II / Les phénomènes associés
à l'avènement d'une phase El Niño :
un enchaînement d'aléas45
L'avènement d'une phase ENOA, nous l'avons vu, implique la
migration vers le sud
de l'EM, structure pluviogène déterminante aux
latitudes intertropicales d'une part, et des
changements de la force et de la direction des flux
aérologiques tropicaux (alizés) d'autre part.
Ceci va engendrer une série de bouleversements des
régimes hydro-météorologiques
classiques. Ces anomalies46 vont se répercuter à
leur tour sur les dynamiques d'érosion et par
voie de conséquence contribuer à modifier les
milieux morpho-dynamiques. Ces effets induits
représentent un ensemble de manifestations inhabituelles
qui peuvent s'apparenter dans bien
des cas à de véritables catastrophes. Ces
phénomènes associés, ces impacts, sont autant
d'aléas physiques (sécheresses, inondations,
ouragans, érosion littorale lors des surcotes
marines, enfoncement et/ou translation du lit des
rivières, glissements de terrain...) qui sont
susceptibles de constituer, comme nous le verrons par la suite,
une menace pour les
implantations humaines47 d'autant plus que ces derniers peuvent
s'enchaîner et leur action se
combiner. Il est donc nécessaire d'établir un bilan
de ces incidences climatiques et
environnementales extrêmes afin d'en saisir toute la
portée ultérieure.
A / - Des perturbations climatiques, inégales
selon les événements et
les régions du globe
J'envisage pour cette partie de suivre une approche à
différentes échelles. Tout
d'abord, je m'appliquerai à aborder d'une manière
générale les répercussions planétaires
supposées du phénomène pour ensuite
détailler les effets plus régionaux en Amérique Latine.
1 / - Le concept des téléconnexions, mythe ou
réalité ?
Une série de questionnements vient nécessairement
à l'esprit lorsque l'on évoque la
notion de téléconnexion. Qu'entend-on exactement
par «téléconnexions» ? Quel est le sens
des relations ? Est-ce que les épisodes ENOA sont
réellement responsables de toutes les
perturbations observées au cours d'une année
à Niño ?
Il est important avant toute chose de clarifier et de relativiser
ce terme largement
utilisé dans les revues scientifiques et dans les
médias. Tout d'abord, il convient de noter que
les manifestations associées sont très
hétéroclites. Cette
hétérogénéité ne facilite pas
l'identification de la part de responsabilité des
épisodes El Niño dans la survenue desdites
anomalies. De même, si l'on enregistre effectivement une
succession de perturbations
climatiques inhabituelles lors des phases ENOA, on ne peut pas
affirmer qu'elles sont
systématiquement toutes imputables au
phénomène El Niño, tant les dynamiques qui
régissent
le système climatique planétaire sont nombreuses et
complexes.
45 Se référer pour ce chapitre à la partie
II de la bibliographie : Répercussions du phénomène El
Nino sur les
régimes hydro-climatiques, sur les processus
d'érosion et sur l'environnement (phénomènes
associés)
46 Qui s'écarte de la moyenne, qui se singularise de ce
qui est habituellement ou le plus fréquemment observé
47 cf. III/A
21
Par ailleurs, s'il existe des liens entre l'occurrence des
événements El Niño et
l'apparition d'intempéries extrêmes, le sens de la
relation n'a pas été clairement défini. Est-ce
que c'est l'ENOA qui est responsable des désordres
météorologiques observés ou alors existet-
il un tiers facteur, une cause commune qui commande les deux
premiers éléments ? Leroux
suggère que : «Au même titre que la Grande
Sécheresse sahélienne, l'augmentation de
fréquence des Niño du Pacifique résulte du
glissement vers le sud de l'EM, clairement associé
à la dynamique boréale. Si de
nombreux phénomènes sont réellement
«interconnectés », c'est
dans cette origine commune que la cause des covariations doit
donc être recherchée» (Leroux,
1996).
Ainsi, l'emploi de termes tels que «covariations
statistiques», «concordance ou
simultanéité événementielle»
plutôt que «téléconnexion» ou
«corrélation» semble mieux
approprié à défaut de liens physiques
logiques démontrés entre ces manifestations.
Figure n°6 - Carte des effets
supposés des événements El Niño au niveau
planétaire
d'après
http://nic.fb4.noaa.gov:80/products/analysis_monitoring/GLOB_CLIM/lmgtandp.gif
La carte ci-dessus indique quelques exemples de
«téléconnexions». Dans le détail, il
est mentionné pour l'Europe qu'elle n'est pas
affectée par El Niño dans la mesure où elle
dépend du système Atlantique. Le système
Atlantique est-il réellement indépendant du
système Pacifique ? Ne dépendent-ils pas tous deux
de la dynamique boréale ? En Indonésie,
en Nouvelle-Guinée et en Australie, si la
sécheresse est certes imputable à l'avènement d'un
épisode El Niño (déplacement de la zone
convective vers l'est), en ce qui concerne les
incendies, si le risque est sans aucun doute augmenté par
le déficit hydrique, le responsable
reste bel et bien l'homme en quête permanente de nouveaux
espaces cultivables, argument
que les médias oublient souvent de préciser... Il
faut donc être particulièrement vigilant vis à
vis des distorsions et du sensationnalisme que l'on rencontre
dans la littérature.
22
On constate également une influence très nette sur
la cyclogenèse dans l'Atlantique et
dans la Pacifique. «... Six cyclones ont traversé la
Polynésie habituellement épargnée, de
février à la mi-avril 1983 dont Weena sur
Bora-Bora. C'est également parce que l'EMV, lieu
de naissance privilégié des cyclones, était
alors fortement décalée vers le sud, autorisant en
s'éloignant de l'équateur géographique,
l'intervention de la force géostrophique (vorticité) et
la rencontre avec les AMP austraux (Leroux, 1996). En effet, les
dépressions tropicales sont
«happées» par le couloir dépressionnaire
situé sur la face avant des AMP et s'éloignent ainsi
des basses latitudes(cf. figure n°2).
«En contrepartie, dans l'hémisphère nord, dans
l'Atlantique, les années à Niño n'ont
qu'une faible activité cyclonique, avec un nombre moyen de
6,5 cyclones par an contre une
moyenne annuelle générale de 9,8 (Gray, 1984),
parce que le rapprochement de l'EMV près
de l'équateur géographique s'accompagne dans la
phase initiale d'une réduction de la
vorticité» (Leroux, 1996).
Au cours des phases négatives de l'IOA, on observe en
outre des modifications dans le
régime des moussons. «During northern summer season,
the Indian Monsoon rainfall tends to
be less than normal, especially in the northwest» (...)
«The persistence of El Niño ... is likely
to delay the onset of the monsoon over tropical northern
Australia» (...) «In view of the
continued strength of the anomalous warming of the central
Pacific region, the tendency
would be for an overall weaker monsoon period across South-East
Asia» (WMO, 1997b48).
En ce qui concerne, l'Afrique, les configurations
météorologiques habituelles sont
également modifiées. «The prevailing warm
episode conditions coupled with general warm
SST49 anomaly patterns in the Indian Ocean are therefore expected
to enhance convection
over much of eastern Africa and suppress convection over parts of
southern Africa.
Consequently, most parts of the east and central African sector
are expected to receive well
above normal rainfall while the southern sector is likely to
experience near-normal to below
normal rainfall»(WMO, 1997b50). L'Afrique sahélienne,
quant à elle, enregistre une nette
péjoration pluviométrique associée au
décalage vers le sud de la structure pluviogène qu'est
l'EMV lors des phases négatives de l'IOA51.
Après ce rapide aperçu des
simultanéités hydro-climatiques exceptionnelles
susceptibles de se manifester au cours des phases ENOA à
l'échelle de la planète, je propose
dans le paragraphe qui suit d'analyser plus en détail les
effets au niveau régional des
événements El Niño en Amérique
Latine.
48 WMO, 1997b, El Niño Update, N°3, November 1997,
4p.
49 Sea Surface Temperatures
50 WMO, 1997b, El Niño Update, N°3, November 1997,
4p.
51 Se référer à Leroux, 1996.
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