B / - Comparaison de l'ampleur des préjudices
imputables aux aléas
en période ENSO dans trois pays andins :
Equateur, Pérou, Bolivie ;
des risques différentiels
L'objectif de cette partie est de montrer d'une manière
générale dans quelles
proportions les différents pays considérés
ont été affectés en période ENOA en 1982/83 et
en
1997/98. Un pays apparaît-il davantage touché ? Les
populations sont-elles nécessairement
plus touchées en période ENOA ?
Peu de bilans ont été dressés
consécutivement aux événements El Niño de 1986-87
et
de 1991-92 dans la mesure où leur magnitude a
été bien inférieure à celle des épisodes
de
1982-83 et de 1997-98 et n'a par conséquent pas
entraîné des préjudices aussi considérables
sur les implantations humaines. Aussi nous concentrerons-nous
uniquement sur l'examen des
implications des deux phénomènes majeurs qui se
sont déroulés en cette fin de siècle à 15 ans
d'intervalle. Des chiffres concernant les dommages survenus dans
les différents pays andins
lors du dernier El Niño ont été
publiés notamment par la CEPAL mais je ne dispose que du
rapport relatif à l'Equateur ce qui ne m'autorise
malheureusement pas à établir des
comparaisons précises pour tous les pays andins aux deux
dates.
Le journal Le Monde daté du 26 novembre 1998 mentionne que
: «Les pertes
attribuables à El Niño 1997-98 les plus importantes
touchent l'Amérique Centrale et du Sud.
Elles sont estimées à 18 milliards (sur 33,9
milliards de dollars à l'échelle planétaire).
Viennent ensuite l'Amérique du Nord (6,64 milliards),
l'Indonésie et l'Australie (5,33
milliards), l'Asie (3,8 milliards) et enfin l'Afrique (118
millions). (...) La colère d'El Niño a
frappé des pays à économie
vulnérable. Ses effets ont imposé une pauvreté accrue sur
des
populations et retardé le développement dans de
nombreux endroits du globe. (...) Considéré
comme le plus violent du siècle, il dépasse par sa
virulence celui de 1982-83, qui pourtant
avait provoqué des dégâts
évalués à 13 milliards de dollars de l'époque.
(...) 21 700 personnes
sont mortes dans les incendies et inondations induits par le
phénomène climatique, 541 000
sont atteintes de maladies liées à l'eau
(choléra et paludisme) et 117 millions ont été
blessées
ou souffrent de malnutrition à la suite des
dégâts provoqués dans les pays touchés».
Même si ces chiffres sont sujets à caution compte
tenu de l'étendue du champ d'action
du phénomène El Niño et de la
complexité des mécanismes générateurs de
dommages
impliqués, ils permettent malgré tout de prendre
conscience de l'ampleur des enjeux.
Le graphique suivant (figure n°22) montre que le nombre de
personnes affectées par
les catastrophes dites naturelles croît en permanence
depuis les années 60 au niveau mondial.
On observe également que les taux les plus
élevés de populations affectées correspondent
très
souvent aux années à Niño même si la
corrélation n'est pas systématique.
49
Figure n°22 - Population affectée
dans le monde par les catastrophes dites naturelles
tous types confondus depuis 1964, d'après BOUMA, 1997.
En ce qui concerne les pays andins, ils n'ont pas tous
été touchés avec la même
sévérité lors du phénomène El
Niño de 1982-83. Le Pérou ressort comme étant le pays le
plus
sérieusement touché par les sinistres
associés à l'événement de 1982-83 puisque les
dommages qu'il enregistre sont estimés à plus de
2000 millions de dollars de l'époque (figure
n°23) ce qui explique peut-être que le cas
péruvien est le plus souvent retenu pour illustrer
l'ampleur des sinistres attribuables aux phénomènes
El Niño aux dépens de la Bolivie et de
l'Equateur.
Bolivia Ecuador Peru
Coûts des pertes et des dégâts (en millions de
US dollars de l'époque)* 836.5 640.6 2001.8
Ralentissement du taux de croissance du PIB par habitant en 1982*
-11.5 -1.4 -2.3
Nombre de maisons détruites ou endommagées** 14500
13750 32900
Personnes affectées* 700000 950 000 129000
Nombre d'écoles endommagées** - 223 875
Nombre de ponts détruits** - 25 47
Kilomètres de routes détruites ou
endommagées** - 1300 2634
Superficie cultivée dévastée (Ha)** - 79563
30700
Population national en 1982 (approx.)*** 4345670 6784560 17 762
230
Superficie*** 1098600 270670 1285215
Figure n°23 - Quelques chiffres relatifs
aux dégâts survenus en Equateur, au Pérou et en Bolivie
lors du
phénomène El Niño de 1982-83, source : * :
CEPAL, 1983 ; ** : Sotelo87, 1986 ; *** : autres.
Toutefois, ces chiffres sont à mettre en rapport avec
d'autres données telles que la
population nationale ou la superficie des pays. En effet, le
Pérou est le pays le plus vaste des
trois entités considérées. Par
conséquent, les aléas ont une plus grande probabilité de
s'y
produire et d'y entraîner des préjudices. De
même, le Pérou étant de loin l'état le plus
peuplé,
ses habitants et leurs implantations se trouvent d'une
manière générale plus susceptibles de
subir des dommages en valeurs absolues. Par contre, en valeurs
relatives, environ 15 % de la
87 Sotelo R.J., 1986, The ecological and economic impacts of the
El Niño phenomenon in the South-East Pacific
50
population bolivienne et équatorienne ont
été affectés par les phénomènes
générateurs de
dommages attribuables à l'épisode El Niño
82-83 contre une proportion équivalente à
«seulement» 7% au Pérou ce qui permet de
relativiser le principe selon lequel ce dernier a été
le plus gravement affecté.
D'autres critères, tels que l'IDH ou le taux
d'alphabétisation permettraient également
d'affiner l'analyse et la signification des constats
d'endommagement. Cette thématique sera
brièvement abordée dans le paragraphe suivant et
fera l'objet d'une étude plus approfondie au
cours de ma thèse.
Ainsi, au regard des données du tableau n°23,
l'Equateur ressort, compte tenu de la
taille réduite de son territoire (4 à 5 fois
inférieure à celle des deux autres états
concernés),
comme étant le pays qui a été le plus
sévèrement affecté lors de l'occurrence du
phénomène
El Niño de 1982-83. Je propose dans les lignes qui suivent
de détailler et de comparer les
disparités en terme d'endommagement que l'Equateur a connu
en 1982/83 et en 1997/98 au
niveau national.
1982-83 1997-98
Total des pertes (million de dollars des époques
respectives) 640.6 2869.3
Pertes dans le secteur social (logement, santé,
éducation) 32.6 192.2
Infrastructures (canalisation, électricité,
transport, télécommunication, voirie urbaine...) 209.3 830.3
Secteur de production (agriculture, élevage, pêche,
industrie, commerce, tourisme) 405.6 1515.7
Autres (coûts des mesures d'urgence, de prévention
et de mitigation) 2.1 331.1
total des pertes / PIB (%) 5.8***** 15*****
Nombre de maisons détruites 13750** 14324**
Kilomètres de routes détruites ou
endommagées 1300* 4337****
Superficie des cultures affectées (Ha) 79563* 242723**
Victimes 220*** 286**
Population 6784560 11936000
Figure n°24 - Evaluation des
conséquences socio-économiques des phénomènes El
Niño de 1982/83 et de
1997-98 sur le territoire équatorien - Source : ***** :
Banco Central del Ecuador ; **** : Defensa Civil ; *** :
OPS ; ** : CEPAL ; * Sotelo, 1986.
Le tableau précédent (analyse sectorielle) montre
que tous les chiffres sont à la hausse
aussi bien en valeurs absolues qu'en valeurs relatives. Les
pertes en Equateur sont évaluées
pour le dernier épisode à 2869,3 millions de
dollars contre 640,6 en 1982-83 ce qui représente
15 % du PIB contre seulement 5,8 en 1983 (Banco Central del
Ecuador). Néanmoins, les
chiffres émanant de divers organismes, il n'est pas
toujours évident de vouloir les comparer
avec exactitude compte tenu du fait qu'ils sont la plupart du
temps basés sur des méthodes de
calcul différentes et n'intègrent pas
nécessairement les mêmes composantes d'un événement
à
l'autre.
Les bilans au niveau national nous autorisent seulement à
avoir une idée assez
générale de l'état des pays
consécutivement à un événement El Niño et
à réaliser des
comparaisons approximatives entre les pays. Qui plus est, dans la
première partie de cet essai,
nous avons vu que les événements El Niño ne
sont jamais similaires d'un épisode à l'autre et
que les phénomènes physiques qui leur sont
associés ne sont par conséquent pas identiques
51
non plus entre eux, n'affectant pas les mêmes secteurs avec
la même intensité. Il en résulte
que les conséquences sur les enjeux humains sont à
chaque fois spécifiques. Afin de mieux
appréhender la situation, il conviendrait d'établir
une étude plus détaillée à l'intérieur
des
pays. Aussi faudrait-il pouvoir posséder des
données au niveau provincial relatives aux
différents événements qui se sont
succédés. Or, s'il est possible de trouver cette information
pour le dernier phénomène, il n'est pas du tout
certain qu'elle existe pour les avènements des
El Niño antérieurs.
L'intérêt de disposer de ces chiffres réside
dans le fait qu'il serait alors envisageable
de dresser une cartographie comparative qui permettrait de faire
ressortir les secteurs où les
risques associés aux ENOA sont les plus
élevés. En identifiant avec précision ces zones, il
serait alors possible de diriger vers elles l'effort des
gouvernements, c'est à dire d'une part de
guider de manière appropriée les aides et mesures
d'urgence, d'autre part de mettre en place
des programmes d'information et de sensibilisation des
populations et enfin d'entreprendre
des actions de mitigation des aléas pour éviter que
ces derniers soient aussi pénalisants lors de
leurs manifestations ultérieures.
Je m'appliquerai l'année prochaine à approfondir ce
champ de recherche notamment
en explorant les enregistrements de la base de données
DesInventar qui présentent l'avantage
d'associer à chaque aléa une localisation
géographique précise (canton et souvent le lieu-dit)
et le nombre de morts, de blessés, de maisons
détruites....
A l'issue de cette partie, il apparaît que les multiples
phénomènes physiques associés
aux événements ENOA (inondations, glissement de
terrain, régression littorale, etc. ...)
entraînent une série de conséquences souvent
négatives sur les enjeux humains très
hétérogènes selon les états.
Ces différences d'endommagements peuvent s'expliquer tout
d'abord par le fait que
ces pays ne sont pas concernés par les mêmes
phénomènes générateurs de dommages. Nous
l'avons vu, le Pérou et la Bolivie se voient
affectés aussi bien par les inondations que par les
sécheresses alors que l'Equateur ne connaît pas ce
dernier type d'aléas lors des épisodes El
Niño. De plus, tous les trois subissent des glissements de
terrain mais seuls le Pérou et
l'Equateur enregistrent des modifications de leur trait de
côte et une baisse des captures
halieutiques pour la simple et bonne raison que la Bolivie est
dépourvue de littoral !
D'autres éléments complètent aussi
l'explication des disparités. L'Equateur, par
exemple, présente la particularité d'avoir une
superficie 4 à 5 fois inférieure à celle de ses
voisins. Même si en valeur absolue, les dégâts
demeurent en deçà des pertes relevées dans les
autres pays, il ressort comme étant le pays où, en
valeur relative, l'occurrence de dommages
au cours des événements El Niño, compte tenu
de la taille réduite de son territoire, est la plus
élevée. Les risques s'avèrent donc
inégaux entre les divers pays andins.
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