7) Positionnement de l'éducateur dans sa
relation
Dans le cadre du travail auprès du mineur
étranger, l'éducateur endosse plusieurs rôles : celui
de travailleur social, de médiateur et quelquefois celui
d'interprète.
La position de neutralité, d'empathie, le rôle
de médiateur souvent portés par l'éducateur à
certains moments de sa fonction, risque de voir celui-ci envahi par une
certaine subjectivité de son regard et de son positionnement. Les
pouvoirs publics se fient au regard de l'éducateur chargé
d'évaluer la situation du mineur.
Pour la plupart de ces mineurs, le danger est
avéré. Ils sont en rupture, souvent victimes et
traumatisés.
L'éducateur doit estimer la parole de l'enfant, en se
basant sur ses déclarations. La vérité de l'enfant peut
quelquefois dépendre de la possession ou non de ses papiers.
Si un jeune se présente à l'Aide Sociale
à l'Enfance et se déclare mineur étranger isolé, et
qu'il n'a pas ses papiers, toute aide lui sera refusée. Sauf s'il
accepte d'être soumis à un test osseux pour la
détermination de l'âge.
Qu'est ce qui motive un tel refus ?
La décision d'aider un mineur en danger dépend
de l'authenticité de ses papiers ou de son histoire, du point de vue du
travailleur social.
Quand un jeune se présente avec ses papiers en
règle, son histoire peut être fausse; de même qu'un autre
jeune peut se présenter sans papiers ou avec des papiers contestable,
avec une authentique histoire de violences, de rupture,de traumatismes.
L'éducateur est tenté de se fier qu'à
l'aspect administratif. En effet, nous sommes soumis à devoir
prouver l'âge du jeune en plus de devoir évaluer la situation de
danger que connaît le jeune afin qu'il puisse bénéficier
d'une prise en charge administrative ou judiciaire. Cette
spécificité ne concerne que les MIE qui doivent prouver leur
identité,
L'éducateur face à cette réalité
ne serait-il pas plus enclin à aider les MIE pouvant apporter la preuve
de leu âge, leur origine voir de leur histoire ? Alors que nous
savons que les parcours les plus traumatiques, les plus difficiles ont souvent
entraînés la perte de pièce d'identité, de membres
de famille....Comme c'est le cas pour les jeunes issus de la catégorie
des exploitées.
Cette obligation de devoir prouver l'âge du jeune est
due au fait que notre système social et juridique n'accorde pas les
mêmes droits si l'on est majeur ou mineur. Cette suspicion que le
demandeur cherche à instrumentaliser le système (en mentant sur
son âge) a un impact direct sur la qualité de l'accueil de ces
MIE. Car avant même de prendre en compte leur état de souffrance,
la priorité sera qu'il réponde au critère français
qui désigne un mineur en dessous de 18 ans.
L''enjeux sera donc de prouver l'âge du jeune avant de
mettre en place un soutien socio-éducatif.
Cas pratique
Je me suis présenté avec une jeune fille qui
venait d'un pays en guerre et suite à la mort de ses parents, a du
quitter son pays. Cette visiblement traumatisée, dans un état
déplorable, après avoir dormi pendant deux jours sur un pont. Un
particulier l'a trouvé sous un pont et l'orient vers une l'association
à qui l'ase a refusé son admission. Cette jeune fille est
restée au centre pendant 4 jours le temps de chercher ses papier
d'identité. Cette avait besoin d'un suivi psychologique et de soins
spécifiques, mais elle a du attendre soit réglée pour
pouvoir bénéficier de soins adéquats.
Il s'avère que le mineur étranger isolé
et en danger ne l'est que par preuve ou par compassion, alors l'administratif
apparaît comme une béquille pour l'éducateur. La
décision d'admettre ou non un jeune dans les dispositifs de protection
de l'enfance ne devrait pas être confié uniquement au seul regard
de l'éducateur. En principe lorsque le mineur est pris en charge par
l'aide sociale à l'enfance, le procureur doit être saisi dans les
trois jours, et celui-ci saisit le juge pour enfants, s'il le danger est
avéré. Mais tous ne bénéficient pas de telles
dispositions, cela dépend du regard, de la manière dont le
travailleur social se représente l'histoire du jeune. La question est de
savoir pourquoi un système aussi bien fait présente autant de
failles et de dysfonctionnement ?
Comme nous l'avons vu précédemment, les outils
de travail à notre disposition servent et parfois desservent, notre
pratique.
Cela implique l'accueil d'un jeune, le choix et la
priorité dans les démarches à effectuer.
Qu'est ce qui est prioritaire dans la prise en charge,
quel accompagnement et quelle démarche éducative ?
Un mineur de moins de 16 ans a le droit d'aller à
l'école. Par contre, une administration permet l'inscription du mineur
sans que celui-ci n'ait à prouver la véracité de son
histoire, ou la forme dans laquelle sont usitées se papiers
d'identité, ou son isolement L'école publique et laïque est
gratuite et ouverte à tous.
Les primo arrivants peuvent être pris en charge,
à condition de donner leur identité. Il est même
arrivé que des mineurs passent des test d'aptitudes scolaires et soient
inscrit à l'école sans documents d'identité, juste en
tenant compte de la parole du jeune comme faisant foi.
Pourquoi l'Education Nationale semble prendre conscience du
phénomène et de la nécessité de respecter la loi,
alors que dans les champs de l'éducation spécialisée, il
semblerait que la loi ne soit appliquée comme il conviendrait ?
Il parait que c'est une question de coût. Un enfant pris
en charge par l'Education Nationale n'a pas le même coût que celui
pris en charge par l'Aide Sociale à l'Enfance.
Nécessité de déclarer la situation
administrative du mineur.
Je vais signaler sa situation au parquet, en lui fournissant
les premiers éléments concernant l'identité du jeune et sa
situation générale. Le travail de mise en confiance en tant que
référent du jeune permettra, à travers les entretiens et
les activités qui sont organisées dans le centre,
d'évaluer sa situation de manière plus approfondie. Il s'agira de
l'orienter vers une structure de droit commun adaptée à sa
problématique. En accord avec l'éducateur référent
de l'Aide Sociale à l'Enfance, je mettrai en place les premiers jalons
d'une amorce d'insertion du jeune. Pour cela je mets en place une
évaluation médicale de la santé du jeune afin de traiter
toute affection ou des maladies infectieuses qu'il aurait contractées
dans son pays ou durant son parcours.
Je contacte aussi les services de l'Education Nationale pour
qu'ils mettent en place une évaluation du niveau scolaire du mineur.
C'est à partir de ce que je sais du jeune, de son
vécu et de son passé, que je vais pouvoir proposer des
orientations, des actions, ou un suivi thérapeutique qui peut être
un préalable à la reconstruction et la restauration de soi. Il
m'appartiendra de convaincre les pouvoirs publics de la nécessité
d'aider les mineurs étrangers, afin d'aider à stabiliser leurs
situations. Il est donc nécessaire d'éclairer la situation
administrative des mineurs isolés étrangers. Je prendrai deux cas
de figures pour décrire la situation du mineur isolé.
-Le mineur· reconnu :
Le mineur reconnu comme tel, parce qu'il possède des
papiers d'identité officiels qui prouvent sa minorité va
bénéficier des protections à plusieurs niveaux
administratifs et juridiques.
Il est confié par l'Aide Sociale à l'Enfance
qui va mettre en place une protection administrative au titre de l'article
L223.2 du code de l'action sociale et de la famille. Le jeune nous est
confié pour une évaluation de sa situation administrative, en vue
de lui proposer une orientation qui répond à la
réalité de ses besoins.
-Le mineur non reconnu :
Le jeune se dit mineur, mais certaines autorités
contestent cette minorité et lui proposent un examen d'âge osseux
qu'il accepte. Après avoir fait une évaluation de sa situation,
lorsque nous sommes convaincus de sa minorité, je l'informe de la
possibilité pour lui d'écrire au juge pour enfants pour lui
demander de se saisir de sa situation. Le juge va apprécier par les
éléments fournis par le jeune de la minorité et du danger,
et ordonner une mesure de placement provisoire. J'ai pu remarquer que le juge
pour enfants est saisi lorsque que le jeune conteste les résultats de
l'expertise d'âge osseux. Alors qu'il pourrait être saisi
dès que le danger est avéré.
Si le jeune est arrivé sans aucun document
d'identité ou bien si les documents qu'il présente sont
contestés, s'il a accepté de passer un examen d'age osseux, et
qu'il est déclaré majeur, plusieurs
possibilité s'offrent au jeune ; le jeune doit quitter le centre,
et je l'oriente vers les dispositifs d'urgence sociale tels que le 115. S'il
conteste les résultats de l'examen osseux, j'en informe le parquet et
une contre-expertise aura lieu. Parallèlement, je l'aiderai dans ses
démarches auprès du juge pour enfants.
Mon rôle est d'assister le jeune dans toutes ses
démarches. Il arrive que les jeunes, sur la base de la relation de
confiance qu'ils ont mis en place avec l'éducateur, me sollicitent pour
des renseignements administratifs. Le service où il est placé
peut aussi solliciter l'éducateur pour une médiation.
C'est ainsi que j'ai été appelé pour une
médiation concernant un jeune dont j'ai assuré le suivi. Le
centre où il était placé devait déterminer une
orientation définitive pour celui-ci. Un incident a failli provoquer
comme orientation le retour dans son pays, or ce retour aurait mis en danger la
vie de ce jeune. Un quiproquo lié à la barrière de la
langue avait généré cette décision au sein de cette
équipe éducative. Mon rôle consistait à être
un intermédiaire entre la culture du jeune, que je connais, et notre
culture. J'ai contribué, le temps de cette médiation à
abolir les frontières, expliquant les malentendus. J'étais comme
la courroie de transmission par qui passait à la fois la parole du jeune
et celle de l'équipe. Je la reformulais et la restituais à
chacun. Même lorsqu'il est placé, le jeune peut garder un lien
avec le centre, car au fil du temps de sa présence au centre, une
relation de confiance mutuelle se construit entre le jeune et les
éducateurs. Cette relation peut durer au-delà du temps de
l'accompagnement. Certains jeunes viennent au centre et participent à
des activités, soit pour rencontrer « leur
éducateur ». En tant qu'éducateur, il m'appartient de
savoir passer le relais à d'autres professionnels ou être
présent pour le jeune quand ils ont besoin de me rencontrer pour une
évaluation, d'un médiateur, voire d'un interprète.
Le recueil de l'histoire du
jeune.
C'est en accédant à l'histoire du jeune que l'on
peut réfléchir aux possibilités pour lui venir en aide.
Recueillir l'histoire du jeune suppose plusieurs préalables
importants : ne pas travailler dans l'urgence, répondre aux besoins
les plus urgent (soins, alimentaires, sommeil), ne pas avoir d'idée
préconçue, et postuler que cette histoire appartient toujours au
jeune. Parfois c'est le jeune qui veut me raconter son histoire. Même si
mon souci c'est de ne pas juger le jeune, la frontière est souvent mince
entre l'objectivité que m'impose ma fonction et la subjectivité
à laquelle je peux être sujet.
Au regard de certaines histoires qui paraissent
invraisemblables, on a vite fait de considérer les mineurs
étrangers comme des menteurs, au pire comme de enfants qui par le biais
de certains adultes du pays, cherchent à instrumentaliser le dispositif
de protection de l'enfance. Ce qui fait que certains enfants, issus d'une zone
géographique bien déterminé raconte tous une histoire
« standard ».j'avais remarqué ces enfants arrivaient
par dizaine par mois, d'un même continent, et racontait le même
parcours, avec des histoire similaires. Dans ce cas, un travail qui s'inscrit
dans la durée va permettre de démanteler le discours des adultes.
Je vais tenter de regagner la confiance du mineur afin de l'aider à
reconstruire sa propre histoire personnelle.
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