1.2.3 Deux oppositions au projet de loi Courtier
Les principes d'organisation proposés par la Chambre de
commerce du Rhône n'apparaissent pas fondamentalement différents
de ceux de la Fédération des artisans du sud-est: comme les
«Conseils de métiers » créés par la
Fédération des artisans du sud-est, les « Chambres des
métiers » prévues par la Chambre de commerce doivent
être strictement professionnelles, et non interprofessionnelles. Elles
sont composées uniquement de patrons et d'ouvriers. Chacune gravite
autour du syndicat patronal qui l'a créée: il ne s'agit pas de
mettre en place un système de représentation concurrent du
syndicalisme. Le projet de loi Courtier prévoit, lui, la création
de Chambres de métiers artisanales interprofessionnelles, sans liens
directs avec le syndicalisme puisque leurs membres sont directement élus
par les artisans. L'insistance avec laquelle la Chambre de commerce
présente ce mode de fonctionnement, et la rapidité à
laquelle la Fédération des artisans du sud-est met en place ses
« Conseils de métiers» sont telles qu'il faut les comprendre
comme un moyen de pression sur les préparatifs de la loi sur les
Chambres de métiers.
La Fédération des artisans du sud-est et la
Chambre de commerce ne s'opposent pas de la même manière au projet
Courtier. La Fédération des artisans du sud-est est d'accord sur
le principe de l'organisation de l'artisanat à part, bien distinct de
l'industrie et du commerce. La Chambre de commerce refuse de distinguer
artisanat et industrie. Pour elle, la distinction pertinente se fait entre
industriels et commerçants: il ne faudrait pas que le coût de
l'apprentissage soit supporté par ces derniers qui n'en ont pas l'usage.
La clientèle de l'apprentissage est unique, ce sont les enfants,
renchérit la Chambre de commerce de Paris, une institution unique doit
donc organiser l'apprentissage33. Cette absence de distinction entre
artisans et industriels permet à la Chambre de commerce d'envisager le
contrôle de l'ensemble des « Chambres des métiers »
par
30. Compte-rendu des travaux de 1924 [ACCL CR 1923-1925].
31. Compte-rendu des travaux de l'année 1924, page 427,
séance du 17 mars 1924 de la Commission supérieure de
l'apprentissage et de l'enseignement technique [ACCL CR 1923-1925].
32. Bulletin mensuel de la Chambre syndicale des industries
métallurgiques, n° 8, août 1924, 6ème
année, page 150[ADR 9M30]
33. Bulletin mensuel de la Chambre syndicale des industries
métallurgiques, n° 8, août 1924, 6ème
année, page 150, intervention de la Chambre de commerce de Paris
[ADR 9M30].
le biais d'une institution où elle serait majoritaire:
la commission supérieure de l'apprentissage et de l'enseignement
technique. C'est ici que s'opposent le plus visiblement la
Fédération des artisans du sud-est et la Chambre de commerce: les
« Conseils de métiers» de la Fédération des
artisans du sud-est n'ont aucun lien avec la Chambre de commerce, et tout
montre que les artisans cherchent à en rester éloignés
pour organiser l'artisanat de manière indépendante. Les artisans
sont cependant près à collaborer avec les Chambres de commerce
pour organiser l'apprentissage, une fois admis comme principe qu'elle ne peut
se faire par l'absorption de l'artisanat, et qu'un apprentissage
spécifique doit être réservé aux
artisans34.
L'opposition de la Chambre de commerce s'étend aussi
aux conséquences du projet de loi Courtier qui ne concernent pas
uniquement les Chambres de métiers. La création d'une taxe
d'apprentissage est nécessaire au fonctionnement des Chambres de
métiers définies par ce projet. Le projet de taxe d'apprentissage
ne concerne pas uniquement les artisans: il prévoit une taxe uniforme de
0,5 % sur les salaires du commerce et de l'industrie35.
Dès que le projet est lancé, la Chambre de
commerce demande l'abandon du projet de taxe d'apprentissage et son
remplacement par un projet organisant l'apprentissage sous la tutelle des
Chambre de commerce 36 . C'est l'uniformité de la taxe qui
déplaît à la Chambre de commerce de Lyon37. Elle
considère que la totalité des commerçants n'en a pas
besoin, et que seule une partie des industriels en aura l'usage. Elle rappelle
les principes auxquels elle est attachée: ce sont les chambres
syndicales patronales qui ont doivent organiser l'apprentissage à leurs
frais. La Chambre de commerce peut une fois que les « Chambre des
métiers » sont organisées par ces derniers, leur accorder
une subvention. Il est possible de mettre en place un système
d'après ces principes sans modifier la législation. Le seul
inconvénient du système tel qu'il est alors praticable, c'est que
les membres du syndicat restent les seuls à subvenir, par leurs
cotisations syndicales, au fonctionnement des « Chambres des
métiers ». Les conditions d'application des principes en vigueur
devraient donc être réglementés pour supprimer ce
dysfonctionnement. La loi que la Chambre de commerce attend aurait pour unique
fonction de faire payer l'intégralité des patrons d'une
même branche, et non les membres du syndicat seulement; la taxe serait
obligatoire pour les seuls industriels, et variable selon les branches. La
Chambre de commerce serait chargée de contrôler l'application de
cette loi.
34. Bulletin mensuel de la Chambre syndicale des industries
métallurgiques, n° 8, août 1924, 6ème
année, page 150, intervention de la Confédération
générale de l'artisanat français [ADR 9M30].
35. Projet de l'article 18 de la loi de finances de 1925.
36. Séance du 22 janvier 1925; lettre aux
sénateurs du 2 avril 1925 [ACCL CR 1923-1925, Compte-rendu des travaux
de l'année 1925, pages 409-422].
37. Lettre du 20janvier 1925 de la Chambre de commerce à
M. Nicolle, député du Nord [ACCL CR 1923-1925, Compterendu des
travaux de l'année 1924, pages 435-437].
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