2.2.5 Enquête auprès des syndicats
pétitionnaires
A la demande du Comité départemental de
l'enseignement technique, la préfecture entreprend à partir du 5
novembre 1930 une enquête auprès des syndicats qui
s'étaient montrés intéressés par la création
d'une Chambre de métiers l'année
précédente31. Elle demande à chacun d'eux de
donner son avis sur cette création, et de préciser le nombre
exact de maîtres artisans et de compagnons cotisants et de donner un
relevé sommaire des recettes et dépenses de l'exercice 1929. Les
réponses tardent à venir: la préfecture relance les
syndicats à plusieurs reprises32 , et l'enquête ne se
termine ainsi qu'au printemps 193133.
La circulaire du préfet insiste sur le risque
d'augmentation des charges que cette création pourrait entraîner.
Ce risque motive le refus de certains syndicats (celui des charrons de Tarare
en particulier). Les syndicats de la Fédération des artisans du
sud-est réagissent de manière unanime à cette insistance:
ils envoient tous un exemplaire d'une lettre pré-imprimée
rappelant qu'il ne saurait être question d'augmentation des charges, si
l'on observe les spécifications du décret de
29. L 'Artisan du sud-est, novembre-décembre
1930; retranscription de la lettre du ministre du travail [BMLPDR F3 83].
30. L 'Artisan du sud-est, août 1929, article
« Les Chambres de métiers » et encart « Qu'est-ce qu'un
artisan?» [BMLPDR F383].
31. Circulaire du 5 novembre 1930 [ADR 9M30].
32. Relance des syndicats par la préfecture le 27
novembre 1930, le 9 décembre 1930, et le 18 mars 1931. Les
réponses des syndicats sont incluses dans le même dossier [ADR
9M30].
33. Réponses favorables des syndicats interrogés:
voir tableau 2.2 page suivante.
TABLEAU 2.2 -: Les syndicatsfavorables à
l'installation d'une Chambre de métiers début 1931 et leurs
adhérents
Catégoriea
|
Profession
|
Nombre d'adhérents
|
1 alimentation
|
tripiers
|
80
|
2 bâtiment
|
bâtiment
|
215
|
3 ameublement et bois
|
charrons
|
163
|
3 ameublement et bois
|
tapissiers
|
38
|
4 métallurgie
|
maréchaux de Belleville
|
48
|
4 métallurgie
|
maréchaux de Lyon
|
28
|
4 métallurgie
|
maréchaux de Tarare
|
18
|
4 métallurgie
|
maréchaux du Bois d'Oingt
|
25
|
5 vêtements et textiles
|
guimpiers
|
117
|
5 vêtements et textiles
|
tisseurs
|
203
|
6 travail d'art et soins personnels
|
coiffeurs
|
560
|
6 travail d'art et soins personnels
|
cordonniers de l'Arbresle
|
137
|
6 travail d'art et soins personnels
|
cordonniers de Lyon
|
97
|
6 travail d'art et soins personnels
|
photographes
|
125
|
a Sources: [ADR 9M30]; Les syndicats sont
classés par métiers, en fonction des catégories
utilisées pour la Chambre de métiers dès le recensement de
1932.
1928 qui permettent le transfert des charges de la Chambre de
commerce vers la Chambre de métiers lors de l'inscription de ses
membres. Cette lettre rappelle aussi le rôle de la
Fédération des artisans du sud-est dans la demande de
création de la Chambre de métiers, les termes de la loi de 1925
et la définition des maîtres artisans. Cette enquête est
utilisée par la fédération comme un moyen de faire
pression sur le Comité départemental de l'enseignement technique
et de lui rappeler les termes de la loi: l'appel de celle-ci au ministre du
travail pour empêcher celui-là de limiter l'inscription à
la Chambre de métiers aux artisans fiscaux est presque contemporain de
cette enquête. Les réticences du Comité
départemental de l'enseignement technique à voir la
création d'une Chambre de métiers trop ouverte peuvent même
expliquer la formulation de la circulaire du préfet, avant tout faite
pour décourager les syndicats intéressés par cette
création. On est loin de l'enthousiasme du Comité
départemental de l'enseignement technique pour les «Conseils de
métiers ». C'est pourtant toujours M. Besse qui s'occupe de la
question.
Cette enquête n'a pas été faite avec un
souci d'exhaustivité. Seuls les syndicats pétitionnaires de
l'année précédente sont interrogés. Sauf erreur: le
syndicat des chausseurs de Lyon est contacté, par confusion avec le
syndicat des cordonniers de Lyon. Erreur d'un autre type: le syndicat des
charrons de Tarare, déjà inclus un moment par erreur dans la
liste des pétitionnaires par la préfecture, est à nouveau
contacté; il répète son opposition à la
création d'une Chambre de métiers. Il faut supposer que ce sont
les seules erreurs, et que les variations dans les dénominations des
groupes n'indiquent pas qu'il s'agit d'un groupe
différent34.
En conséquence tous les syndicats qui pourraient
être intéressés ne sont pas consultés. Ils ne se
manifestent pas sur le moment, mais l'un d'eux, en 1935, alors que la Chambre
de métiers s'est déjà installée depuis un an, la
chambre syndicale de l'ameublement de Lyon et de la région, se plaint de
n'avoirjamais été consulté au sujet de la création
de celle-ci35. De sorte qu'une partie seulement des syndicat
patronaux a été consultée. Aucun syndicat d'ouvriers ou de
compagnons n'est contacté, alors même que certains syndicats ne
comportant que des artisans maîtres donnent au préfet le nom et
l'adresse des syndicats ouvriers correspondant à leur profession.
Seuls les syndicats pétitionnaires de l'année
précédente sont interrogés. Pourtant, tous ne se montrent
pas favorables à la création d'une Chambre de métiers.
D'abord, tous ne répondent pas: les cordonniers de Belleville et les
tailleurs de Lyon ne donnent aucune réponse, et les artisans de
Villefranche annoncent que leur groupement est dissous depuis fin 1929.
Surtout, cinq d'entre eux ne se montrent pas formellement
intéressés par la Chambre de métiers. La préfecture
les classe tous, un peu vite sans doute, dans un dossier « réponses
négatives ».
On retrouve parmi ces cinq syndicats trois des quatre
syndicats d'artisans commerçants de l'alimentation. Leur retrait est en
grande partie dû aux efforts entrepris par le Comité
départemental de l'enseignement technique pour écarter les
artisans de l'alimentation de la Chambre de métiers. Le Syndicat de la
boucherie en gros de la ville de Lyon et l'Union syndicale des patrons
confiseurs de Lyon et de la région estiment qu'aucun de leurs
adhérents n'est considéré comme artisan. La position de la
chambre syndicale patronale de la boulangerie lyonnaise est plus
nuancée, et permet d'expliquer la position des autres
commerçants: la loi ne considère pas actuellement les
commerçants d'alimentation comme membres d'une profession artisanale, et
le syndicat, qui ne comporte aucun compagnon, n'a pas fait le compte de ses
adhérents qui pourraient éventuellement bénéficier
des avantages propres aux artisans; la grosse majorité des
«petits-patrons boulangers » pourraient pourtant prétendre au
« titre d'artisan »; ceux-ci seraient enregistrés comme
artisans «avec plaisir » par le syndicat si leur admission devait
avoir pour résultat l'exonération de charges fiscales.
L'exclusion des métiers de l'alimentation par le
Comité départemental de l'enseignement technique n'a par contre
pas touché les tripiers. Le quatrième syndicat de l'alimentation,
le Syndicat de la triperie lyonnaise, reste lui très favorable à
la Chambre de métiers. Il a d'ailleurs resserré les liens avec la
Fédération des artisans du sud-est: il envoie l'imprimé
conçu par celle-ci. Ce syndicat ne représente pas l'ensemble des
artisans tripiers lyonnais. La préfecture avait aussi contacté
l'Union de la triperie lyonnaise, qui finit refuser la création de la
Chambre de métiers. Dans un premier temps, elle avait pourtant
envisagé la participation de ses membres se considérant comme des
« commerçants- artisans» à celle-ci36.
De manière plus étonnante, on trouve parmi ceux
qui refusent le plus clairement la création d'une Chambre de
métiers des anciens syndicats de la Fédération des
artisans du sud-est: les
34. On considère ainsi, par exemple, que le «
syndicat des blanchisseurs du lyonnais » est le même que le «
syndicat des patrons blanchisseurs de Lyon et région ».
35. Extrait des délibérations du conseil
d'administration de la chambre syndicale de l'ameublement de Lyon et de la
région du 2 octobre 1935 [ADR 9M30].
36. Première réponse de l'Union de la triperie
lyonnaise le 30 novembre 1930, seconde réponse le 19 décembre
1930 [ADR 9M30].
blanchisseurs et les bourreliers selliers. Ils ne font plus
mention de leur appartenance à la fédération, et ne
motivent pas leur refus. Il ne reste ainsi plus que 14 syndicats visiblement
favorables à cette création. Tous sont membres de la
Fédération des artisans du sud-est ou en sont très
proches.
Les informations manquent sur l'usage qui a été
fait de cette enquête, et sur la suite des opérations concernant
la création d'une Chambre de métiers. Les avis des autres
institutions ayant été donnés avant la clôture de
l'enquête, le Comité départemental de l'enseignement
technique est le seul à l'avoir utilisé. Son avis une fois rendu,
le 2 décembre 1931, tous les avis nécessaires ont
été recueillis. Le dossier peut être envoyé au
Conseil d'État. Rien n'est pourtant fait en février 1932. La
Fédération des artisans du sud-est, à la veille de son
assemblée plénière de février 1932, relance la
préfecture à ce sujet: le secrétaire général
annonce sa visite au bureau compétent de la préfecture afin de
récolter des renseignements sur les suites données à la
demande de constitution de la Chambre de métiers37. L'avis
des Chambres de commerce de Villefranche et de Tarare manque encore. Le 11 mai
1932, le préfet invite ces Chambres à donner leur avis sur la
création d'une Chambre de métiers. Leur avis est
favorable38.
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