2.2.4 La Fédération des artisans du sud-est
se défend contre le Comité départemental de l'enseignement
technique
Le Comité départemental de l'enseignement
technique du Rhône a obtenu délégation du Conseil
général pour discuter de la forme que devra prendre la Chambre de
métiers. L'importance de son rôle concepteur a été
comprise par les organisations artisanales. Le syndicat des guimpiers de la
Fédération des artisans du sud-est s'adresse directement au
directeur de celui-ci pour justifier la création d'une Chambre de
métiers dans le Rhône et donner son avis sur la forme que celle-ci
devrait prendre21. Le maintien de liens organiques entre les
syndicats et la Chambre de métiers est l'une des préoccupations
majeures de ce syndicat: il propose (avec une grande prudence oratoire) que la
Chambre de métiers comprenne «une représentation similaire
à celle de la prud'homie, ses membres étant éligibles
d'après les mêmes conditions et désignés par les
chambres syndicales constituées d'après le régime de la
loi de 1884. Soit un délégué titulaire et un
délégué suppléant pour chaque corporation
d'artisans ». La similitude avec les élections prud'homales
prévue par la loi de 1925 ne concernait pourtant que les conditions pour
être électeur ou éligible. Le régime des
élections était clairement rattaché au modèle des
élections municipales. Le rôle des syndicats dans la
désignation des candidats n'était par contre pas
précisé.
Les relations entre le Comité départemental de
l'enseignement technique et les syndicats artisanaux semblent toujours aussi
bonnes. Il se montre favorable au maintien de liens étroits entre la
Chambre de métiers et le syndicalisme. Il donne un premier avis fin
octobre 193022, dans lequel il reprend les revendications du
syndicat des guimpiers concernant le rattachement de la Chambre de
métiers aux syndicats: «la création en projet doit reposer
sur des groupements vivants, dont chaque membre électeur au conseil
d'administration devra justifier de son affiliation au syndicat par la preuve
qu'il cotise régulièrement et qu'il est bien artisan
conformément aux dispositions générales des lois touchant
à l'artisanat ».
Mais la période où les membres du Comité
départemental de l'enseignement technique soutenaient pleinement les
« Conseils de métiers» est révolue. Il n'adhère
plus entièrement aux positions des artisans de la
Fédération des artisans du sud-est Il entre même en conflit
avec ceuxci sur deux points: l'intégration des métiers de
l'alimentation et l'extension de la définition du maître artisan.
Ce conflit est assez grave pour les artisans, car la préfecture se
montre visiblement plus proche du Comité départemental de
l'enseignement technique que des organisations artisanales. L'arbitrage de la
situation par celui-ci peut donc jouer contre la Fédération des
artisans du sud-est.
21. Deux copies de la lettre du syndicat du 25 mai 1930 sont
adressées au président du Comité départemental de
l'enseignement technique [ADR 9M30].
22. Rapport de M. Besse pour avis du Comité
départemental de l'enseignement technique sur la création d'une
Chambre de métiers, 25 octobre 1930 [ADR 9M30].
Les métiers de l'alimentation ont été
intégrés à l'artisanat par le ministre du travail
dès juin 192923. Le Comité départemental de
l'enseignement technique cherche pourtant encore à exclure les artisans
commerçants de l'alimentation, et la préfecture n'est pas loin de
suivre la même politique. Les groupements visés par les mesures
d'exclusion du Comité départemental de l'enseignement technique
sont ceux des bouchers, tripiers, boulangers et pâtissiers confiseurs,
signataires de la pétition, désireux de faire partie de la
Chambre de métiers. Il justifie sa décision par conformité
à « la liste officielle dressée par le ministère du
travail », dont il ne donne pas les références. Il refuse
visiblement de prendre en compte les directives les plus récentes du
ministre.
Le Rhône n'est pas le seul endroit ou
l'intégration des métiers de l'alimentation ait été
problématique. Ceux qui s'opposent à leur intégration
refusent de prendre en compte les nouvelles directives du ministère du
travail. A tel point que la Fédération artisanale de
l'alimentation renouvelle en juin 1930, lors du Congrès national de
l'Union des artisans français (UAF), sa demande aux municipalités
« de n'accepter, pour les listes électorales, que la liste
complète des professions admises » comprenant les métiers de
l'alimentation24.
La préfecture elle-même hésite longtemps
à intégrer les métiers de l'alimentation. Elle avait
hésité à les rayer de la liste des groupements
pétitionnaires lorsqu'elle cherchait à se renseigner sur ceux-ci
au printemps25. Elle avait envisagé non seulement d'exclure
les artisans- commerçants de l'alimentation (bouchers, tripiers,
boulangers et pâtissiers-confiseurs), mais aussi considéré
que certains groupes ne peuvent être intégrés que de
manière restreinte (bâtiment, blanchisseurs, coiffeurs,
photographes)26. Elle s'était finalement ravisée et
s'était renseignés sur tous. L'hésitation subsiste encore
dans toutes les listes qu'elle établit pour son usage
interne27.
Cette exclusion va à l'opposé des attentes des
pétitionnaires. L'entente entre les artisans de l'alimentation et les
artisans de la Fédération des artisans du sud-est ne se limite
pas, dans le Rhône, à la signature d'une pétition commune:
depuis l'été 1929 les liens se sont resserrés entre les
deux groupes, à tel point que le journal de la Fédération
des artisans du sud-est annonce la « grande réunion de propagande
en faveur des artisans de l'alimentation» à grands renforts
publicitaires dans son numéro d'avril 193028.
Le Comité départemental de l'enseignement
technique ne s'oppose pas uniquement sur ce point avec les
pétitionnaires. Au même moment, il donne de l'artisan une
définition qui ne correspond pas à celle de la loi de 1925. Il
utilise les termes de la loi sur l'artisan fiscal de 1923 pour définir
l'artisan de la Chambre de métiers. L'accès à la Chambre
de métiers serait ainsi limitée au «petit artisan »,
selon la terminologie utilisée par la Fédération des
artisans du sud-est Celle-ci fait appel directement au ministre du travail pour
clarifier la définition de l'artisan. Il lui répond,
23. Voir 2.2.1 page 27.
24. L 'Artisan du sud-est, octobre 1930;
retranscription du procès-verbal des séances de ce congrès
natio-
nal [BMLPDR F383].
25. Note interne de la préfecture, demande de dossiers
sur les syndicats signataires, le 1er mars 1930 [ADR 9M30].
26. Note manuscrite, sans en-tête et non datée; les
indications de nombre d'adhérents qu'elle comporte indiquent qu'elle a
été rédigée entre le printemps 1930 et le printemps
1931 [ADR 9M30].
27. Ces listes ne sont jamais datées; elles accompagnent
chaque enquête de la préfecture sur les syndicats
pétitionnaires [ADR 9M30].
28. L'Artisan du sud-est, avril 1930 [BMLPDR F383].
le 4 décembre 193029, en
répétant les termes de la loi, précisés à
l'aide de la circulaire du 17 juillet 1928. La limitation par le nombre n'est
pas explicite dans la loi: c'est la participation effective aux travaux de son
entreprise qui justifie son appartenance à l'artisanat. «Le nombre
des collaborateurs n'est donc qu'un des éléments
d'appréciation de la qualité d'artisans; il ne saurait d'ailleurs
être fixé de façon uniforme pour tous les corps de
métiers et toutes les exploitations.»
La Fédération des artisans du sud-est obtient
ainsi la confirmation de son point de vue sur les Chambres de métiers:
celles-ci intègrent non seulement le «petit artisan» et le
«moyen artisan », elles intègrent aussi le «grand artisan
» 30 . Le «petit artisan », c'est celui qui est défini
par la loi sur l'artisan fiscal de 1923; il bénéficie d'un
régime fiscal spécial qui l'assimile aux salariés. Le
«moyen» et le « grand artisan » ne
bénéficient pas de ces exonérations fiscales. La
Fédération des artisans du sud-est distingue ces deux
catégories en fonction du nombre d'employés: le « moyen
artisan » n'emploie pas plus de cinq compagnons ou apprentis, alors que le
«grand artisan » en emploie plus, mais assure lui même la
direction technique et commerciale de son entreprise. La définition de
l'artisan n'échappe donc pas totalement au comptage du nombre
d'employés; mais la vérification du fonctionnement artisanal de
l'entreprise n'est prévue que pour les plus gros artisans. En fin de
compte, l'attitude du Comité départemental de l'enseignement
technique semble obéir à une logique assez simple: il faut
essayer de limiter le plus possible le nombre de ressortissants de la Chambre
de métiers. Doit-on y voir une influence de la Chambre de commerce, qui
maintenant qu'elle ne peut plus empêcher la sécession de
l'artisanat, cherche à atténuer ses effets?
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