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L''installation de la chambre de métiers du Rhône, années 1920-années 1930


par Fabrice FLORE-THéBAULT
Université Lyon 2 - Maitrise d'histoire 1998
  

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3.5.3 La résistance à l'uniformisation des réglementations générales au profit des industriels

La mise en place de toutes ces caisses de solidarité aux fonctions multiple plongent certes les artisans dans la perplexité, mais ils conservent la possibilité de ne rien entreprendre: ces caisses sont créées par leurs soins, et ne leur sont pas vraiment imposées. Les artisans restent face à eux-mêmes. L'installation de ces caisses ou la prévision de leur installation est un effet de leur volonté. Ces caisses sont un moyen de conquérir l'autonomie de l'artisanat. Il en va tout autrement pour l'instauration des conventions collectives de travail et de la loi de 40 heures prévues en 1936, ou pour la révision de la patente en 1938. Ces modifications réglementaires touchant le monde du travail dans sa généralité mettent les artisans directement en concurrence avec le grand patronat. Les décisions se prennent sans et contre l'artisanat: son existence n'est prise en compte ni lors de l'élaboration des mesures à prendre, ni dans le contenu des mesures qui vont dans le sens d'une uniformisation du monde du travail.

La logique de la recherche d'un régime d'exception qui gouverne les réactions des artisans n'est pas satisfaite par le progrès des lois sociales. Leurs réactions sont très embarrassées, particulièrement en 1936. Ils ne sont pas hostile sur le fond du problème. Les améliorations proposées leur semblent légitime, et ils aimeraient bien pouvoir en profiter eux aussi. Mais ils souhaiteraient échapper aux nouvelles charges patronales que ces lois imposent. Leur statut d'artisan, de petit entrepreneur dont le statut social est à la frontière de celui de l'ouvrier, n'est pas reconnu en tant que tel. L'artisanat n'est pas consulté lors de l'élaboration des conventions collectives. Il n'a pas non plus été consulté lors de l'établissement des lois sur la semaine de quarante heures et les congés payés.

Sur le moment, en 1936, c'est l'occupation des ateliers lors des grèves qui a le plus choqué les artisans. Ils considèrent que le droit de propriété du patron y disparaît, remplacé par « le droit de propriété du gréviste sur l'emploi occupé par lui immédiatement avant la grève au détriment du chômeur qui, depuis longtemps, aspire à un salaire lui permettant de subvenir aux besoins de sa famille » 209 . Les artisans sont victimes aussi de violences plus crues: certains ont été frappés, certains ont vu leur domicile violé210. Les membres de la Chambre des métiers du Rhône ne sont pas épargnés par le climat de panique généralisée qui touche les artisans: le désordre atteint son comble lors de la rédaction d'un voeu protestant contre les « atteintes à la liberté du travail » et demandant la protection des artisans par les pouvoirs publics211.

Après coup, la Chambre des métiers du Rhône renâcle contre les nouvelles lois. Les artisans doivent appliquer des mesures établies avant tout pour les grandes entreprises. Les conventions collectives, signées entre les représentants des grosses entreprises et les syndicats ouvriers, s'appliquent sans distinction à l'artisanat. Si une organisation syndicale (patronale ou ouvrière) veut obtenir la conclusion d'une convention collective de travail de sa branche, elle peut en saisir le ministère du travail qui est tenu de provoquer la réunion d'une commission mixte chargée d'éla-

209. L'Artisan du sud-est, n°68,juillet-août 1936 [ADR 9M33].

210. L'Artisan du sud-est, n°68,juillet-août 1936 [ADR 9M33].

211. Assemblée plénière 11 du 21 juin 1936. Extrait du registre des délibérations de la réunion générale des commissions, le 26juin 1936 [ADR 9M32].

borer la convention collective demandée. Cette commission doit être composée des représentants des organisations syndicales et ouvrières les plus représentatives de la branche de l'industrie ou du commerce qui demande la convention. Les artisans ne sont pas suffisamment organisés pour pouvoir exiger leur place dans ces commissions. Les conventions élaborées ne font pas de distinction entre le patronat de l'industrie ou du commerce et le patronat de l'artisanat. Les artisans souhaiteraient la conclusion de conventions spécifiques à l'artisanat, mais celles-ci ne peuvent être envisagées que dans le cadre de la convention collective globale valable pour la branche dans son ensemble212.

L'attitude à adopter n'est pas évidente. Les membres de la Chambre des métiers du Rhône s'en remettent d'abord aux directives de leurs dirigeants et de ceux de l'Union des artisans français213. Les artisans s'estiment «pris entre la grosse production dont ils sont obligés d'assumer les charges, sans pouvoir bénéficier des avantages matériels qui viennent d'être accordés à tous les salariés »214. Le sentiment d'urgence est suffisamment fort pour provoquer une réunion extraordinaire de la Chambre des métiers du Rhône en plein mois d'août, afin de lancer les bases d'une accélération du regroupement des artisans en syndicats et de mettre en place un «Front artisanal unique » qui puisse exprimer aux pouvoirs publics les revendications des artisans215. Mieux organisés, les artisans espèrent faire jouer en leur faveur le principe de l'organisation la plus représentative. L'établissement de la convention collective du bâtiment de la Haute-Savoie est ainsi donné en exemple : la question de savoir si leur absence lors de la signature de la convention annulait celle-ci n'a pu être instantanément résolue 216.

La Chambre des métiers du Rhône obtient plus tard d'être consultée. Quand une convention collective est conclue, le ministre du travail peut, par arrêté, la rendre obligatoire pour tous les salariés des professions et des régions comprises dans le champ d'application de cette convention. Lors de la préparation de l'extension des conventions collectives à tout le département, la Chambre des métiers du Rhône est consultée. Elle donne un avis favorable au projet d'extension de la convention collective du tissage, puis du moulinage217. Elle cherche par contre à empêcher l'extension de la convention collective de la métallurgie de la région lyonnaise à tout le département au nom des différences de niveau économique existant entre Lyon et les régions rurales218. De même elle essaie en 1938 d'imposer, d'accord avec la Fédération des artisans du sud-est, «le non assujettissement des artisans aux conséquences de l'extension des conventions collectives de travail conclues entre le grand patronat et la CGT »219.

La Chambre des métiers du Rhône a du s'adapter à l'existence des conventions collectives

212. L'Artisan du sud-est, n°72, avril 1937 [ADR 9M33].

213. Assemblée plénière 11 du 21 juin 1936 [ADR 9M32].

214. Assemblée plénière extraordinaire du 23 août 1936 [ADR 9M32].

215. Assemblée plénière extraordinaire du 23 août 1936 [ADR 9M32].

216. L'Artisan du sud-est, n°72, avril 1937 [ADR 9M33].

217. Lettre du 26 janvier 1937 du président de la Chambre des métiers du Rhône au ministre du travail, donnant un avis favorable au projet d'extension de la convention collective du moulinage, et rappelant l'avis similaire donné par la Chambre des métiers du Rhône le 1er octobre 1936 [ADR 9M33].

218. Assemblée plénière 15 du 2 mai 1937 [ADR 9M32].

219. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938 [ADR 9M32].

qui lui a été imposée, et qui n'avait jamais fait partie de son programme d'action. Elle milite par contre depuis sa création pour la simplification et l'allégement de la fiscalité artisanale. La modification du calcul des patentes est l'objectif principal. Depuis 1923 le «petit artisan » fiscal est exonéré de patente, puisqu'il paye les impôts dur le revenu. Les artisans formant un apprenti sont eux aussi exonérés de patente depuis 1937. Selon la taille de l'entreprise de l'artisan, la manière dont la patente est calculée n'est pas la même: les Chambres de métiers cherchent à élargir à l'ensemble de l'artisanat les bases de calcul les plus avantageuses.

La révision de la patente en 1938 est l'occasion pour les artisans de tenter de faire adopter leurs propositions en matière fiscale. Ils considèrent que la petite et la moyenne entreprise sont trop lourdement chargés. La Chambre des métiers du Rhône rejoint les propositions de la Fédération des artisans du sud-est concernant la fiscalité artisanale. Elle demande l'extension et l'unification de la fiscalité des petits artisans à tous les ressortissants des Chambres de métiers; elle demande aussi que la fiscalité artisanale ne soit plus basée sur la valeur locative mais sur le nombre de personnel employé au cours de l'année précédente220. Cette dernière proposition semble avoir été envisagée par la commission de révision de la patente, ce qui donne des espoirs à la Chambre des métiers du Rhône221.

Mais début 1939, le nouveau régime de taxe à la production supprime le régime des petits producteurs qui payaient une taxe de 2,2%. Une taxe de 9% applicable à tous les producteurs la remplace. Les redevables faisant moins de 400 000 F de chiffre d'affaires annuel devront payer un forfait. La Chambre des métiers du Rhône est piégée: ce nouveau régime est une augmentation de charge pour les artisans, il donne aux négociants plus de facilité à frauder, l'appréciation des bases pour l'établissement d'un forfait va s'avérer très compliquée, l'utilisation de matières premières tantôt exonérées de cette taxe, tantôt assujetties à celle-ci va compliquer la comptabilité de tous ceux qui se retrouveront dans cette situation (en particulier les artisans de l'alimentation), bref, le nouveau régime de taxe à la production ne peut satisfaire les artisans. Ils ne peuvent pourtant pas demander le retour avec l'ancienne taxe dite du « chiffre d'affaires », dont ils demandaient auparavant le suppression. La Chambre des métiers du Rhône ne peut donc que protester vaguement contre les difficultés d'application pratique rencontrées 222.

La révision complète de la patente n'a donc en rien permis à l'artisanat de bénéficier d'une fiscalité avantageuse, au contraire. Les Chambres de métiers continuent donc, après cette révision, à réclamer l'institution d'un statut fiscal unique de l'artisanat223.

220. Assemblée plénière 19 du 25 juin 1938 [ADR 9M32].

221. Assemblée plénière 20 du 30 octobre 1938 [ADR 9M32].

222. Assemblée plénière 21 du 5 février 1939 [ADR 9M32].

223. Assemblée plénière 22 du 23 avril 1939 [ADR 9M32].

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery