WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L''installation de la chambre de métiers du Rhône, années 1920-années 1930


par Fabrice FLORE-THéBAULT
Université Lyon 2 - Maitrise d'histoire 1998
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

3.2 Des électeurs aux membres

3.2.1 Les électeurs de la Chambre de métiers du Rhône

3.2.1.1 Un électorat déjà construit?

Les membres de la Chambre des métiers du Rhône sont directement élus par les artisans inscrits sur les listes électorales de la Chambre des métiers du Rhône, et dès août 1936, inscrits au registre des métiers. Autrement dit, l'inscription à la Chambre de métiers ne se fait pas de la même manière que l'inscription à un syndicat: elle n'est pas un acte volontaire et militant, elle est une obligation.

L'institution étant toute nouvelle, sa mise en place passe par la constitution de son électorat, par sa reconnaissance plutôt, puisqu'il est supposé être déjà constitué. Tout le problème est bien sûr de savoir qui est ressortissant de la Chambre de métiers, de savoir comment appliquer les critères de la loi, de savoir qui inscrire. Le problème de la définition de l'artisan n'étant pas entièrement résolu, certains ressortissants ne sont que provisoirement inscrits, tandis que certains artisans, ressortissants potentiels, sont peut-être écartés de la Chambre...

Si l'institution ne change pas de forme, d'appellation ou autre, ses électeurs changent rapidement de définition: entre 1925 et 1939, la définition de l'artisan ressortissant de la Chambre de métiers évolue. Elle est précisée dans un sens de plus en plus strict. En 1925 la taille de l'entreprise n'est pas formellement limitée, car elle n'est qu'un des éléments d'appréciation de l'appartenance à l'artisanat. En 1938 le nombre maximal de compagnons et d'apprentis que peut employer un artisan est limité à 5. En outre, la définition valable pour les Chambres de métiers n'a aucune valeur par ailleurs: la fiscalité ne reconnaît que le «petit artisan » fiscal.

Les artisans se considèrent-ils comme des artisans? Cette question ne peut pas trouver de réponse tant que l'on n'a pas précisé quelle définition de l'artisan utiliser. Les artisans remplissant les conditions pour être ressortissants des Chambres de métiers savent-ils qu'ils les remplissent et souhaitent-ils se faire inscrire comme artisan? Les réponses seront variables suivant le moment où la question sera posée.

La loi du 27 mars 1934 laisse à chaque département la possibilité de fixer une limite de taille particulière à chaque métier, à condition qu'elle soit inférieure ou égale à 10 employés. La Chambre de métiers est hostile à toute limitation, si bien qu'aucun arrêté n'est pris dans le Rhône en application de cette loi. Néanmoins dès la publication de la loi, alors que celle-ci ne peut être

appliquée, des artisans s'inquiètent du nombre maximal de compagnons qu'ils peuvent employer tout en gardant le statut d'artisan 14. D'autres ne savent pas vraiment s'ils peuvent bénéficier du statut d'artisan. «Ai-je le droit à être dénommé artisan? » demande l'un d'eux 15. Ce statut en tous cas semble leur être extérieur. C'est avant tout un statut administratif qui, espèrent-ils, per-met d'échapper à « certaines charges ». L'un d'eux écrit: «Si je pouvais adhérer à l'artisanat la suppression de certaines charges me permettrait de faire face aux difficultés actuelles en attendant une ère meilleure » 16. Croit- il que l'inscription à la Chambre de métiers permet de bénéficier du statut d'artisan fiscal?

Tous les artisans ne sont pas aussi pressés de s'inscrire à la Chambre des métiers du Rhône Pour certains cette inscription est assimilée à une dépense plutôt qu'à un gain, et elle est différée tant qu'il est possible d'y échapper. En 1941 une repasseuse essaie encore d'éviter l'inscription «maintenantj'ai 67 ans obligé encore de travaille l'on me dit que pour continué et avoir ce dont j'ai besoin pour mon travail, il faut me mettre de la chambre des métiers, dépense pour moi etje suis loin de gagné comme les salariés, je n'ai droit a aucune retraite, ne pourrais tont pas faire quelques choses pour les petits artisans car je ne suis pas seul dans mon cas ou tout au moins nous laissé travaillé sans nous obligé a toutes ces formalités et ces dépenses » 17. Même si cette lettre date de 1941, son contenu est à prendre en compte, car elle est la seule qui mette àjour les raisons du sous-enregistrement manifeste des artisans à la Chambre de métiers. Elle n'est pas un cas isolé.

Le sous-enregistrement des artisans à la Chambre de métiers préoccupe ses membres de manière récurrente. La Chambre des métiers du Rhône organise entre 1935 et 1936 un recensement artisanal pour établir la liste des ressortissants non inscrits 18. Ce travail de longue haleine a commencé par l'envoi d'une circulaire aux maires. Les 80 réponses reçues avant le 15 décembre 1935 ont permis une augmentation de 20% du nombre d'inscrits. Le recensement prévu pour 1936 emploie d'autres moyens: la Chambre des métiers du Rhône consacre 10 000 F à la rémunération des personnes chargées d'enquêter dans tout le département (soit 8,5% de l'excédent de recettes prévu en 1936 àla suite de l'augmentation de la taxe pour frais de Chambre de métiers). Le sous- enregistrement des artisans au registre des métiers est encore l'une des préoccupations de la Chambre des métiers du Rhône en 1938. Au printemps l'un de ses correspondants demande des conférences pour remédier à l'hostilité de nombreux artisans à la Chambre des métiers du Rhône, due à leur ignorance de son utilité 19. A l'automne la Chambre de métiers cherche à faire appliquer l'amende prévue à tous les artisans qui ne se sont pas inscrits au registre des métiers 20.

Enfin, pourquoi s'inscrire? Quels sont les avantages que vont retirer les artisans d'une telle inscription? Est-ce une charge ou des avantages qu'elle procure? L'inscription à la Chambre

14. Deux lettres du 31 mai 1934 d'artisans àla préfecture [ADR 9M33].

15. Lettre au préfet du 19 mai 1934 de M. Guillaume, fabricant de caisses d'emballage à Villeurbanne [ADR 9M33].

16. Lettre au préfet du 5 juin 1934 de M. Rossi, tailleur à Lyon [ADR 9M33].

17. Lettre au maréchal Pétain du 16 avril 1941 de Mme. Peillon, repasseuse à Francheville-le-bas. La lettre est reproduite sans correction [ADR 9M33].

18. Assemblée plénière 8 du 15 décembre 1935: additifau budget de 1936 [ADR 9M32].

19. Assemblée plénière 18 du 6 mars 1938 [ADR 9M32].

20. Assemblée plénière 20 du 30 octobre 1938: voeu n°244 [ADR 9M32].

de métiers était gratuite jusqu'à l'institution du registre des métiers. L'immatriculation, faite par le tribunal de commerce, est ensuite soumise au timbre de dimension. Pour que l'institution soit attirante, les certificats sont délivrés gratuitement par la Chambre des métiers du Rhône Cela n'est pas du goût de l'administration des finances, qui réclame la perception des droits non perçus depuis l'origine21. La Chambre des métiers du Rhône essaie d'obtenir du ministre du travail l'exonération du paiement de ces droits jusqu'à cette date, cette réclamation mett ant en danger son assise financière 22.

3.2.1.2 Un électorat peu homogène

La Chambre des métiers du Rhône est avant tout une organisation dédiée aux artisans maîtres. Que l'on considère le nombre d'inscrits et son évolution, la répartition des membres par catégorie ou leur répartition géographique, tout oppose le comportement de la population des compagnons à celle des maîtres23. L'organisation de la chambre paraît toujours mieux adaptée à ces derniers.

En répartissant les sièges pour un tiers aux compagnons, et pour deux tiers aux maîtres, laissant ainsi de côté l'idée d'une institution paritaire, la Chambre des métiers du Rhône donne pourtant aux compagnons une position qui les avantage en terme de nombre. Entre 1935 et 1938, les compagnons ne représentent en moyenne que 12% du total des électeurs. L'ensemble des compagnons employés par des artisans est-il pourtant inscrit à la Chambre des métiers du Rhône? On attendrait un nombre de compagnons largement plus élevé dans la circonscription d'une Chambre de métiers aussi fermement opposée à la limitation de l'artisanat par la taille. Faut-il en déduire un désintérêt des compagnons pour cette institution avant tout patronale? L'attention des artisans ne s'est jamais longtemps attardée sur ce problème. La question semble avoir été réglée très rapidement, dès juin 1928, par les artisans-maîtres de la Fédération des artisans du sud-est: le compagnon ressortissant des Chambres de métiers serait celui qui est employé chez un maître artisan24. La définition de l'artisan maître a incomparablement plus posé problème. De fait les patrons artisans ont touj ours été l'élément moteur des Chambres de métiers: une participation trop active des compagnons les ennuierait plutôt; ils n'ont aucun intérêt à ce qu'ils s'inscrivent trop nombreux.

Le nombre d'électeurs maîtres décline légèrement entre 1935 et 1938 (-6,6%). Ce déclin global cache pourtant une évolution beaucoup plus saccadée: toutes les catégories croissent entre 1935 et 1936, se stabilisent ensuite, et ne perdent d'électeurs qu'entre 1937 et 1938, sauf la 5ème catégorie, celle des métiers du textile.

Le nombre des artisans des métiers du textile décline dès 1935. La catégorie est aussi globalement la plus touchée par le déclin (-32,2% entre 1935 et 1938). La crise de l'industrie du textile se répercute sur les artisans, surtout entre 1935 et 1936 (-17,6%). Cette catégorie d'artisans est d'ailleurs très particulière: ils sont plutôt apparentés aux ouvriers à domicile qu'aux artisans à

21. Lettre du 2 septembre 1938 de M. Suche, inspecteur au bureau de contrôle de Lyon-Commerce à la Chambre des métiers du Rhône [ADR 9M33].

22. Lettre du 12 septembre 1938 du président de la Chambre des métiers du Rhône au ministre du travail [ADR 9M33].

23. Voir les tableaux 3.1 page suivante et 3.2 page 46.

24. L'Artisan du sud-est,juin 1928 [BMLPDR F383].

TABLEAU 3.1 -: Les électeurs maîtres à la Chambre des métiers du Rhône, 1933-1938

Catégorie

Année a

Électeurs

Votants

Taux de
participa- tion

Évolution du nombre d'électeurs depuis l'année précédente

Évolution du nombre de votants entre 1933 et 1936

1

1933

 

343

 
 
 

1935

1589

 
 
 
 

1936

2107

482

22,9%

+32,6%

+40,5%

1937

2078

 
 

-1,4%

 

1938

1760

 
 

-15,3%

 

2

1933

 

416

 
 
 

1935

1593

 
 
 
 

1936

1669

664

39,8%

+4,8%

+59,6%

1937

1730

 
 

+3,7%

 

1938

1637

 
 

-5,4%

 

3

1933

 

245

 
 
 

1935

744

 
 
 
 

1936

751

319

42,5%

+0,9%

+30,2%

1937

754

 
 

+0,4%

 

1938

687

 
 

-8,9%

 

4

1933

 

320

 
 
 

1935

1117

 
 
 
 

1936

1226

465

37,9%

+9,8%

+45,3%

1937

1271

 
 

+3,7%

 

1938

1150

 
 

-9,5%

 

5

1933

 

485

 
 
 

1935

2614

 
 
 
 

1936

2155

687

31,9%

-17,6%

+41,6%

1937

2153

 
 

-0,1%

 

1938

1771

 
 

-17,7%

 

6

1933

 

318

 
 
 

1935

1234

 
 
 
 

1936

1371

615

44,9%

+11,1%

+93,4%

1937

1411

 
 

+2,9%

 

1938

1303

 
 

-7,7%

 

Total

1933

 

2127

 
 
 

1935

8891

 
 
 
 

1936

9279

3232

34,8%

+4,4%

+52,0%

1937

9397

 
 

+1,3%

 

1938

8308

 
 

-11,6%

 

a Élections de 1933 et 1936 [ADR 9M36], électeurs de 1935 à 1938 [ADR 9M37].1: alimentation; 2: bâtiment; 3: bois,

ameublement; 4: métallurgie; 5: textile, habillement; 6: divers: cuir, soins personnels, décoration

TABLEAU 3.2 -: Les électeurs compagnons à la Chambre des métiers du Rhône, 1933-1938

Catégorie

Année a

Électeurs

Votants

Taux de
participa- tion

Évolution du nombre d'électeurs depuis l'année précédente

Évolution du nombre de votants entre 1933 et 1936

1

1933

 

15

 
 
 

1935

183

 
 
 
 

1936

142

26

18,3%

-22,4%

+73,3%

1937

141

 
 

-0,7%

 

1938

148

 
 

+5,0%

 

2

1933

 

101

 
 
 

1935

481

 
 
 
 

1936

497

110

22,1%

+3,3%

+8,9%

1937

461

 
 

-7,2%

 

1938

400

 
 

-13,2%

 

3

1933

 

41

 
 
 

1935

160

 
 
 
 

1936

143

31

21,7%

-10,6%

-24,4%

1937

117

 
 

-18,2%

 

1938

104

 
 

-11,1%

 

4

1933

 

48

 
 
 

1935

159

 
 
 
 

1936

160

40

25,0%

+0,6%

-16,7%

1937

164

 
 

+2,5%

 

1938

143

 
 

-12,8%

 

5

1933

 

54

 
 
 

1935

290

 
 
 
 

1936

259

39

15,1%

-10,7%

-27,8%

1937

250

 
 

-3,5%

 

1938

200

 
 

-20,0%

 

6

1933

 

20

 
 
 

1935

109

 
 
 
 

1936

82

32

39,0%

-24,8%

+60,0%

1937

91

 
 

+11,0%

 

1938

84

 
 

-7,7%

 

Total

1933

 

279

 
 
 

1935

1382

 
 
 
 

1936

1283

278

21,7%

-7,2%

-0,4%

1937

1224

 
 

-4,6%

 

1938

1079

 
 

-11,8%

 

a Élections de 1933 et 1936 [ADR 9M36], électeurs de 1935 à 1938 [ADR 9M37].1: alimentation; 2: bâtiment; 3: bois,

ameublement; 4: métallurgie; 5: textile, habillement; 6: divers: cuir, soins personnels, décoration

proprement parler. Leur originalité se remarque déjà ici; leur situation sera étudiée plus en détail lorsqu'il s'agira d'expliquer comment leur position marginale, entre artisans et ouvriers, a pu poser un problème d'identité à la Chambre.

Pour les autres catégories, l'effet du recensement effectué par la Chambre des métiers du Rhône début 1936, puis de l'installation du registre des métiers en 1938 expliquent pour une large part les variations de la population électorale. Le recensement a porté ses fruits: il a permis l'inscription des ressortissants non inscrits, comme le montre la forte croissance du nombre d'électeurs entre 1935 et 1936 (globalement +13,5%). L'année suivante montre une évolution du nombre d'artisans plus proche de la réalité: le nombre de ressortissants reste stable; il augmente partout légèrement, saufchez les artisans de l'alimentation.

Les différences entre les rythmes de croissances jusqu'en 1937 correspondent aussi aux différences d'intégration à l'artisanat. Les artisans de l'alimentation, avertis depuis moins longtemps par leurs syndicats qu'ils font partie de l'artisanat, ont certainement mis plus de temps à s'inscrire à la Chambre de métiers; et ceci d'autant plus que cette intégration a été très contestée. Ceci expliquerait la très forte croissance des adhésions des maîtres de cette catégorie entre 1935 et 1936 (+32,6%), qui dépasse largement le mouvement des autres catégories. Cela expliquerait aussi que la catégorie soit la seule à décliner légèrement (-1,4%) dès que l'inscription n'est pas imposée par les résultats d'un recensement de la Chambre des métiers du Rhône L'hétéroclite 6ème catégorie, dans une moindre mesure, se trouve dans la même situation. Pour les catégories restantes, l'inscription des membres semble s'être terminée plus tôt: la période de croissance s'est déjà terminée en 1935. L'augmentation du nombre de votants dans toutes les catégories entre 1933 et 1936 la révèle pourtant.

L'effet de la limitation de l'artisanat aux maîtres employant moins de 5 compagnons ou apprentis en mai 1938 se fait ressentir sur toutes les catégories de maîtres: le nombre de ressortissants décline partout entre 1937 et 1938. On peut ainsi reconnaître les catégories comptant le plus de «gros artisans ». Les artisans du textile sont les plus touchés (-17,7%), mais l'effet de la loi est cumulé avec la crise qui traverse leur branche. Les métiers de l'alimentation sont parmi ceux qui perdent le plus de ressortissants (-15,3%). Ils ont encore une place à part: peut-être est-ce parce qu'ils sont la catégorie qui compte le plus de «gros artisans » que leur intégration a été si difficile. Rappelons qu'ils étaient les seuls à n'être pas dotés de syndicats spécifiquement artisanaux. Les autres catégories comptent entre 5 et 10% de ces « gros artisans ». La loi n'a donc pas touché le plus gros des effectifs de la chambre: neuf artisans sur dix sont des «petits» ou « moyens artisans », et continuent à faire partie de la Chambre de métiers.

Le même schéma ne s'applique pas aux compagnons. Ni l'effet de la limitation à cinq compagnons de l'artisanat, ni la période d'inscription des membres n'apparaissent. Le nombre de compagnons décline assez régulièrement dans toutes les catégories entre 1935 et 1938. Déclin réel durable de l'artisanat qui n'emploie plus, période de chômage due à la crise ou non inscription de compagnons qui se désintéressent d'une institution trop marquée par les patrons? La 3ème catégorie (ameublement et bois) et la 5ème catégorie (textile) sont les plus touchées (-35% et -3 1%). Ce sont aussi les seules catégories en déclin chez les maîtres. La 1ère et la 6ème catégories chutent pourtant chacune d'environ 20% alors que ces mêmes catégories croissent chez les maîtres. Cette évolution ne correspond pas à l'évolution du nombre de compagnons votants:

il reste stable entre 1933 et 1936. L'évolution par catégories est beaucoup plus contrastée: le nombre de compagnons des catégories 1 et 6 augmente fortement (+73% et +60%); les catégories 3, 4 et 5 se répartissent les pertes (-24%, -17% et -28%). L'ampleur et la disparité des variations doivent être tempérées par la prise en compte de la faiblesse du nombre des compagnons.

La répartition des métiers en catégories n'a pas réparti de manière équitable le nombre des artisans. Observons la situation en 1936. Chez les compagnons, c'est une évidence: 40% de ceux-ci appartiennent aux métiers du bâtiment (catégorie 2), et 20% aux métiers du textile (catégorie 5), alors que les métiers de la sixième catégorie n'emploient presque aucun compagnon (6%). C'est pourtant la catégorie la plus diverse, qui compte le plus grand nombre de métiers. Chez les maîtres la disproportion de la répartition par catégorie est moins voyante. Pourtant les métiers de l'alimentation (catégorie 1) et ceux du textile (catégorie 5) comptent chacun 23% du nombre total de maîtres, alors que les métiers de l'ameublement et du bois (catégorie 3) n'en comptent que 8%.

Cette disproportion est due à la manière dont ont été conçues les catégories. La répartition n'a pas été faite en fonction du nombre d'artisans, de manière à ce que la Chambre des métiers du Rhône représente autant que possible la population artisanale réelle du département. Le recensement effectué par les mairies en 1932 comportait déjà la classification en catégories utilisée par la Chambre des métiers du Rhône Le regroupement des métiers par catégories s'est fait d'après une classification par secteurs. Le matériau travaillé est dans la majorité des cas le facteur discriminant: produits alimentaires (catégorie 1), bois (catégorie 3), métal (catégorie 4), textile (catégorie 5); la seconde catégorie trouve par contre son unité dans le lieu de travail: le chantier de construction des bâtiments. Toutes ces catégories n'ont rien d'original. Seule la sixième catégorie semble échapper à ce système: elle regroupe les métiers les plus hétéroclites: métiers du cuir, du livre, des arts graphiques, et de la musique, bijouterie, décoration, services aux personnes et hygiène. S'il fallait trouver une unité à cette catégorie, on ne pourrait que la considérer comme celle dont le travail fait le plus explicitement partie du domaine des représentations symboliques.

L'intérêt des maîtres pour les élections de 1936 est nettement plus marqué que celui des compagnons: 35% des maîtres inscrits vont voter, contre 22% des compagnons. Les catégories 1 et 5 sont celles qui participent le moins, chez les maîtres (22,9% et 31,9%) comme chez les compagnons (18,3% et 15,1%). Elles sont aussi celles pour lesquelles l'appartenance à l'artisanat est la moins évidente. Il a déjà été question de la position des métiers de l'alimentation, qui hésitent à adhérer à l'artisanat plutôt qu'au commerce. Les métiers du textile sont eux aussi un cas à part dans la chambre: en déclin constant, ils sont les seuls à hésiter entre le statut d'artisan et celui d'ouvrier à domicile. La 6ème catégorie est celle qui participe le plus (45%). C'est même la seule où les compagnons participent avec un entrain égal à celui des maîtres. Ils rattrapent leur infériorité numérique par leur plus grande mobilisation: grâce à un taux de participation de 39%, ils représentent 12% des votants.

La répartition géographique des maîtres et celle des compagnons n'obéit pas une même logique: alors que les maîtres sont concentrés dans Lyon, très peu de compagnons sont inscrits à la Chambre des métiers du Rhône dans la ville. La répartition des compagnons est beaucoup moins homogène que celle des maîtres. Vu le très petit nombre de compagnons dans chaque canton, une étude plus précise de leur répartition géographique n'aurait pas grand sens. Il faut donc se

contenter de détailler la répartition des artisans-maîtres.

TABLEAU 3.3 -: Lepoids des lyonnais chez les électeurs maîtres-artisans

Catégorie

1935

1936

1937

1938

1

38%

45%

45%

40%

2

22%

24%

23%

23%

3

17%

20%

19%

20%

4

34%

36%

35%

34%

5

68%

59%

59%

53%

6

49%

51%

50%

52%

Le lieu qui regroupe le plus d'artisans maîtres, c'est Lyon25. Entre un sixième et deux tiers des ressortissants maîtres de chaque catégorie y sont concentrés. On peut ainsi reconnaître les catégories les plus urbaines: ce sont les catégories 1, 5 et 6, où ils représentent plus du tiers du total. On peut estimer que la force des métiers de l'alimentation (catégorie 1) est en relation directe avec la densité depopulation du canton: on a partout besoin des artisans de l'alimentation, encore peu concurrencés par la grande distribution et l'industrie agro-alimentaire. La force des métiers du textile ne fait que confirmer la puissance de cette industrie dans la ville. Le déclin de laplace de Lyon dans cette catégorie met les artisans lyonnais du textile à part: ils sont beaucoup plus touchés par la crise que les artisans du reste du département. L'éternel problème resurgit: s'agit-il bien, à Lyon, d'artisans à proprement parler? La 6ème catégorie, la plus hétéroclite apparemment, trouve ici son unité: c'est une catégorie à dominante urbaine. Au contraire, les métiers du bâtiment, du bois et de l'ameublement, beaucoup plus traditionnels, sont à dominante rurale; ils sont beaucoup mieux répartis dans tout le département.

Les cantons les plus proches de Lyon sont aussi ceux où le nombre d'artisans est le plus élevé26. Vaugneray, Villeurbanne, L'Arbresle et Neuville-sur-Saône se détachent des autres. La proximité de la grande ville se marque aussi par l'importance des mêmes catégories 1, 5 et 6. C'est seulement dans ces cantons que le nombre d'artisans-maîtres de ces catégories dépasse 4%. Vaugneray compte la seconde concentration en artisans du textile après Lyon (9,61%). Le nombre d'artisans maîtres de l'alimentation est particulièrement élevé à Villeurbanne (8,7% du total des artisans de l'alimentation en 1936). Villeurbanne et L'Arbresle sont les seuls cantons où les métiers de la catégorie 6 se soient un peu développés (4,38% et 4,08%).

Les métiers du bâtiment, du bois et de l'alimentation et du textile sont mieux représentés dans le reste du département. Leur répartition est aussi beaucoup plus équilibrée.

La comparaison entre la situation en 1935 et celle de 1938 permet d'isoler les cantons les plus dynamiques, où le nombre d'artisans-maîtres augmente dans toutes les catégorie, et ceux qui déclinent, où le nombre d'électeurs est partout en baisse. Ces derniers sont les plus nombreux: L'Arbresle, Neuville-sur-Saône, Belleville, Saint-Laurent-de-Chamousset, Monsols, Mornant,

25. Voir le tableau 3.3.

26. Voir le tableau 3.4 page suivante.

TABLEAU 3.4 -: Répartition géographique par catégorie des maîtres non lyonnais en 1936

 

Catégories

Canton

1

2

3

4

5

6

Toutes

Vaugneray

6,8%

8,4%

6,1%

7,0%

23,5%

6,6%

9,8%

Villeurbanne

15,7%

4,6%

2,5%

7,1%

4,0%

8,9%

7,5%

L'Arbresle

5,5%

5,9%

5,6%

6,1%

6,7%

8,3%

6,2%

Neuville-sur-Saône

4,4%

7,4%

2,5%

6,4%

6,8%

7,7%

6,0%

Belleville

4,4%

6,0%

7,0%

6,6%

4,2%

5,8%

5,5%

Beaujeu

4,6%

5,6%

8,4%

7,1%

3,8%

4,3%

5,5%

Thizy

5,0%

5,2%

4,3%

2,9%

4,8%

7,5%

4,9%

Saint-Laurent-de-Chamousset

5,0%

5,3%

5,1%

5,2%

3,8%

4,6%

4,9%

Saint-Genis-Laval

5,5%

6,2%

3,5%

5,0%

2,7%

5,4%

4,9%

Villefranche

5,0%

5,7%

6,3%

5,1%

2,4%

2,2%

4,5%

Lamure-sur-Azergues

3,3%

4,0%

9,8%

3,7%

4,7%

3,7%

4,5%

Monsols

2,7%

5,4%

9,8%

3,9%

3,9%

1,5%

4,3%

Saint-Symphorien-sur-Coise

4,7%

3,1%

5,5%

3,8%

5,0%

4,6%

4,3%

Tarare

3,8%

4,3%

4,0%

4,2%

4,3%

3,6%

4,1%

Limonest

4,1%

4,3%

1,8%

5,1%

4,9%

3,3%

4,1%

Le-Bois-d'Oingt

3,6%

3,9%

5,0%

4,6%

4,0%

3,1%

4,0%

Mornant

3,8%

3,5%

4,0%

3,8%

2,6%

5,4%

3,7%

Amplepuis

3,3%

3,7%

3,3%

2,9%

3,8%

3,7%

3,5%

Condrieu

1,8%

3,0%

2,6%

3,4%

1,8%

3,9%

2,9%

Anse

3,0%

2,4%

1,7%

3,8%

1,7%

3,0%

2,6%

Givors

4,0%

2,1%

1,3%

2,2%

0,8%

2,8%

2,3%

Ensemble

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

Condrieu, les quatre premiers faisant par ailleurs des cantons les plus riches en artisans. Givors et Villeurbanne sont les seuls où le nombre d'artisans augmente partout. A Villeurbanne la progression est spectaculaire: le nombre d'artisans de l'alimentation, comme celui de la métallurgie, a été multiplié par 3,5, alors que le nombre d'artisans du bâtiment a été multiplié par 2,5.

La crise des industries du textile se fait ressentir presque partout: le nombre d'artisans maîtres décroît dans 12 cantons sur 22. C'est cependant à Lyon qu'elle est la plus spectaculaire: 836 artisans-maîtres, soit la moitié des artisans lyonnais de cette catégorie disparaissent entre 1935 et 1938. Vaugneray, le second centre d'artisanat du textile du Rhône avec plus de 200 artisansmaîtres, s'en sort beaucoup mieux: le nombre d'artisans progresse même de 13% entre 1935 et 1938. Le sort des cantons comptant plus de 40 artisans-maîtres est lui très variable: L'Arbresle et Neuville-sur- Saône déclinent (-32% et -18%), Tarare stagne (+8%) et Thizy progresse (+31%). La progression la plus forte est celle de Villeurbanne qui passe de 15 à 38 artisans.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault