II- La Révolution du livre, ou l'explosion
quantitative (1789- 1792) :
En 1789, les cahiers des électeurs sont, dans
l'ensemble, favorables à la liberté de la presse20. Si
ceux du clergé contiennent de nombreuses réserves, en revanche,
ceux de la noblesse, et surtout ceux du tiers, condamnent la censure
préalable qui ralentit les publications et établit une
présomption de culpabilité. Le premier débat sur la presse
s'engage le lundi 24 août 1789 devant l'assemblée nationale
constituante. A partir de ce moment, la censure n'est plus en me sure de
canaliser la production imprimée nationale. Cette dernière
devient trop importante, du fait des actualités politiques et autres,
pour être vérifiée avant d'être publiée, comme
c'était le cas auparavant. Il s'agit donc d'étudier les
conditions exactes de la libéralisation de l'imprimé. Ensuite, il
faut constater les réorientations que subit ce dernier. Enfin, nous
verrons que des débouchés d'une nouvelle nature se créent
pour les imprimeurs.
A- La liberté d'imprimer :
Le 26 août 1789, l'article XI de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen établit
que << la libre communication des pensées et opinions est un des
droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc parler,
écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de
cette liberté dans les cas déterminés par la loi...
>>. Le 16 février 1791, les corporations sont abolies. Par un
décret du 2 mars 1791, la possibilité est faite à toute
personne d'exercer la profession qu'elle désire : << A compter du
1er avril 1791, il sera libre à toute personne de faire tel
négoce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle
trouvera bon ... >>. Il s'agit donc d'une importante entrave à la
liberté du travail qui disparaît au début de 1791 et qui
permet à chacun d'exercer le métier d'imprimeur ou de
libraire.
Dans les Affiches d'Angers, on constate la
vérification exercée sur le journal par la mention << Vu,
permis d'imprimer, CLAVEAU, Maire & Lieutenant Général de
Police >> qui est présente jusqu'au début du mois de mai
1790. Cependant, dès les numéros 71, 72 et 73, datés du
samedi 28 novembre au samedi 5 décembre 1789, on constate que seule la
marque de propriété royale, << Avec privilège du Roi
>>, est présente. On repère toutefois la marque de
permission d'impression jusqu'au n° 36 du mardi 4 mai 1790,
signalée par l'autorisation : << Vu, permis d'imprimer, TURPIN,
Officier-Municipal, faisant les fonctions de Lieut. Gén. De Police
>>. A partir du n° 37 du samedi 8 mai 179021, la formule
change et toute marque de censure disparaît : << A ANGERS, chez
MAME, Imprimeur de la Municipalité, 1790. >>.
20 MANEVY, Raymond, La Révolution et la liberté
de la presse, éd. Estienne, 1965, 112p.
21 Les numéros des Affiches d 'Angers
recommencent au n° 1 à chaque début d'année,
soit à partir du 1 er janvier jusqu'en 1792, puis
après le 22 septembre à partir de cette même
année.
Néanmoins, il ne s'agit pas d'une véritable
vérification : les historiens sont unanimes pour dire que la censure
disparaît totalement dès l'année 178922. Cela
signifie donc que cette marque de « vérification » est
certainement illusoire. On remarque donc que l'étau réglementaire
qui confinait les imprimeurs et la production imprimée se desserre et
que la publication de textes est désormais prête à se
populariser.
B- La Révolution de l'imprimé :
La liberté d'impression, survenue du fait du trop
grand nombre de publications et de l'impossibilité de les
contrôler, permet à n'importe qui de s'exprimer à travers
l'imprimé. De ce fait, de nombreuses personnes publient des textes
d'opinions : ainsi, J.-B. Cordier fait imprimer personnellement en 1789 le
texte n° 5823 pour donner son opinion sur les rapports entre le
Tiers état et les autres ordres. En 1791, il publie un nouveau texte, le
document n° 19824, qui porte sur la royauté et le
pouvoir exécutif en 1791. Dans ce dernier document, il fait des louanges
à la liberté récemment acquise et déclare ses
espoirs placés dans le pouvoir qui devrait en découler.
De plus, la fonction d'information est fortement
accentuée du fait de la liberté d'imprimer. Elle domine
dès la décennie 1780, plus encore avec les multiples
pièces relatives à la convocation, à la tenue et au
déroulement des États généraux. Les discours et
rapports présentés à la séance d'ouverture, le 5
mai 1789, sont publiés par l'imprimerie royale et repris par les
imprimeurs du Roi en province. Ces imprimés officiels ou para-officiels
se multiplient jusqu'au Directoire : discours, projets, rapports,
procès-verbaux, instructions, décrets, lois, mais aussi
description d'événements importants, notamment les fêtes
révolutionnaires. Ces informations, qui intéressaient
déjà certaines personnes avant 1789, se développent
partout en France après la Révolution. Cela est dû surtout
à l'intérêt pour la chose publique et l'actualité
politique. C'est pourquoi il est possible d'observer l'augmentation
quantitative des périodiques angevins, dès le début de la
période25.
C- Les impressions pour les départements :
22 CHARTIER, Roger, MARTIN, Henri-Jean, Histoire de l
'édition française, T. II, Le livre triomphant, 1660- 1830,
Paris, Promodis, 1984, p. 694, par exemple.
23 La confession d'un pauvre roturier angevin, à
l'occasion d'un avis au Tiers-Etat de la province (...), s.i., 1789.
24 Discours sur la royauté, son organisation,
l'hérédité et l'inviolabilité du pouvoir
exécutif, (...), s.i., 1791.
25 Voir l'annexe 4.
Après la création des 83 départements en
1790, dont le document n° 10726 nous explique les
modalités, chaque département est chargé de
réimprimer les textes officiels. Comme nous le montre le document
n° 60027, ceux-ci sont imprimés par ordre de
l'Assemblée nationale et envoyés à chaque
département pour qu'il les fasse réimprimer en nombre suffisant,
puis les transmette à chacun de ses districts et municipalités.
Ainsi, on peut être certain de la bonne communication des informations,
du plus haut niveau de l'Etat, jusqu'à la population. Les textes
administratifs sont donc généralement des copies de textes
imprimés à Paris par l'imprimerie de la République et
expédiés vers chaque départements.
Cependant, le département et la municipalité
d'Angers deviennent aussi d'importants organes de consultation et de
décision. En fait, la Révolution engendre une
décentralisation relative, surtout en regard de la concentration qui
existait sous le régime monarchique. Le département et la
municipalité prennent donc un certain nombre de décisions, puis
les font imprimer, afin de les communiquer aux organes qui leur sont
hiérarchiquement inférieurs. Cela fait d'eux d'importants clients
des imprimeurs.
Le cumul de ces impressions, faites directement pour les
départements, et de celles envoyées par l'Assemblée
nationale aux départements pour les faire réimprimer sont un
facteur qui fait largement croître la quantité de travail des
imprimeurs et leur procure des revenus supplémentaires. Ils se situent
donc au centre de la vie politique révolutionnaire et sont en contact
permanent avec les personnes qui s'y intéressent. Les impressions pour
le département constituent donc un apport révolutionnaire
très intéressant pour les imprimeurs.
Dans ces conditions, les débuts de la Révolution
voient se multiplier les titres. Comme le montre l'Annexe 1 (« La
répartition de la production imprimée angevine »), la
production de textes bondit de 12 textes en 1788 à 50 en 1789. Ainsi,
dès 1789, notamment dans le cadre des débats préparant les
états généraux, les intellectuels peuvent s'exprimer et
partager leurs opinions, comme le montrent les documents n°
5528, 5829, 6230... De plus, comme on le verra
dans les chapitres 4, 5 et 9, la forme et l'orientation des documents angevins
change complètement au long de la période. En revanche, si Angers
entre pleinement dans la Révolution, cela lui porte un important
préjudice durant la Terreur et les guerres de Vendée.
26 Lettres patentes du Roi (...), qui ordonne la division de
la France en quatre-vingt tRois Départements, Mame, 1790.
27 Proclamation du 21 floréal an III. Le comité
de Salut Public, aux autorités civiles et militaires, et à tous
les citoyens, Mame, 1795.
28 Discours patriotique sur l 'égalité et la
liberté civile et politique, (...), Pavie, 1789.
29 La confession d'un pauvre roturier angevin, à
l'occasion d'un avis au Tiers-Etat de la province (...), s.i., 1789. 30
Lettre à un seigneur d'Anjou, accusé de tromper le peuple,
s.i., 1789.
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