Transition démocratique dans le monde arabo-musulman : le cas de la Tunisie( Télécharger le fichier original )par Mourad Ben Abdallah Université de Genève - licence ès sciences politiques 2006 |
7. Dimension diplomatiqueIl ne faut toutefois pas considérer la démocratisation tunisienne dans un contexte strictement national mais dans ces relations avec ses voisins et ses alliés. Ainsi, le soutien apporté au régime tunisien par les États-Unis et les gouvernements européens, dont la France qui dispose d'une influence importante dans la définition de la politique européenne vis-à-vis du Maghreb186(*), est lié au désir de ces gouvernements d'assurer la stabilité de la région, notamment au travers du contrôle du mouvement islamiste qui suscite des craintes de la part de nombreux dirigeants. L'épisode de la guerre du Golfe en 1990-1991 permit déjà au régime tunisien, qui condamna l'invasion irakienne mais aussi la coalition menée par les États-Unis187(*), de faire accepter la répression de l'islamisme au nom de la sauvegarde des intérêts occidentaux dans la région et de la lutte contre une hypothétique menace terroriste représentée par le mouvement Ennadha188(*). La guerre civile qui commençait alors en Algérie ne fit que conforter cette analyse pour les gouvernements occidentaux189(*). Néanmoins, l'appui occidental, et français en particulier, reste symbolique190(*) bien que le pays perçoive des aides financières françaises, en faisant le pays le plus aidé du Maghreb par habitant191(*). Toutefois, cette aide n'a pas été utilisée pour faire pression sur le régime afin d'accélérer le processus d'ouverture politique192(*). Car la Tunisie possède une « place stratégique » qui est importante pour Washington193(*) mais également pour Paris car, en plus de son ouverture économique et de sa « modération » politique, elle joue un rôle de stabilisateur du flanc sud de la zone OTAN et encourage par ailleurs la conclusion d'une paix juste avec Israël194(*). Pour Donatella Rovera, au contraire, c'est parce que la Tunisie « ne présente aucun intérêt stratégique majeur dans la région »195(*) qu'aucune pression n'est exercée sur le régime pour infléchir sa ligne politique. Toutefois, cette analyse ne tient pas compte de la place de la Tunisie dans la lutte anti-terroriste qui justifie la recherche d'une certaine stabilité. Mais dans les deux cas, « les perspectives de libéralisation [sont] mornes »196(*) puisque l'un des principaux acteurs politiques tunisiens, en l'occurrence Ennadha, est exclu d'une participation au système politique. Pour John O. Voll, c'est le soutien occidental à cette « démocratie sans risques » qui est au coeur de la crise de l'autoritarisme nord-africain197(*) et donc tunisien. Certes, l'UE a inclus des clauses concernant le respect des droits de l'homme dans l'accord qu'elle a signé avec la Tunisie en 1995198(*). Cependant, ses réactions se sont limitées jusqu'ici à de simples réprimandes, à travers deux résolutions votées par le Parlement européen en 2000199(*), sans que des sanctions de quelque nature que se soit ne soient prises. Cela pourrait s'expliquer par l'absence de répercussions, notamment économiques, de la situation politique pour les investisseurs européens et français en particulier200(*). De leur côté, les États-Unis ont depuis quelques années mis en avant la nécessité de réformes démocratiques au travers du plan « Grand Moyen-Orient », annoncé après les attentats du 11 septembre 2001, et dans le cadre de la lutte anti-terroriste qui a renforcé les liens, notamment en matière de défense (l'assistance militaire américaine atteignant 10,5 millions de dollars), avec la Tunisie201(*). Cependant, cette stratégie suscite du scepticisme aussi bien auprès du gouvernement tunisien, qui y voit des critiques infondées sur sa politique, que de la société (en particulier de la gauche) qui y voit un cheval de Troie de l'impérialisme américain dans la région202(*). * 186 ROVERA, Donatella, « Les droits de l'homme. Entre discours et pratique », in LAMLOUM, Olfa et RAVENEL, Bernard, La Tunisie de Ben Ali. La société contre le régime, éd. L'Harmattan, Paris, 2002, p. 162 * 187 TESSLER, Mark, op. cit., p. 104 * 188 LAMLOUM, Olfa, op. cit., p. 109 * 189 ZARTMAN, I. William, « The International Politics of Democracy », in ENTELIS, John P. [édité par], Islam, Democracy, and the State in North Africa, éd. Indiana University Press, Bloomington, 1997, p. 214-216 * 190 LAMLOUM, Olfa, op. cit., p. 111-112 * 191 Ibid., p. 114 * 192 ENTELIS, John P. [édité par], Islam, Democracy, and the State in North Africa, éd. Indiana University Press, Bloomington, 1997, p. X * 193 MAYORAZ, Éric-Alain, op. cit., p. 104 * 194 ENTELIS, John P., « Political Islam in the Maghreb. The Non-violent Dimension », in ENTELIS, John P. [édité par], Islam, Democracy, and the State in North Africa, éd. Indiana University Press, Bloomington, 1997, p. 50 * 195 ROVERA, Donatella, op. cit., p. 164 * 196 KRÄMER, Gudrun, op. cit., p. 309 * 197 VOLL, John O., op. cit., p. 9 * 198 FREEDOM HOUSE, « Country Report - Tunisia », Freedom in the World, http://www.freedomhouse.org/template.cfm?page=22&year=2005&country=6850, consulté le 11 janvier 2006 * 199 ROVERA, Donatella, op. cit., p. 163 * 200 HIBOU, Béatrice, op. cit., p. 47 * 201 AGENCE FRANCE-PRESSE, « Rumsfeld salue le rôle de la Tunisie dans le combat de l'islamisme radical », 11 février 2006, http://www.jeuneafrique.com/jeune_afrique/article_depeche.asp?art_cle=AFP63616rumsflacida0, consulté le 14 février 2006 * 202 REDISSI, Hamadi, « Une inadéquation entre l'islam et les valeurs de la démocratie », L'Express, 22 septembre 2005, http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/mondearabe/dossier.asp?ida=435009, consulté le 21 décembre 2005 |
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