1.2 « Conseils de métiers » et «
Chambres des métiers » dans le Rhône
En réponse au projet de loi Courtier, on assiste en
1923 à la création presque simultanée, par des
organisations syndicales patronales, de plusieurs organismes chargés
chacun d'organiser l'apprentissage pour une branche spécifique.
L'unité apparente de ces démarches cache des orientations
radicalement différentes. Montrer l'origine de ces organismes suffirait
presque à montrer leur opposition: elles s'opposent par leur
dénomination, l'identité de leurs créateurs, et celle de
leurs soutiens. Les « Conseils des métiers » sont
créés par des syndicats d'artisans appartenant à la
Fédération des artisans du sud-est, et leur constitution est
approuvée par le sous-secrétariat d'État à
l'enseignement technique. Le premier de ceux-ci est créé le 16
janvier 1923; en octobre 1924, six autres « Conseils des métiers
» ont été formés. Les « Chambres des
métiers » sont créées par des syndicats de patrons de
l'industrie d'après un modèle proposé par la Chambre de
commerce. Elles sont subventionnées et contrôlées par la
chambre de commerce de Lyon. Au nombre de trois, elles sont
créées au printemps 1923.
1.2.1 La création des « Conseils de
métiers »
Alors que le projet de loi Courtier vient d'être
déposé à la Chambre des députés, la
Fédération des artisans du sud-est finit par s'inspirer du
modèle proposé lors du congrès de l'apprentissage de 1921
pour créer ses premiers « Conseils de métiers ». Le
premier « Conseil de métier» est constitué par la
« Corporation des maréchaux ferrants de Lyon» le 16 janvier
1923 14 . C'est une organisation paritaire: les «patrons »
et les « ouvriers », ainsi qu'ils sont désignés,
bénéficient chacun du même nombre de représentants
(quatre). Mais ce sont les patrons, dont les représentants sont presque
tous issus de la Chambre syndicale des patrons maréchaux-ferrants de
Lyon et sa Région, elle- même adhérente à la
Fédération des artisans du sud-est, qui semblent jouer le
rôle moteur dans cette création. Seul l'un des membres des
représentants ouvriers fait explicitement partie du syndicat ouvrier.
Les autres ouvriers n'apparaissent liés à aucune organisation
ouvrière. Leur recrutement semble avoir été fait autant
que possible suivant les affinités avec les patrons, ou du moins en
fonction de la connaissance de ceux-ci: l'ouvrier habitant la même rue
que l'un des patrons était vraisemblablement employé par celui-
ci, ou une de ses connaissances.
On retrouve la présence de la Fédération
des artisans du sud-est dans tous les « Conseils des métiers »
qui sont créés par la suite: après les maréchaux
ferrants, ce sont les artisans de l'habillement (mai 1924), les artisans
photographes (juillet 1924), puis les artisans ébénistes et
tourneurs, les artisans charrons, les artisans bourreliers et selliers et les
artisans tapissiers
14. [ADR 9M30]
(entre août et octobre 1924). Un réseau de «
Conseils de métiers» professionnels, créés par les
syndicats artisanaux de chaque branche, se met progressivement en place.
La Fédération des artisans du sud-est ne met pas
ces « Conseils de métiers» en place seule. M. Wiernsberger,
inspecteur départemental de l'enseignement technique et vice-
président du Comité départemental de l'enseignement
technique assiste à leur assemblée constitutive. Sa fonction lui
permet de mettre ces Conseils directement en liaison avec le sous-
secrétaire d'État à l'enseignement technique.
Le Comité départemental de l'enseignement
technique du Rhône est un soutien sans faille pour les « Conseils de
métiers ». Il élabore avec la Fédération des
artisans du sud-est un projet de création de Chambres de métiers
alternatif à celui prévu par Courtier. Ce projet est
défendu en mars 1923 au Conseil supérieur de l'enseignement
technique par M. Besse, représentant du Comité
départemental de l'enseignement technique du Rhône 15 .
Ce projet est hostile à la création d'une chambre consulaire
élue, sans lien avec le syndicalisme. Il propose que la Chambre de
métiers soit la fédération de Conseils de métiers,
assemblées primaires, paritaires, créées par les syndicats
intéressés, telles qu'il en existe déjà dans le
Rhône. Ce projet essaie en même temps de réduire
l'opposition des Chambres de commerce. La Chambre de commerce, percevant la
taxe d'apprentissage, pourrait être la trésorière des
Chambres de métier, organismes paritaires comprenant des membres de la
Chambre de commerce, des syndicats ouvriers et des syndicats patronaux,
l'essentiel étant d'assurer l'unité du budget d'apprentissage, et
d'éviter sa partition et sa gestion séparée par la Chambre
de commerce d'une part et la Chambre de métiers de l'autre.
La réunion du Comité supérieur de
l'enseignement technique en mars 1923 marque un tournant dans l'histoire des
« Conseils de métiers ». Le soutien au projet de loi Courtier
est décidé par le Comité supérieur de
l'enseignement technique En conséquence le sous-secrétaire
d'État à l'enseignement technique ne peut plus soutenir la
création des « Conseils de métiers» lyonnais. Il avait
pourtant commencé par leur montrer un fort intérêt. Le
premier « Conseil de métiers» avait très rapidement
reçu son approbation. Cette approbation dépasse la requête
de M. Wiernsberger, qui demandait seulement au préfet que:
«à défaut de sanctions légales, [il donne] à
ce premier Conseil de métier lyonnais [ses] encouragements, et [signale]
son existence à M. le Sous-secrétaire d'État de
l'enseignement technique » 16 . Il présentait ceci comme un
encouragement à organisme qui anticipe l'application d'une loi qui n'a
pas encore été votée, mais qui est nécessaire et en
gestation: ce « Conseil de métiers » est une tentative pour
« créer par avance un organisme qui aura certainement un rôle
important à jouer dans toutes les questions qui concernent
l'apprentissage »[ 1726]. Cette création est bien
comprise ainsi par le sous- secrétaire d'État à
l'enseignement technique, qui répond: «Encore qu'aucune loi n'ait
donné une existence légale à des organismes de cette
espèce, je ne puis qu'approuver l'initiative prise par la corporation
dont il s'agit18 ». Les arguments de l'inspecteur semblent donc
avoir touché l'admi-
15. La Formation professionnelle, n°63, ouvrage
cité, page 350 [ADR 9M30].
16. Lettre du 16 janvier 1923 de M. Wiernsberger au
préfet, transmise par celui-ci au sous-secrétaire d'État
à l'enseignement technique le 27 janvier 1923 [ADR 9M30].
17. Lettre du 16 janvier 1923 de M. Wiernsberger au
préfet, transmise par celui-ci au sous-secrétaire d'État
à l'enseignement technique le 27 janvier 1923 [ADR 9M30].
18. Réponse du sous-secrétaire d'État
à l'enseignement technique à M. Wiernsberger, le 2 février
1923 [ADR 9M30].
nistration centrale: aucun obstacle ne s'oppose à la
création de « Conseils de métier» les plus nombreux
possibles, et la volonté de l'inspecteur de « [s] 'efforcer de
provoquer la création de «Conseils de métier » pour
d'autres corporations lyonnaises » ne rencontre aucun écho
négatif.
Le premier « Conseil de métiers» est le seul
à recevoir aussi rapidement l'approbation du sous-secrétaire
d'État à l'enseignement technique. Après la réunion
des 6 et 7 mars du Comité supérieur de l'enseignement technique
où l'opposition des lyonnais au projet Courtier a été
exprimée, et où le soutien au projet de loi a été
décidé par le ministère, aucune approbation n'est plus
accordée. Alors que la réponse du sous-secrétaire
d'État à l'enseignement technique était parvenue quinze
jours après pour le premier « Conseil de métier », il
faut attendre trois mois l'approbation de la constitution du second «
Conseil de métier », celui de l'habillement: demandée le 23
mai 1924, elle est accordée le 13 août 1924 19.
Encore cette approbation ne se fait-elle pas dans les mêmes
conditions: elle suit une mise en garde de M. Wiernsberger, qui rappelle au
ministère l'utilité d'une réponse20. Cette
démarche permet au sous-secrétaire d'État à
l'enseignement technique de prendre connaissance de la création des
« Conseils de métiers » et de leurs statuts. Mais
l'approbation par le ministère n'est pas indispensable à la
création de « Conseils de métiers ». L'absence de
réponse du ministère ne peut donc inciter ces derniers à
se déclarer dès leur formation. C'est dans ces conditions que
l'annonce de la création du troisième « Conseil de
métiers », celui des artisans photographes, n'est
accompagnée ni des statuts de celui-ci, ni d'une demande
d'approbation21.
A partir de ce moment, il n'est plus question d'approbation,
mais le sous- secrétariat d'État à l'enseignement
technique demande que les statuts de ce « Conseil de métiers »
des artisans photographes lui soient transmis22 : c'est de cette
manière que l'on apprend la création des quatre «Conseils de
métiers » suivants23.
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