3.1.2 Les buts et les moyens
Les séances d'installation de la Chambre des
métiers du Rhône sont le moyen le plus efficace pour mettre
à jour simultanément l'ensemble des préoccupations qui
entourent la Chambre de métiers. La situation est très
particulière en 1934 puisque la chambre ne dispose encore d'aucun
porte-parole: c'est une personne extérieure qui donne son sens à
l'institution en ouvrant la séance. Cette intervention permet de savoir
ce qui est attendu de la Chambre de métiers par ceux qui n'en font pas
directement partie. Le discours d'installation de 1937 permettra, lui, de
savoir quels ont été les grands axes de la politique de la
Chambre des métiers du Rhône, et quelles sont ses
préoccupations. L'intérêt de ces deux documents semble
capital: ils sont les seuls à donner une vision globale des
activités de la Chambre.
En l'absence de porte-parole indiscutable des membres de la
Chambre des métiers du Rhône,
6. Séance du 8 mars 1934, etpage 147, séance du 17
mai 1934 [ACCL PV 1934, page 69].
7. Assemblée plénière 3 du 1er
juillet 1934 [ADR 9M32].
8. L'Artisan du sud-est, n°61,juin-juillet 1935
[ADR 9M33].
9. Assemblée plénière 21 du 5
février 1939: délégation de l'assemblée au bureau
pour chercher un nouveau local [ADR 9M32].
10. Lettre du 9 février 1939 au préfet; lettre
du 3 mars 1939 du président de la Chambre de métiers de
Seine-Inférieure au président de la Chambre des métiers du
Rhône; lettre non datée du président de la Chambre de
métiers du Nord au président de la Chambre des métiers du
Rhône [ADR 9M33].
réunis pour la première fois, le préfet
est tout désigné pour prononcer le discours d'installation de la
séance du 4 février 193411. La République
proclame la naissance d'une nouvelle institution. Les artisans proclament eux
l'institution d'une protection officielle de l'artisanat par l'État en
reproduisant le procès-verbal de la séance dans leur journal
12.
Ce discours est à la fois une apologie de l'artisanat
et du monde moderne. Le préfet neutralise d'abord l'opposition
traditionnelle entre développement des machines dans l'industrie et
déclin des qualifications ouvrières, en restreignant sa
validité aux seules théories des économistes,
présentées comme parfaitement contraires à l'observation
de la réalité que chacun peut faire. Ni l'homme ne sera asservi
par la machine, ni l'homme de métier n'est amené à
disparaître. Cet homme de progrès ne peut concevoir l'institution
par la République d'une organisation aux buts parfaitement
réactionnaires, qui cherche à faire survivre le passé. La
Chambre de métiers créée ne l'a été que
parce qu'elle prépare l'avenir. L'artisan indépendant n'en reste
pas moins aux yeux du préfet le représentant d'un passé
idéal, une sorte d'âge d'or. Il est le travailleur parfait,
«recherché pour ses connaissances approfondies de son métier
qu'il exerce presque toujours en artiste ». Et c'est finalement parce
qu'il est le modèle à suivre pour tout ouvrier travaillant dans
l'industrie qu'il «mérite d'être protégé
».
Les discours d'installation de 193713 offrent un
tout autre point de vue: les artisans existent pour eux-mêmes, et non
pour être un exemple pour les ouvriers de l'industrie. Ceux-ci, en
perdant leur indépendance, n'ont certes pas perdu leurs
compétences professionnelle, et cela peut suffire à tout autre
qu'à un artisan. Mais cette indépendance est tout ce qui fait la
différence entre un ouvrier et un artisan.
Laissons de côté les références
à la bonne entente et à la cordialité qui ponctuent les
discours de chacun des interlocuteurs: elles ont pour unique fonction de calmer
un auditoire en ébullition, obnubilé par les litiges concernant
les résultats électoraux de certaines catégories.
Rochette, le président sortant réussit tout de même
à faire le bilan des trois ans écoulés, dont les fils
conducteurs sont la difficulté des débuts et l'importance de la
taille des résultats (et donc du travail fourni). Et Grenier, le doyen
d'âge, tente un programme général des travaux futurs et en
cours.
Les débuts difficiles de la Chambre des métiers
du Rhône, ce sont essentiellement les déboires financiers de la
première année. Rochette se plaît à les
évoquer d'un ton léger et humoristique, en comparant la Chambre
des métiers du Rhône à un train lancé sur les rails,
auquel on demande de fonctionner alors que le charbon nécessaire
à sa mise en route ne sera distribué qu'à la
première étape: cela a été le propre du
génie inventif légendaire qu'on accorde si largement aux
artisans, ironise-t-il, que de surmonter l'épreuve et d'amener le train
à la première étape.
Les résultats obtenus sont
énumérés de façon plus sérieuse: tous les
postes officiels détenus par la Chambre des métiers du
Rhône sont énumérés; ses réalisations moins
administratives et officielles viennent après, alors que la liste des
activités indirectes de la Chambre des métiers du Rhône par
le biais d'une représentation de l'ensemble des Chambre de
métiers sert de conclusion. Cela permet de découvrir
l'identité complexe de la Chambre. Le discours de Grivet permet lui de
mieux comprendre l'orientation de sa politique.
11. Assemblée plénière 1 du 4
février 1934 [ADR 9M32].
12. L'Artisan du sud-est, mars-avril 1934 [BMLPDR
F383]. 13. Assemblée plénière 14 du 28 février 1937
[ADR 9M32].
La Chambre des métiers du Rhône est
chargée, par la loi comme par ses ressortissants, d'organiser
l'apprentissage artisanal. Ses objectifs sont le « relèvement de
l'instruction générale des futurs artisans [et le]
relèvement de la capacité professionnelle des artisans»; ce
que permet la mise en place d'un « apprentissage contrôlé et
sanctionné par le Brevet de Capacité Professionnelle, puis par le
Brevet de Maîtrise ».
Elle se conforme à cette tâche dans le
département en participant aux instances de contrôle et
d'organisation de l'apprentissage: elle est officiellement présente
à la commission départementale de l'enseignement technique et au
conseil d'administration du service d'orientation professionnelle du
Rhône.
Elle s'occupe aussi de la scolarisation obligatoire des
apprentis, et de la formation continue des artisans: des cours professionnels
et des cours de comptabilité artisanale ont été
créés à Saint-Symphorien-sur-Coise, Neuville, L'Arbresle,
Lyon (et prochainement à Givors, Thizy et Vaugneray). Elle subventionne
des cours organisés par les Syndicats professionnels d'artisans, par la
Société d'enseignement professionnel du Rhône, par
l'École d'artisanat rural de Cibeins.
L'action départementale ne suffit pas: les structures
de l'apprentissage artisanal sont pour une large part forgées au niveau
national. Les Chambres de métiers ont accès à celles-ci
par leurs délégués au Conseil supérieur de
l'enseignement technique.
A toutes ces formes d'enseignement, il faut rajouter
l'organisation des expositions artisanales: celles-ci, vitrines du savoir-faire
de l'élite artisanale, sont l'occasion de mettre à
l'épreuve l'excellence des artisans, et de prouver par le fait leurs
capacités professionnelles. La Chambre des métiers du Rhône
s'est ainsi fait remarquer par une participation très active à
l'organisation de l'Exposition régionale du Meilleur ouvrier de France,
et par l'organisation de la première Exposition Artisanale à la
Foire de Printemps de Lyon.
La Chambre des métiers du Rhône est aussi un
organe de défense des intérêts professionnels des artisans,
à l'instar des syndicats. Les préoccupations majeures des
artisans sont à ce moment la « protection de la main d'oeuvre
artisanale » et l'aménagement d'un système fiscal
simplifié pour les ressortissants des Chambres de métiers.
Pour toutes ses activités, la Chambre des
métiers du Rhône bénéficie de moyens d'actions
étendus: les voeux qu'elle émet peuvent être
destinés soit aux administrations communales, départementales et
nationales, soit à l'assemblée des présidents de chambres
de métiers de France. L'Assemblée des présidents de
chambres de métiers de France est en relation directe avec les
parlementaires du Groupe de défense nationale qui défendent les
artisans.
Comme pour l'apprentissage, la Chambre des métiers du
Rhône multiplie les points d'actions. Elle multiplie les places dans les
lieux de pouvoir locaux. Des membres de la Chambre des métiers du
Rhône siègent à la Commission départementale
consultative d'évaluation des forfaits, àla Commission
consultative des BIC de Lyon, Tarare, Villefranche, et, plus récemment,
la Chambre des métiers du Rhône à été
invitée aux séances du Comité départemental de
coordination sanitaire et sociale. Elle collabore avec les chambres de commerce
de Lyon, Tarare et Villefranche et avec la chambre d'agriculture du
Rhône. Les lieux de pouvoir nationaux ne sont pas négligés:
on peut noter la présence de délégués des Chambres
de métiers au Conseil national économique, au Conseil
supérieur du travail, à la Commission interministérielle
du crédit artisanal.
Elle n'oublie pas les activités les plus locales:
l'aide individualisée aux artisans, la participation aux manifestations
professionnelles des syndicats. Elle prend soin de ses ressortissants:
délivrance gratuite du certificat artisanal,
création d'une bibliothèque consultable par les ressortissants,
appel à des ressortissants cantonaux pour resserrer les liens avec les
ressortissants.
Ce bref aperçu des lieux où la présence
de la Chambre des métiers du Rhône est assurée est des plus
complets. La plus grande partie des activités s'y déroulant
échappent à l'étude qui suit, basée en grande
partie sur les seuls procès-verbaux des assemblées
plénières de la chambre. Mis à part quelques lettres ayant
transité par la préfecture, ce sont les seuls documents qui ont
été conservés. Les thématiques clés de
l'activité de la chambre y apparaissent pourtant, et c'est à
l'aide de ces documents qu'il s'agira de mettre à jour les grandes
lignes de l'activité de la Chambre des métiers du Rhône
jusqu'au début de la guerre.
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