I / - Les mécanismes du phénomène
El Niño / Oscillation Australe
(ENOA) : des théories évolutives
L'objectif de cette première partie est d'établir
une analyse synthétique des
mécanismes qui régissent les
événements ENOA au travers des divers courants scientifiques
qui se sont succédés. L'accent sera mis
également sur l'intensité des phases et sur leur
récurrence.
A / - Maturation et évolution des concepts selon
les auteurs et selon les
époques
La connaissance du phénomène s'est faite de
façon empirique et progressive au cours
du XXème siècle par des scientifiques de formations
différentes (océanographes,
météorologues...). Les progrès dans la
compréhension des mécanismes des phases El Niño
sont allés de pair avec la capacité sans cesse
grandissante17 des techniques d'observation (ex :
satellite franco-étatsunien TOPEX-POSEIDON) et
d'enregistrement des données (ex : bouées
du projet TOGA18).
Les descriptions et analyses des composantes physiques du
système couplé océanatmosphère
abondent dans la littérature comme l'atteste la multitude
de publications
majoritairement en langue anglaise regroupées dans la
première partie de la bibliographie
présente à la fin de cet essai. Qui plus est,
Internet constitue une autre source d'informations
tout à fait considérable avec une
prédominance des sites étasuniens19.
«En 1525, Francisco Pizarro est le premier à
mentionner dans son carnet de bord
l'existence d'un courant chaud saisonnier au large du
Pérou (Enfield, 1989). En 1546,
Jeronimo Benzoni décrit une terrible inondation qui frappe
le golfe de Guayaquil au sud de
l'Equateur. Il observe aussi que certaines années des
pluies intenses se produisent vers Noël et
sont suivies de plusieurs années sèches. Les
documents manuscrits des conquistadores et des
missions espagnoles attestent la présence
d'événements El Niño tout au long de la conquête
espagnole». (Moreau, 1995).
A la fin du siècle dernier, Hildebrandson (1897, in Yarnal
et Kiladis, 1985) constate
l'existence d'une relation inverse entre les variations de
pression en surface au sud-est de
l'Australie (Sydney) et au sud-est de l'Amérique Latine
(Buenos Aires). Au tout début du
siècle, Lockyer et Lockyer (1902 ; 1904 in Yarnal et
Kiladis, 1985) observent l'existence
d'une fluctuation barométrique marquée entre les
régions indonésiennes et les régions
d'Amérique Latine. C'est à partir de ces premiers
travaux que Walker et Bliss vont élaborer
leur théorie.
17surtout depuis une vingtaine d'années
18 Tropical Ocean and Global Atmosphere Programme
19 se référer à la liste d'adresses de sites
Internet en Annexe
11
Dans les années 1920-1930, Walker et Bliss tentent de
trouver des indices qui
conditionnent l'apparition de la mousson indienne. Ils dressent
ainsi des liens statistiques
entre les variations barométriques du Pacifique et les
fluctuations thermiques et
pluviométriques des régions balayées par les
flux de la mousson indienne. Ils remarquent
d'une part que, lorsque le champ barométrique
fléchit sur l'océan indien, la pression de
surface au niveau de la zone intertropicale du Pacifique Est tend
inversement à croître et
d'autre part que cette baisse de pression sur l'Océan
Indien s'accompagne de précipitations
indiennes et indonésiennes excédentaires.
Walker et Bliss baptisent ce balancement de pressions : «The
Southern Oscillation»
c'est à dire l'Oscillation Australe. Ils la
définissent comme suit : «En règle générale,
lorsque
la pression est élevée sur l'Océan
Pacifique, elle a tendance à être faible sur l'Océan
Indien,
de l'Afrique à l'Australie et ces conditions s'associent
à des variations pluviométriques
inverses aux changements de pressions» (figure n°1).
Figure n°1 - Cartes de l'Oscillation
Australe. Corrélation entre les pressions (en haut) et les
précipitations (en
bas) en juin-juillet-août (à gauche) et en
décembre-janvier-février (à droite), d'après Walker
and Bliss, 1932, in
Hastenrath 1988.
Après une trêve, la recherche redémarre
à partir des années 1950 (in Allan 1988) avec
les travaux de Willett Bodurtha (1952), Schell (1956), Berlage
(1957, 1961, 1966), Ichiye et
Peterson (1963) Bjerknes (1961, 1966, 1969, 1972) et Doberitz
(1968). Ainsi, les cartes
obtenues par Berlage (1966) confirment l'existence de
l'Oscillation Australe. La persistance
des variations de pressions, la cohérence spatiale et la
régularité de l'oscillation permettent
d'étalonner ces balancements et d'obtenir un Indice
d'Oscillation Australe IOA20.
20 SOI (Southern Oscillation Index) dans sa formulation anglaise,
sera définie en I/B
12
La première connexion statistique entre l'Oscillation
Australe et le courant El Niño est
introduite par Ichiye et Peterson (1963, in Yarnal et Kiladis,
1985) consécutivement à
l'occurrence de El Niño de 1957. En 1966, Berlage est le
premier a mettre en évidence que le
renversement du champ de pressions dans le bassin pacifique
coïncide avec l'avènement
d'épisodes El Niño. Par ailleurs, il
démontre l'existence d'une corrélation entre les variations
barométriques de surface à Djakarta et les
températures marines de surface21 au large du
Pérou.
En 1966, le météorologue Bjerknes, ayant
observé des anomalies océaniques vers 180°
de longitude, divulgue le premier modèle conceptuel
plausible. Il a l'idée de mettre en
interaction par le biais de la «circulation de Walker»,
les processus atmosphériques et
océaniques de l'espace pacifique. Dès lors,
l'événement El Niño n'est plus considéré
uniquement comme un phénomène local mais comme la
résultante des fluctuations de
l'Oscillation Australe à l'échelle du Pacifique
Sud. Ainsi, depuis cette époque, ce qu'il
convient d'appeler les phases ENOA, correspond à un couple
d'interactions qui englobe à la
fois une composante océanique (le courant marin El
Niño) et à la fois une composante
aérologique (l'Oscillation Australe).
Par la suite dans les années 1970, un océanographe
K. Wyrtki propose un modèle
reposant sur la réponse de l'Océan Pacifique au
forçage des alizés. Les grands principes
physiques des phases ENOA sont alors compris même si les
auteurs sont encore en désaccord
en ce qui concerne le sens des interrelations des
différents facteurs impliqués.
Depuis la décennie 1980, les épisodes El
Niño continuent à faire partie des
préoccupations essentielles des scientifiques et un nombre
sans cesse accru d'études leur sont
consacrées. Les chercheurs tentent de compléter
progressivement l'état des connaissances
notamment en vue d'expliquer les causes ou éléments
déclencheurs du phénomène. En outre,
on s'aperçoit de plus en plus que les
événements ENOA ne se limitent pas seulement au
domaine Pacifique.
M. Leroux22 (1996) a par exemple montré l'influence
significative que joue l'espace
aérologique Atlantique étendu sur la dynamique du
domaine aérologique pacifique oriental
lors des épisodes El Niño23(voir supra).
Ce rapide aperçu24 de l'évolution de la
connaissance du phénomène étant terminé,
intéressons-nous dorénavant à la description
même des multiples mécanismes intervenant
dans le système couplé
océan-atmosphère ainsi qu'à son rythme de
récurrence. L'accent sera
dirigé sur le positionnement inhabituel de l'EM25 au cours
des situations à Niño car nous le
verrons par la suite, cette structure aérologique
conditionne fortement les régimes
pluviométriques des régions intertropicales.
21 TMS ou plus fréquemment SST (Sea Surface Temperature)
dans sa formulation anglaise
22 Professeur de climatologie à l'Université Jean
Moulin, Lyon III
23 les alizés maritimes du Golfe du Mexique franchissent
l'isthme hispano-américain, Leroux M., 1996.
24 compte tenu du nombre limité de pages
autorisées
25 Equateur Météorologique
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