2 / - Classification et commentaires
Plusieurs types de classifications sont envisageables. En
m'appuyant sur les travaux de
différents auteurs qui ont établi des classements
hétérogènes mais complémentaires, je
propose d'organiser la distinction comme suit :
- Conséquences directes / indirectes
(échelle distinctive quant au rang de causalité)
Exemple : diminution de l'activité halieutique /
problèmes épidémiologiques
- Conséquences tangibles / intangibles
(échelle de perceptibilité)
Exemple : coût des pertes économiques / perte de
compétitivité, réputation76
- Conséquences régionales /
internationales (échelle spatiale)
Exemple : pénurie alimentaire locale / crise sur les
marchés mondiaux
- Conséquences mineures / majeures
(ampleur des implications)
Dégâts matériels localisés /
bouleversement de l'organisation sociétale générale
76 d'après «Disaster Economics», Disaster
Managment Training Programme, UNDP/DHA, 1994 in D'Ercole,
1999
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Certains auteurs77 singularisent également dans leur
classification les conséquences
immédiates ou à plus long terme (échelle
temporelle hiérarchisée) sur les enjeux humains.
L'avantage de cette dernière approche réside dans
le fait qu'elle intègre la totalité des types de
conséquences et qu'elle permet de mettre l'accent sur les
notions d'aménagement concerté
des territoires et de développement durable des structures
sociétales.
Dans ce domaine, le géographe est tout à fait
compétent dans le sens où il est en
mesure de trouver et de proposer des solutions pour minimiser et
prévenir les effets néfastes
imputables aux phénomènes induits par les ENOA,
notamment grâce à l'outil cartographique
qui permet de visualiser les effets territoriaux immédiats
ou à plus long terme.
Cela dit, dans la bibliographie recueillie, bien rares sont les
études qui prennent en
compte, outre les aspects immédiatement perceptibles des
catastrophes identifiables
rapidement après la survenue du sinistre (nombre de morts,
de blessés ou de sans-abri,
pourcentage du parc immobilier détruit ou de
récoltes perdues, coûts estimés des dommages
et des réparations, évaluation du manque à
gagner78, etc. ...), les effets à plus long terme sur
les milieux sociétaux (en dehors des aspects
économiques, on peut répertorier par exemple la
modification de pratiques sociales, la formation de nouveaux
quartiers consécutive au
relogement des sinistrés, des modifications fonctionnelles
à l'échelle d'une ville ou des
perturbations des réseaux de communication suite à
un glissement de terrain jugulant la
circulation ou suite à la destruction d'une entité
urbaine relais à cause d'inondations, etc. ...).
Les informations relatives aux aspects immédiats des
aléas émanent la plupart du
temps d'organismes nationaux et se présentent sous la
forme de bilans chiffrés correspondant
à des analyses sectorielles (économie,
santé, agriculture...). Quelques institutions
internationales récoltent l'information issue des
organismes précédents et rédigent des bilans
annuels comme le CRED79 qui participent à
l'élaboration du «Rapport sur les catastrophes
dans le monde» de la Fédération Internationale
des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant
Rouge80. Les compagnies de réassurance publient
également des synthèses81.
Ces constats d'endommagement résultent en grande
majorité d'informations fournies
dans l'urgence, rapidement après la survenue d'une
catastrophe ce qui explique qu'ils sont
«souvent disparates, parfois contradictoires et manquent
d'une vision globale et synthétique
indispensable à l'établissement de bilans
objectifs» (D'Ercole, 1996a).
Pour ce qui est des pays andins, les banques centrales, les
Services de Défense Civile,
la CEPAL82, l'OPS83, la Red84 par l'intermédiaire de sa
base de données DesInventar (cf.
Infra) disposent également d'une information très
détaillée en ce qui concerne les préjudices
que peuvent connaître les hommes et leurs implantations.
Les données présentent l'avantage
d'avoir souvent comme base de référence
l'échelon provincial notamment pour le dernier
épisode El Niño.
77 D'Ercole, 1995b.
78 D'Ercole, 1996a.
79 Centre de Recherches sur l'Epidémiologie des
Désastres de l'Université Catholique de Louvain à
Bruxelles
80 FSCR, 1996, Chap. 11 : Analyse statistique, in Rapport sur les
catastrophes dans le monde, Fédération
Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du
Croissant-Rouge, pp. 131-143.
81 PartnerRE, 1997, Annual Report, pp. 49-53.
82 Comisión Económica Para América Latina y
el Caribe.
83 Organisation Panaméricaine de la Santé
84 Red de estudios en ciencias sociales para la prevención
de los desastres.
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Ceci est d'autant plus intéressant qu'elle autorise une
représentation cartographique
des conséquences immédiates relativement
précise permettant de mettre en évidence d'une
part les secteurs les plus affectés et d'autre part des
évolutions au cours du temps dès lors
qu'on dispose de données à deux dates
différentes.
Les médias (télévision, radio, journaux,
magasines, Internet...) représentent une autre
source de renseignements sur les dommages occasionnés par
les aléas. Ils permettent de
véhiculer l'information et de dresser des bilans sur les
secteurs affectés lors de l'occurrence
des phénomènes El Niño. Toutefois, il
convient d'être vigilant. En effet, les distorsions par
rapport à la réalité peuvent être
grandes notamment dans la presse sensationnaliste qui tend
bien souvent à dramatiser la situation.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que l'on
répertorie relativement peu de travaux
se référant à l'Equateur bien que ce soit un
pays concerné en premier lieu par le phénomène
El Niño. A titre indicatif, le numéro
spécial du magazine «National Geographic» de mars
1999 consacré aux événements El Niño
et La Niña ne mentionne même pas l'Equateur, effacé
derrière le Pérou.
D'un autre côté, les conséquences à
plus long terme n'ont fait l'objet que de très peu
d'études bien que ces dernières soient loin
d'être négligeables. Les conséquences à court ou
moyen terme «touchent au domaine social, politique,
culturel, à celui de la psychologie
collective et des comportements. Elles sont aussi d'ordre
géographique lorsqu'elles exercent
une influence sur l'aménagement et le développement
spatial d'une région ou d'une ville, sur
l'utilisation du sol urbain, voire sur les hiérarchies
urbaines. En fin de compte, ces dernières
conséquences peuvent s'avérer plus
pénalisantes que les premières, notamment à
l'échelle
locale ou régionale où, plus qu'à
l'échelle nationale, il est difficile «d'écrêter»
le choc des
catastrophes» (D'Ercole, 1996b).
Le PNUD signale ce manque de prise en considération des
aspects à plus long terme
des phénomènes El Niño. «While the
short-term effects are being increasingly publicised,
there needs to be greater awareness of the longer-term impacts of
the phenomenon,
particularly its disastrous effects on the economies of many
countries that are already
precariously close to economic collapse. (...) Significant
long-term damage can be expected
from the current El Niño to both economic and social
sectors in affected countries, and have a
lasting severe environmental impacts in several
regions85».
Quelques articles faisant allusion à cette
thématique existent malgré tout. Isabelle
Lausent-Herrera86 du CNRS de Saint Germain en Laye a mené
une étude sur l'adaptation des
communautés rurales aux fluctuations climatiques
associées aux phases ENOA dans la vallée
du Chancay au Pérou.
«Since 1940 up to 1973, most of the droughts that occurred
in the high Chancay
Valley were associated with El Niño phenomenon. ... The
impact of droughts over economic
strategies differed across peasant communities and also from one
drought to another. Most of
85 D'après http://www.reliefweb.int
86 LAUSENT-HERRERA I., 1992, El Niño, sequías y
estrategías campesinas en el alto valle de Chancay 1940-
1973
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the changes induced by droughts implied an acceleration of
structural transformations already
engaged. They precipitated economic specialisation according to
natural resources availability
and proximity to different kinds of regional markets. Communities
in the highest lands
specialised in sheep raising in order to serve central Andean
mining markets. Other peasant
communities abandoned traditional foodstuff and dedicated to
fruit growing sold to urban
coastal markets» (Lausent-Herrera, 1992).
Lorenzo Huertas Vallejos, de l'Université Enrique
Guzmán y Valle (Pérou) a étudié
quant à lui ce qu'impliquent les
dérèglements écologiques associés aux
phénomènes El Niño
sur les sociétés péruviennes au cours de
l'histoire. «El Fenómeno El Niño es de data milenaria
y su presencia acondiciona la vida material y espiritual de los
pueblos; influye en la
ubicación, traza y viso de centros poblados; desacumula
excedentes productivos; y repercute
en el campo de la ideología. ... Pese a esto, son pocos
los trabajos de carácter histórico que se
han hecho sobre dicho fenómeno.... El 15 de marzo del
año de 1720, las aguas del cielo y de
la tierra y sobre todo la impresionante avenida « que salio
de su caxa y madre » destruyó todas
las casas y sólo las iglesias por su solidez resistieron
el embate. Esa tragedia implicó el
traslado del pueblo» (Lorenzo Huertas Vallejos,1993),
(figure n°21).
Figure n°21 - Translation de l'emplacement
du village de Zaña au nord du Pérou suite au sinistre
provoqué par
une coulée boueuse occasionnée lors de
l'épisode El Niño de 1720, d'après Lorenzo Huertas
Vallejos, 1993.
Le dernier exemple montre que la représentation
cartographique des conséquences à
plus long terme apparaît tout à fait envisageable
notamment au niveau des villages grâce aux
plans cadastraux. Cette démarche constitue une approche
innovatrice qu'il convient
d'approfondir d'autant que les enjeux sont de taille et que des
alternatives d'aménagement
approprié des territoires permettant de réduire la
survenue des dommages, existent.
Au sortir de ce chapitre, il apparaît que d'une part, les
conséquences sur les activités et
l'organisation des sociétés humaines sont
extrêmement variées et que d'autre part, étant bien
souvent dépendantes les unes des autres, elles
s'enchaînent et additionnent les problèmes qui
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leur sont associés. Par ailleurs, leur classification nous
a permis de mettre en évidence la
pertinence d'une distinction entre les conséquences
immédiates et les conséquences à plus
long terme.
Cette hiérarchisation inclue en effet
l'intégralité des types de conséquences et
s'intègre
dans la problématique du développement durable des
groupes sociétaux. Les conséquences à
long terme, globalement beaucoup moins prises en
considération, correspondent pourtant à
des modifications profondes des structures sociétales et
à des perturbations notoires de
l'activité et de l'organisation des communautés
humaines qui peuvent s'avérer après une ou
plusieurs décennies très problématiques
faute d'y avoir remédié à temps. Ceci rend
impératif
la prise de mesures notamment dans le domaine de
l'aménagement des territoires, travail que
peut assumer un géographe en s'appuyant sur l'outil
cartographique. Je propose désormais,
après avoir inventorié la panoplie de
conséquences des aléas associés aux ENOA sur les
enjeux humains (approche qualitative), d'étudier de
manière plus quantitative dans quelles
proportions les différents pays andins ont
été affectés par les épisodes El Niño de
1982-83 et
de 1997-98.
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