3.2 Des électeurs aux membres
3.2.1 Les électeurs de la Chambre de métiers
du Rhône
3.2.1.1 Un électorat déjà
construit?
Les membres de la Chambre des métiers du Rhône
sont directement élus par les artisans inscrits sur les listes
électorales de la Chambre des métiers du Rhône, et
dès août 1936, inscrits au registre des métiers. Autrement
dit, l'inscription à la Chambre de métiers ne se fait pas de la
même manière que l'inscription à un syndicat: elle n'est
pas un acte volontaire et militant, elle est une obligation.
L'institution étant toute nouvelle, sa mise en place
passe par la constitution de son électorat, par sa reconnaissance
plutôt, puisqu'il est supposé être déjà
constitué. Tout le problème est bien sûr de savoir qui est
ressortissant de la Chambre de métiers, de savoir comment appliquer les
critères de la loi, de savoir qui inscrire. Le problème de la
définition de l'artisan n'étant pas entièrement
résolu, certains ressortissants ne sont que provisoirement inscrits,
tandis que certains artisans, ressortissants potentiels, sont peut-être
écartés de la Chambre...
Si l'institution ne change pas de forme, d'appellation ou
autre, ses électeurs changent rapidement de définition: entre
1925 et 1939, la définition de l'artisan ressortissant de la Chambre de
métiers évolue. Elle est précisée dans un sens de
plus en plus strict. En 1925 la taille de l'entreprise n'est pas formellement
limitée, car elle n'est qu'un des éléments
d'appréciation de l'appartenance à l'artisanat. En 1938 le nombre
maximal de compagnons et d'apprentis que peut employer un artisan est
limité à 5. En outre, la définition valable pour les
Chambres de métiers n'a aucune valeur par ailleurs: la fiscalité
ne reconnaît que le «petit artisan » fiscal.
Les artisans se considèrent-ils comme des artisans?
Cette question ne peut pas trouver de réponse tant que l'on n'a pas
précisé quelle définition de l'artisan utiliser. Les
artisans remplissant les conditions pour être ressortissants des Chambres
de métiers savent-ils qu'ils les remplissent et souhaitent-ils se faire
inscrire comme artisan? Les réponses seront variables suivant le moment
où la question sera posée.
La loi du 27 mars 1934 laisse à chaque
département la possibilité de fixer une limite de taille
particulière à chaque métier, à condition qu'elle
soit inférieure ou égale à 10 employés. La Chambre
de métiers est hostile à toute limitation, si bien qu'aucun
arrêté n'est pris dans le Rhône en application de cette loi.
Néanmoins dès la publication de la loi, alors que celle-ci ne
peut être
appliquée, des artisans s'inquiètent du nombre
maximal de compagnons qu'ils peuvent employer tout en gardant le statut
d'artisan 14. D'autres ne savent pas vraiment s'ils
peuvent bénéficier du statut d'artisan. «Ai-je le droit
à être dénommé artisan? » demande l'un d'eux
15. Ce statut en tous cas semble leur être
extérieur. C'est avant tout un statut administratif qui,
espèrent-ils, per-met d'échapper à « certaines
charges ». L'un d'eux écrit: «Si je pouvais adhérer
à l'artisanat la suppression de certaines charges me permettrait de
faire face aux difficultés actuelles en attendant une ère
meilleure » 16. Croit- il que l'inscription à
la Chambre de métiers permet de bénéficier du statut
d'artisan fiscal?
Tous les artisans ne sont pas aussi pressés de
s'inscrire à la Chambre des métiers du Rhône Pour certains
cette inscription est assimilée à une dépense plutôt
qu'à un gain, et elle est différée tant qu'il est possible
d'y échapper. En 1941 une repasseuse essaie encore d'éviter
l'inscription «maintenantj'ai 67 ans obligé encore de travaille
l'on me dit que pour continué et avoir ce dont j'ai besoin pour mon
travail, il faut me mettre de la chambre des métiers, dépense
pour moi etje suis loin de gagné comme les salariés, je n'ai
droit a aucune retraite, ne pourrais tont pas faire quelques choses pour les
petits artisans car je ne suis pas seul dans mon cas ou tout au moins nous
laissé travaillé sans nous obligé a toutes ces
formalités et ces dépenses » 17.
Même si cette lettre date de 1941, son contenu est à prendre
en compte, car elle est la seule qui mette àjour les raisons du
sous-enregistrement manifeste des artisans à la Chambre de
métiers. Elle n'est pas un cas isolé.
Le sous-enregistrement des artisans à la Chambre de
métiers préoccupe ses membres de manière
récurrente. La Chambre des métiers du Rhône organise entre
1935 et 1936 un recensement artisanal pour établir la liste des
ressortissants non inscrits 18. Ce travail de longue
haleine a commencé par l'envoi d'une circulaire aux maires. Les 80
réponses reçues avant le 15 décembre 1935 ont permis une
augmentation de 20% du nombre d'inscrits. Le recensement prévu pour 1936
emploie d'autres moyens: la Chambre des métiers du Rhône consacre
10 000 F à la rémunération des personnes chargées
d'enquêter dans tout le département (soit 8,5% de
l'excédent de recettes prévu en 1936 àla suite de
l'augmentation de la taxe pour frais de Chambre de métiers). Le sous-
enregistrement des artisans au registre des métiers est encore l'une des
préoccupations de la Chambre des métiers du Rhône en 1938.
Au printemps l'un de ses correspondants demande des conférences pour
remédier à l'hostilité de nombreux artisans à la
Chambre des métiers du Rhône, due à leur ignorance de son
utilité 19. A l'automne la Chambre de
métiers cherche à faire appliquer l'amende prévue à
tous les artisans qui ne se sont pas inscrits au registre des métiers
20.
Enfin, pourquoi s'inscrire? Quels sont les avantages que vont
retirer les artisans d'une telle inscription? Est-ce une charge ou des
avantages qu'elle procure? L'inscription à la Chambre
14. Deux lettres du 31 mai 1934 d'artisans àla
préfecture [ADR 9M33].
15. Lettre au préfet du 19 mai 1934 de M. Guillaume,
fabricant de caisses d'emballage à Villeurbanne [ADR 9M33].
16. Lettre au préfet du 5 juin 1934 de M. Rossi, tailleur
à Lyon [ADR 9M33].
17. Lettre au maréchal Pétain du 16 avril 1941 de
Mme. Peillon, repasseuse à Francheville-le-bas. La lettre est reproduite
sans correction [ADR 9M33].
18. Assemblée plénière 8 du 15
décembre 1935: additifau budget de 1936 [ADR 9M32].
19. Assemblée plénière 18 du 6 mars 1938
[ADR 9M32].
20. Assemblée plénière 20 du 30 octobre
1938: voeu n°244 [ADR 9M32].
de métiers était gratuite jusqu'à
l'institution du registre des métiers. L'immatriculation, faite par le
tribunal de commerce, est ensuite soumise au timbre de dimension. Pour que
l'institution soit attirante, les certificats sont délivrés
gratuitement par la Chambre des métiers du Rhône Cela n'est pas du
goût de l'administration des finances, qui réclame la perception
des droits non perçus depuis l'origine21. La Chambre des
métiers du Rhône essaie d'obtenir du ministre du travail
l'exonération du paiement de ces droits jusqu'à cette date, cette
réclamation mett ant en danger son assise financière
22.
3.2.1.2 Un électorat peu
homogène
La Chambre des métiers du Rhône est avant tout
une organisation dédiée aux artisans maîtres. Que l'on
considère le nombre d'inscrits et son évolution, la
répartition des membres par catégorie ou leur répartition
géographique, tout oppose le comportement de la population des
compagnons à celle des maîtres23. L'organisation de la
chambre paraît toujours mieux adaptée à ces derniers.
En répartissant les sièges pour un tiers aux
compagnons, et pour deux tiers aux maîtres, laissant ainsi de
côté l'idée d'une institution paritaire, la Chambre des
métiers du Rhône donne pourtant aux compagnons une position qui
les avantage en terme de nombre. Entre 1935 et 1938, les compagnons ne
représentent en moyenne que 12% du total des électeurs.
L'ensemble des compagnons employés par des artisans est-il pourtant
inscrit à la Chambre des métiers du Rhône? On attendrait un
nombre de compagnons largement plus élevé dans la circonscription
d'une Chambre de métiers aussi fermement opposée à la
limitation de l'artisanat par la taille. Faut-il en déduire un
désintérêt des compagnons pour cette institution avant tout
patronale? L'attention des artisans ne s'est jamais longtemps attardée
sur ce problème. La question semble avoir été
réglée très rapidement, dès juin 1928, par les
artisans-maîtres de la Fédération des artisans du sud-est:
le compagnon ressortissant des Chambres de métiers serait celui qui est
employé chez un maître artisan24. La définition
de l'artisan maître a incomparablement plus posé problème.
De fait les patrons artisans ont touj ours été
l'élément moteur des Chambres de métiers: une
participation trop active des compagnons les ennuierait plutôt; ils n'ont
aucun intérêt à ce qu'ils s'inscrivent trop nombreux.
Le nombre d'électeurs maîtres décline
légèrement entre 1935 et 1938 (-6,6%). Ce déclin global
cache pourtant une évolution beaucoup plus saccadée: toutes les
catégories croissent entre 1935 et 1936, se stabilisent ensuite, et ne
perdent d'électeurs qu'entre 1937 et 1938, sauf la
5ème catégorie, celle des métiers du
textile.
Le nombre des artisans des métiers du textile
décline dès 1935. La catégorie est aussi globalement la
plus touchée par le déclin (-32,2% entre 1935 et 1938). La crise
de l'industrie du textile se répercute sur les artisans, surtout entre
1935 et 1936 (-17,6%). Cette catégorie d'artisans est d'ailleurs
très particulière: ils sont plutôt apparentés aux
ouvriers à domicile qu'aux artisans à
21. Lettre du 2 septembre 1938 de M. Suche, inspecteur au bureau
de contrôle de Lyon-Commerce à la Chambre des métiers du
Rhône [ADR 9M33].
22. Lettre du 12 septembre 1938 du président de la
Chambre des métiers du Rhône au ministre du travail [ADR 9M33].
23. Voir les tableaux 3.1 page suivante et 3.2 page 46.
24. L'Artisan du sud-est,juin 1928 [BMLPDR
F383].
TABLEAU 3.1 -: Les électeurs maîtres à la
Chambre des métiers du Rhône, 1933-1938
Catégorie
|
Année a
|
Électeurs
|
Votants
|
Taux de participa- tion
|
Évolution du nombre d'électeurs depuis
l'année précédente
|
Évolution du nombre de votants entre 1933 et 1936
|
1
|
1933
|
|
343
|
|
|
|
1935
|
1589
|
|
|
|
|
1936
|
2107
|
482
|
22,9%
|
+32,6%
|
+40,5%
|
1937
|
2078
|
|
|
-1,4%
|
|
1938
|
1760
|
|
|
-15,3%
|
|
2
|
1933
|
|
416
|
|
|
|
1935
|
1593
|
|
|
|
|
1936
|
1669
|
664
|
39,8%
|
+4,8%
|
+59,6%
|
1937
|
1730
|
|
|
+3,7%
|
|
1938
|
1637
|
|
|
-5,4%
|
|
3
|
1933
|
|
245
|
|
|
|
1935
|
744
|
|
|
|
|
1936
|
751
|
319
|
42,5%
|
+0,9%
|
+30,2%
|
1937
|
754
|
|
|
+0,4%
|
|
1938
|
687
|
|
|
-8,9%
|
|
4
|
1933
|
|
320
|
|
|
|
1935
|
1117
|
|
|
|
|
1936
|
1226
|
465
|
37,9%
|
+9,8%
|
+45,3%
|
1937
|
1271
|
|
|
+3,7%
|
|
1938
|
1150
|
|
|
-9,5%
|
|
5
|
1933
|
|
485
|
|
|
|
1935
|
2614
|
|
|
|
|
1936
|
2155
|
687
|
31,9%
|
-17,6%
|
+41,6%
|
1937
|
2153
|
|
|
-0,1%
|
|
1938
|
1771
|
|
|
-17,7%
|
|
6
|
1933
|
|
318
|
|
|
|
1935
|
1234
|
|
|
|
|
1936
|
1371
|
615
|
44,9%
|
+11,1%
|
+93,4%
|
1937
|
1411
|
|
|
+2,9%
|
|
1938
|
1303
|
|
|
-7,7%
|
|
Total
|
1933
|
|
2127
|
|
|
|
1935
|
8891
|
|
|
|
|
1936
|
9279
|
3232
|
34,8%
|
+4,4%
|
+52,0%
|
1937
|
9397
|
|
|
+1,3%
|
|
1938
|
8308
|
|
|
-11,6%
|
|
a Élections de 1933 et 1936 [ADR 9M36],
électeurs de 1935 à 1938 [ADR 9M37].1: alimentation; 2:
bâtiment; 3: bois,
ameublement; 4: métallurgie; 5: textile, habillement; 6:
divers: cuir, soins personnels, décoration
TABLEAU 3.2 -: Les électeurs compagnons à la
Chambre des métiers du Rhône, 1933-1938
Catégorie
|
Année a
|
Électeurs
|
Votants
|
Taux de participa- tion
|
Évolution du nombre d'électeurs depuis
l'année précédente
|
Évolution du nombre de votants entre 1933 et 1936
|
1
|
1933
|
|
15
|
|
|
|
1935
|
183
|
|
|
|
|
1936
|
142
|
26
|
18,3%
|
-22,4%
|
+73,3%
|
1937
|
141
|
|
|
-0,7%
|
|
1938
|
148
|
|
|
+5,0%
|
|
2
|
1933
|
|
101
|
|
|
|
1935
|
481
|
|
|
|
|
1936
|
497
|
110
|
22,1%
|
+3,3%
|
+8,9%
|
1937
|
461
|
|
|
-7,2%
|
|
1938
|
400
|
|
|
-13,2%
|
|
3
|
1933
|
|
41
|
|
|
|
1935
|
160
|
|
|
|
|
1936
|
143
|
31
|
21,7%
|
-10,6%
|
-24,4%
|
1937
|
117
|
|
|
-18,2%
|
|
1938
|
104
|
|
|
-11,1%
|
|
4
|
1933
|
|
48
|
|
|
|
1935
|
159
|
|
|
|
|
1936
|
160
|
40
|
25,0%
|
+0,6%
|
-16,7%
|
1937
|
164
|
|
|
+2,5%
|
|
1938
|
143
|
|
|
-12,8%
|
|
5
|
1933
|
|
54
|
|
|
|
1935
|
290
|
|
|
|
|
1936
|
259
|
39
|
15,1%
|
-10,7%
|
-27,8%
|
1937
|
250
|
|
|
-3,5%
|
|
1938
|
200
|
|
|
-20,0%
|
|
6
|
1933
|
|
20
|
|
|
|
1935
|
109
|
|
|
|
|
1936
|
82
|
32
|
39,0%
|
-24,8%
|
+60,0%
|
1937
|
91
|
|
|
+11,0%
|
|
1938
|
84
|
|
|
-7,7%
|
|
Total
|
1933
|
|
279
|
|
|
|
1935
|
1382
|
|
|
|
|
1936
|
1283
|
278
|
21,7%
|
-7,2%
|
-0,4%
|
1937
|
1224
|
|
|
-4,6%
|
|
1938
|
1079
|
|
|
-11,8%
|
|
a Élections de 1933 et 1936 [ADR 9M36],
électeurs de 1935 à 1938 [ADR 9M37].1: alimentation; 2:
bâtiment; 3: bois,
ameublement; 4: métallurgie; 5: textile, habillement; 6:
divers: cuir, soins personnels, décoration
proprement parler. Leur originalité se remarque
déjà ici; leur situation sera étudiée plus en
détail lorsqu'il s'agira d'expliquer comment leur position marginale,
entre artisans et ouvriers, a pu poser un problème d'identité
à la Chambre.
Pour les autres catégories, l'effet du recensement
effectué par la Chambre des métiers du Rhône début
1936, puis de l'installation du registre des métiers en 1938 expliquent
pour une large part les variations de la population électorale. Le
recensement a porté ses fruits: il a permis l'inscription des
ressortissants non inscrits, comme le montre la forte croissance du nombre
d'électeurs entre 1935 et 1936 (globalement +13,5%). L'année
suivante montre une évolution du nombre d'artisans plus proche de la
réalité: le nombre de ressortissants reste stable; il augmente
partout légèrement, saufchez les artisans de l'alimentation.
Les différences entre les rythmes de croissances
jusqu'en 1937 correspondent aussi aux différences d'intégration
à l'artisanat. Les artisans de l'alimentation, avertis depuis moins
longtemps par leurs syndicats qu'ils font partie de l'artisanat, ont
certainement mis plus de temps à s'inscrire à la Chambre de
métiers; et ceci d'autant plus que cette intégration a
été très contestée. Ceci expliquerait la
très forte croissance des adhésions des maîtres de cette
catégorie entre 1935 et 1936 (+32,6%), qui dépasse largement le
mouvement des autres catégories. Cela expliquerait aussi que la
catégorie soit la seule à décliner
légèrement (-1,4%) dès que l'inscription n'est pas
imposée par les résultats d'un recensement de la Chambre des
métiers du Rhône L'hétéroclite 6ème
catégorie, dans une moindre mesure, se trouve dans la même
situation. Pour les catégories restantes, l'inscription des membres
semble s'être terminée plus tôt: la période de
croissance s'est déjà terminée en 1935. L'augmentation du
nombre de votants dans toutes les catégories entre 1933 et 1936 la
révèle pourtant.
L'effet de la limitation de l'artisanat aux maîtres
employant moins de 5 compagnons ou apprentis en mai 1938 se fait ressentir sur
toutes les catégories de maîtres: le nombre de ressortissants
décline partout entre 1937 et 1938. On peut ainsi reconnaître les
catégories comptant le plus de «gros artisans ». Les artisans
du textile sont les plus touchés (-17,7%), mais l'effet de la loi est
cumulé avec la crise qui traverse leur branche. Les métiers de
l'alimentation sont parmi ceux qui perdent le plus de ressortissants (-15,3%).
Ils ont encore une place à part: peut-être est-ce parce qu'ils
sont la catégorie qui compte le plus de «gros artisans » que
leur intégration a été si difficile. Rappelons qu'ils
étaient les seuls à n'être pas dotés de syndicats
spécifiquement artisanaux. Les autres catégories comptent entre 5
et 10% de ces « gros artisans ». La loi n'a donc pas touché le
plus gros des effectifs de la chambre: neuf artisans sur dix sont des
«petits» ou « moyens artisans », et continuent à
faire partie de la Chambre de métiers.
Le même schéma ne s'applique pas aux compagnons.
Ni l'effet de la limitation à cinq compagnons de l'artisanat, ni la
période d'inscription des membres n'apparaissent. Le nombre de
compagnons décline assez régulièrement dans toutes les
catégories entre 1935 et 1938. Déclin réel durable de
l'artisanat qui n'emploie plus, période de chômage due à la
crise ou non inscription de compagnons qui se désintéressent
d'une institution trop marquée par les patrons? La 3ème
catégorie (ameublement et bois) et la 5ème
catégorie (textile) sont les plus touchées (-35% et -3 1%).
Ce sont aussi les seules catégories en déclin chez les
maîtres. La 1ère et la 6ème
catégories chutent pourtant chacune d'environ 20% alors que ces
mêmes catégories croissent chez les maîtres. Cette
évolution ne correspond pas à l'évolution du nombre de
compagnons votants:
il reste stable entre 1933 et 1936. L'évolution par
catégories est beaucoup plus contrastée: le nombre de compagnons
des catégories 1 et 6 augmente fortement (+73% et +60%); les
catégories 3, 4 et 5 se répartissent les pertes (-24%, -17% et
-28%). L'ampleur et la disparité des variations doivent être
tempérées par la prise en compte de la faiblesse du nombre des
compagnons.
La répartition des métiers en catégories
n'a pas réparti de manière équitable le nombre des
artisans. Observons la situation en 1936. Chez les compagnons, c'est une
évidence: 40% de ceux-ci appartiennent aux métiers du
bâtiment (catégorie 2), et 20% aux métiers du textile
(catégorie 5), alors que les métiers de la sixième
catégorie n'emploient presque aucun compagnon (6%). C'est pourtant la
catégorie la plus diverse, qui compte le plus grand nombre de
métiers. Chez les maîtres la disproportion de la
répartition par catégorie est moins voyante. Pourtant les
métiers de l'alimentation (catégorie 1) et ceux du textile
(catégorie 5) comptent chacun 23% du nombre total de maîtres,
alors que les métiers de l'ameublement et du bois (catégorie 3)
n'en comptent que 8%.
Cette disproportion est due à la manière dont
ont été conçues les catégories. La
répartition n'a pas été faite en fonction du nombre
d'artisans, de manière à ce que la Chambre des métiers du
Rhône représente autant que possible la population artisanale
réelle du département. Le recensement effectué par les
mairies en 1932 comportait déjà la classification en
catégories utilisée par la Chambre des métiers du
Rhône Le regroupement des métiers par catégories s'est fait
d'après une classification par secteurs. Le matériau
travaillé est dans la majorité des cas le facteur discriminant:
produits alimentaires (catégorie 1), bois (catégorie 3),
métal (catégorie 4), textile (catégorie 5); la seconde
catégorie trouve par contre son unité dans le lieu de travail: le
chantier de construction des bâtiments. Toutes ces catégories
n'ont rien d'original. Seule la sixième catégorie semble
échapper à ce système: elle regroupe les métiers
les plus hétéroclites: métiers du cuir, du livre, des arts
graphiques, et de la musique, bijouterie, décoration, services aux
personnes et hygiène. S'il fallait trouver une unité à
cette catégorie, on ne pourrait que la considérer comme celle
dont le travail fait le plus explicitement partie du domaine des
représentations symboliques.
L'intérêt des maîtres pour les
élections de 1936 est nettement plus marqué que celui des
compagnons: 35% des maîtres inscrits vont voter, contre 22% des
compagnons. Les catégories 1 et 5 sont celles qui participent le moins,
chez les maîtres (22,9% et 31,9%) comme chez les compagnons (18,3% et
15,1%). Elles sont aussi celles pour lesquelles l'appartenance à
l'artisanat est la moins évidente. Il a déjà
été question de la position des métiers de l'alimentation,
qui hésitent à adhérer à l'artisanat plutôt
qu'au commerce. Les métiers du textile sont eux aussi un cas à
part dans la chambre: en déclin constant, ils sont les seuls à
hésiter entre le statut d'artisan et celui d'ouvrier à domicile.
La 6ème catégorie est celle qui participe le plus
(45%). C'est même la seule où les compagnons participent avec un
entrain égal à celui des maîtres. Ils rattrapent leur
infériorité numérique par leur plus grande mobilisation:
grâce à un taux de participation de 39%, ils représentent
12% des votants.
La répartition géographique des maîtres et
celle des compagnons n'obéit pas une même logique: alors que les
maîtres sont concentrés dans Lyon, très peu de compagnons
sont inscrits à la Chambre des métiers du Rhône dans la
ville. La répartition des compagnons est beaucoup moins homogène
que celle des maîtres. Vu le très petit nombre de compagnons dans
chaque canton, une étude plus précise de leur répartition
géographique n'aurait pas grand sens. Il faut donc se
contenter de détailler la répartition des
artisans-maîtres.
TABLEAU 3.3 -: Lepoids des lyonnais chez les électeurs
maîtres-artisans
Catégorie
|
1935
|
1936
|
1937
|
1938
|
1
|
38%
|
45%
|
45%
|
40%
|
2
|
22%
|
24%
|
23%
|
23%
|
3
|
17%
|
20%
|
19%
|
20%
|
4
|
34%
|
36%
|
35%
|
34%
|
5
|
68%
|
59%
|
59%
|
53%
|
6
|
49%
|
51%
|
50%
|
52%
|
Le lieu qui regroupe le plus d'artisans maîtres, c'est
Lyon25. Entre un sixième et deux tiers des ressortissants
maîtres de chaque catégorie y sont concentrés. On peut
ainsi reconnaître les catégories les plus urbaines: ce sont les
catégories 1, 5 et 6, où ils représentent plus du tiers du
total. On peut estimer que la force des métiers de l'alimentation
(catégorie 1) est en relation directe avec la densité
depopulation du canton: on a partout besoin des artisans de l'alimentation,
encore peu concurrencés par la grande distribution et l'industrie
agro-alimentaire. La force des métiers du textile ne fait que confirmer
la puissance de cette industrie dans la ville. Le déclin de laplace de
Lyon dans cette catégorie met les artisans lyonnais du textile à
part: ils sont beaucoup plus touchés par la crise que les artisans du
reste du département. L'éternel problème resurgit:
s'agit-il bien, à Lyon, d'artisans à proprement parler? La
6ème catégorie, la plus hétéroclite
apparemment, trouve ici son unité: c'est une catégorie à
dominante urbaine. Au contraire, les métiers du bâtiment, du bois
et de l'ameublement, beaucoup plus traditionnels, sont à dominante
rurale; ils sont beaucoup mieux répartis dans tout le
département.
Les cantons les plus proches de Lyon sont aussi ceux où
le nombre d'artisans est le plus élevé26. Vaugneray,
Villeurbanne, L'Arbresle et Neuville-sur-Saône se détachent des
autres. La proximité de la grande ville se marque aussi par l'importance
des mêmes catégories 1, 5 et 6. C'est seulement dans ces cantons
que le nombre d'artisans-maîtres de ces catégories dépasse
4%. Vaugneray compte la seconde concentration en artisans du textile
après Lyon (9,61%). Le nombre d'artisans maîtres de l'alimentation
est particulièrement élevé à Villeurbanne (8,7% du
total des artisans de l'alimentation en 1936). Villeurbanne et L'Arbresle sont
les seuls cantons où les métiers de la catégorie 6 se
soient un peu développés (4,38% et 4,08%).
Les métiers du bâtiment, du bois et de
l'alimentation et du textile sont mieux représentés dans le reste
du département. Leur répartition est aussi beaucoup plus
équilibrée.
La comparaison entre la situation en 1935 et celle de 1938
permet d'isoler les cantons les plus dynamiques, où le nombre
d'artisans-maîtres augmente dans toutes les catégorie, et ceux qui
déclinent, où le nombre d'électeurs est partout en baisse.
Ces derniers sont les plus nombreux: L'Arbresle, Neuville-sur-Saône,
Belleville, Saint-Laurent-de-Chamousset, Monsols, Mornant,
25. Voir le tableau 3.3.
26. Voir le tableau 3.4 page suivante.
TABLEAU 3.4 -: Répartition géographique par
catégorie des maîtres non lyonnais en 1936
|
Catégories
|
Canton
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
6
|
Toutes
|
Vaugneray
|
6,8%
|
8,4%
|
6,1%
|
7,0%
|
23,5%
|
6,6%
|
9,8%
|
Villeurbanne
|
15,7%
|
4,6%
|
2,5%
|
7,1%
|
4,0%
|
8,9%
|
7,5%
|
L'Arbresle
|
5,5%
|
5,9%
|
5,6%
|
6,1%
|
6,7%
|
8,3%
|
6,2%
|
Neuville-sur-Saône
|
4,4%
|
7,4%
|
2,5%
|
6,4%
|
6,8%
|
7,7%
|
6,0%
|
Belleville
|
4,4%
|
6,0%
|
7,0%
|
6,6%
|
4,2%
|
5,8%
|
5,5%
|
Beaujeu
|
4,6%
|
5,6%
|
8,4%
|
7,1%
|
3,8%
|
4,3%
|
5,5%
|
Thizy
|
5,0%
|
5,2%
|
4,3%
|
2,9%
|
4,8%
|
7,5%
|
4,9%
|
Saint-Laurent-de-Chamousset
|
5,0%
|
5,3%
|
5,1%
|
5,2%
|
3,8%
|
4,6%
|
4,9%
|
Saint-Genis-Laval
|
5,5%
|
6,2%
|
3,5%
|
5,0%
|
2,7%
|
5,4%
|
4,9%
|
Villefranche
|
5,0%
|
5,7%
|
6,3%
|
5,1%
|
2,4%
|
2,2%
|
4,5%
|
Lamure-sur-Azergues
|
3,3%
|
4,0%
|
9,8%
|
3,7%
|
4,7%
|
3,7%
|
4,5%
|
Monsols
|
2,7%
|
5,4%
|
9,8%
|
3,9%
|
3,9%
|
1,5%
|
4,3%
|
Saint-Symphorien-sur-Coise
|
4,7%
|
3,1%
|
5,5%
|
3,8%
|
5,0%
|
4,6%
|
4,3%
|
Tarare
|
3,8%
|
4,3%
|
4,0%
|
4,2%
|
4,3%
|
3,6%
|
4,1%
|
Limonest
|
4,1%
|
4,3%
|
1,8%
|
5,1%
|
4,9%
|
3,3%
|
4,1%
|
Le-Bois-d'Oingt
|
3,6%
|
3,9%
|
5,0%
|
4,6%
|
4,0%
|
3,1%
|
4,0%
|
Mornant
|
3,8%
|
3,5%
|
4,0%
|
3,8%
|
2,6%
|
5,4%
|
3,7%
|
Amplepuis
|
3,3%
|
3,7%
|
3,3%
|
2,9%
|
3,8%
|
3,7%
|
3,5%
|
Condrieu
|
1,8%
|
3,0%
|
2,6%
|
3,4%
|
1,8%
|
3,9%
|
2,9%
|
Anse
|
3,0%
|
2,4%
|
1,7%
|
3,8%
|
1,7%
|
3,0%
|
2,6%
|
Givors
|
4,0%
|
2,1%
|
1,3%
|
2,2%
|
0,8%
|
2,8%
|
2,3%
|
Ensemble
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
Condrieu, les quatre premiers faisant par ailleurs des cantons
les plus riches en artisans. Givors et Villeurbanne sont les seuls où le
nombre d'artisans augmente partout. A Villeurbanne la progression est
spectaculaire: le nombre d'artisans de l'alimentation, comme celui de la
métallurgie, a été multiplié par 3,5, alors que le
nombre d'artisans du bâtiment a été multiplié par
2,5.
La crise des industries du textile se fait ressentir presque
partout: le nombre d'artisans maîtres décroît dans 12
cantons sur 22. C'est cependant à Lyon qu'elle est la plus
spectaculaire: 836 artisans-maîtres, soit la moitié des artisans
lyonnais de cette catégorie disparaissent entre 1935 et 1938. Vaugneray,
le second centre d'artisanat du textile du Rhône avec plus de 200
artisansmaîtres, s'en sort beaucoup mieux: le nombre d'artisans progresse
même de 13% entre 1935 et 1938. Le sort des cantons comptant plus de 40
artisans-maîtres est lui très variable: L'Arbresle et
Neuville-sur- Saône déclinent (-32% et -18%), Tarare stagne (+8%)
et Thizy progresse (+31%). La progression la plus forte est celle de
Villeurbanne qui passe de 15 à 38 artisans.
|
|