
Disons donc que nos politiques qui sont encore
marquées d'exclusion et de soustraction politiques de toutes sortes vont
sans doute trouver chez Hannah Arendt des outils d'inspiration importants pour
rendre vivable et harmonieux l'espace commun. Et partant, l'Afrique pourra se
soustraire de l'odeur de la mort qu'elle connaît actuellement _. Telle
est, en conclusion, la réhabilitation radicale du politique que Hannah
Arendt proposait dans le sens d'un véritable espace public de
délibération et d'initiative.
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