B- Les changements révolutionnaires :
La liberté d'imprimer suscite un véritable
engouement pour les métiers du livre. Mais l'augmentation de la
production est aussi due aux impressions pour le département (voir
supra, chapitre 3) et à l'abondance de textes à caractère
politique. Ces deux facteurs ont une conséquence évidente et
commune : le développement exponentiel du support imprimé. En
effet, La production change totalement après la Révolution :
alors qu'elle se limitait à onze textes en 1787 et à douze en
1788, elle fait un premier bond à cinquante imprimés en 1789
(n'oublions pas que la liberté d'imprimer est consacrée seulement
au milieu de l'année 1789), puis un second en 1790 à 101
documents42.
Etienne-René Jahyer est << compagnon imprimeur
>> chez son oncle quand il achète son imprimerie, rue
Saint-Michel, au milieu de l'année 1790. Mais, dès le mois de
septembre, il la transfère rue du Pilori, dont on vient de changer le
nom en celui de rue Milton43. Contrairement à de nombreux
imprimeurs, il ne s'installe donc pas par opportunisme du fait des conditions
particulières de la période.
En 1791, Etienne-René Jahyer et René-Jean
Geslin, qui est né à Angers le 5 mai 1767, s'associent et
reprennent l'atelier d'André-Jacques Jahyer, l'oncle
d'Etienne-René. Ils publient de nombreux libelles
révolutionnaires << à l'imprimerie des sans-culottes
>> dans la rue Milton (ex-rue du Pilori). En novembre 1791, il reprennent
le Journal du département de Maine-et-Loire, par les Amis de la
Constitution d'Angers44, mais la feuille disparaît
presque aussitôt, début 1792. Ils font partie des plus ardents
révolutionnaires angevins45. Cette association dure environ
cinq ans. Jahyer et Geslin sont donc les deux seuls nouveaux venus de
l'imprimerie angevine au début de la Révolution.
On remarque donc que le renouvellement du personnel chez les
professionnels du livre concerne modérément les imprimeurs,
puisque seule l'imprimerie de André-Jacques Jahyer change de
propriétaire au début de la Révolution. De surcroît,
les deux personnes qui reprennent cette imprimerie, Jahyer et Geslin,
travaillaient dans ce métier auparavant : le premier travaillait chez
son oncle, André-Jacques, tandis que le second était
employé par Mame. Les imprimeurs angevins ne connaissent donc pas de
réelle transformation au début de la Révolution.
42 Voyez le graphique introduit avant le paragraphe
précédent.
43 Cette rue correspond à l'actuelle rue Lenepveu.
44 Document n° 780.
45 Selon Célestin Port, Op. cit.
C- Les incertitudes de la Terreur :
Pendant cette période, on remarque les
difficultés rencontrées par les imprimeurs. En effet, dans un
courrier adressé à l'administration
départementale46, datée du 29 brumaire an 2 (19
novembre 1793), Mame se plaint de ses conditions de travail, des mauvais
paiements de l'administration et du fait que ses deux fils aînés
(Charles-Mathieu, né en 1774, et Louis-Charles, né en 1775) sont
au combat contre les Vendéens. Le département de Maine-et-Loire
ayant fait transmettre les plaintes de Mame au Ministre de l'intérieur,
ce dernier renvoie au département un courrier47 pour
déclarer que les caisses de l'Etat sont vides et que, même avec la
meilleure volonté, il serait impossible de lui accorder une faveur en
numéraire. Cependant, il assure que les versements seront
désormais faits à chaque impression.
Pourtant, le 9 nivôse an V, Mame se plaint encore : il
expose de nouveau à l'administration départementale les
difficultés financières dans lesquelles il se trouve et la
nécessité qu'elle lui rembourse l'argent qu'elle lui doit afin
qu'il puisse continuer à acheter du papier, payer ses ouvriers et
imprimer pour le département. Cependant, c'est certainement de ces
impressions qu'il tire ses principaux bénéfices. Mame n'a donc
pas le choix, il doit imprimer les textes pour le département, en
espérant que les paiements arriveront au plus vite.
De la fin de l'an IV à l'an VI, Mame connaît
effectivement de grandes difficultés financières. Dans les
Affiches d'Angers, du numéro 33, du 5 frimaire an IV (jeudi 26
novembre 1795) au numéro 42, du 23 frimaire an IV (lundi 14
décembre 1795), Mame fait publier différents avis
déclarant ne plus pouvoir faire parvenir son journal aux abonnés
pour le même prix qu'auparavant. Il conserve néanmoins la part la
plus importante de la production angevine jusqu'en 1797, produisant plus de 50%
des imprimés angevins à lui seul. Cependant, cette situation
n'est pas si favorable à Mame que ce que les autres imprimeurs
voudraient faire croire.
En effet, la position de Mame suscite des convoitises : le
document n° 1 7048 est une lettre de Louis-Victor Pavie qui se
plaint du fait qu'il ait rendu des services aux autorités
départementales, mais qu'il n'ait reçu d'elles que le titre
d'"Imprimeur des Assemblées générales de MM. les
électeurs du département de Maine-et-Loire". Il déplore
qu'en revanche, Mame bénéficie d'un grand nombre de titres et
qu'il imprime les Affiches d'Angers qui sont « d'un très
grand rapport ». Enfin, il vient d'être nommé imprimeur de
l'administration du département, raison de l'insurrection de Pavie.
46 ADML, 1 L 938.
47 Ibid.
48 Adresse à MM. les électeurs du
département de Maine-et-Loire, Pavie, 1790.
La production de Pavie ne connaît une montée que
dans les années 1789-1790 : ce sont les deux seules pendant lesquelles
il produit plus de 10 documents, à savoir 16 en 1789 et 23 pour 1
79049 . En 1791, seuls 9 documents imprimés par Pavie ont
été recensés et ce repli se poursuit par la suite : en
1792 et 1793, il ne produit que deux textes par an et aucun n'a plus
été recensé ensuite avant 1798, année au cours de
laquelle la veuve de Pavie reprend son imprimerie. Cette chute de la production
de Pavie est essentiellement due aux circonstances et aux aléas
révolutionnaires.
Au début de la Révolution, Pavie travaille pour
le comité permanent de la milice angevine. Lors de l'occupation d'Angers
par les Vendéens, le 18 juin 1793, ils emprisonnent Mame et pillent son
imprimerie. Pavie, lui, est réquisitionné pour l'impression de
leurs affiches et de leurs proclamations. En se retirant d'Angers, les
Vendéens emportent avec eux une partie du matériel qui leur sert
à organiser leur propre imprimerie à Maulévrier. Au retour
des républicains, il est accusé d'avoir prononcé des
propos inciviques, et d'avoir imprimé, vendu et distribué des
« écrits tendant au rétablissement de la royauté et
à l'anéantissement de la liberté de la République
». Pavie est arrêté et traduit devant la commission militaire
qui se déclare incompétente et renvoie l'accusé devant le
tribunal révolutionnaire de Paris. Mais il parvient à s'enfuir
avant d'y être conduit. Sa maison est mise sous scellés le 8
septembre, et sa femme est incarcérée à son tour le 20
octobre. Lorsque l'amnistie est générale, Pavie rentre à
Angers le 9 pluviôse an III (28 janvier 1795), et rentre en possession de
ses biens50.
La principale constatation que l'on puisse faire sur cette
période réside dans la difficulté à trouver une
certaine stabilité dans l'exercice du métier d'imprimeur. De
plus, on s'aperçoit qu'il ne semble y avoir aucun nouvel imprimeur. Ces
deux constatations se justifient par les fortes tensions dues à la
Terreur.
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