commentaire
Avant toute chose, il convient de clarifier avec précision
l'acception que j'entends
attribuer plus spécifiquement au terme
«conséquence» afin d'éviter d'éventuelles
confusions.
Contrairement aux mots «répercussions» ou
«impacts» des événements El Niño,
utilisés
auparavant et se référant aux incidences
climatiques et écologiques, le terme conséquence
quant à lui s'appliquera uniquement aux enjeux humains. Il
équivaudra exclusivement aux
implications de l'enchaînement d'aléas physiques
inhabituels attribuables aux ENOA sur les
implantations et activités anthropiques.
1 / - Identification des conséquences
Je propose dans un premier temps de détailler les diverses
conséquences sur les
groupes sociétaux qu'engendrent les différents
types d'aléas préalablement étudiés en pays
andins. Cette analyse non exhaustive s'organise avant tout selon
une approche qualitative.
Elle sert à fournir au lecteur un aperçu
général à propos de la thématique
évoquée.
Les crues et inondations : les
conséquences qu'entraîne ce type de phénomènes
hydrologiques sur les enjeux humains relèvent de plusieurs
niveaux.
Tout d'abord, les atteintes qu'ils imprègnent au milieu
environnemental vont de fait
perturber directement les implantations humaines. Une crue peut
très bien être à l'origine
d'une série de dommages aux ouvrages et aux
aménagements entrepris par l'homme. En effet,
les débits très forts sont susceptibles
d'endommager ou même de détruire carrément les ponts
et les endiguements. Les sapements latéraux peuvent
occasionner la déstabilisation des
constructions riveraines. Les débordements risquent
d'entraîner des inondations dans les
zones d'habitat et de production.
En second lieu, la venue excessive d'eau porte également
atteinte aux ressources de
l'homme. La submersion de vastes superficies compromet
très gravement les récoltes
agricoles et l'activité pastorale. Ces problèmes
vont à leur tour se répercuter sur l'économie
des pays en question. La destruction des ponts va perturber
très sérieusement les
communications. L'acheminement des productions locales vers les
foyers de consommation
va s'avérer difficile. A l'opposé, le
ravitaillement de ces zones va être problématique ce qui
accroît la vulnérabilité des personnes du
fait de la malnutrition et de la consommation d'eau
non potable. En outre, la mobilité des communautés
et l'accès aux centres de soins73 sont
réduits.
En parallèle à cela, s'ajoute le
développement des épidémies. Les températures
plus
élevées mesurées lors des épisodes El
Niño sur la façade littorale ouest de l'Amérique du sud
et la présence en grande quantité d'eau contribuent
à accroître le risque pathologique (figure
n°20). Toutefois, comme cela est mentionné dans le
rapport de l'OPS74, il convient de rester
prudent quant aux corrélations hâtives.
73 centres de soins qui ont d'ailleurs pu subir des
dégâts...
74 PAHO, (1998b), Repercusiones sanitarias del Fenómeno El
Niño, 122.a Sesión, Washington, D.C., Junio de
1998, d'après
http://www.paho.org/spanish/ags/span_indx.htm, 20p.
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«Actualmente no se cuenta con datos concretos que demuestren
una correlación
sistemática y fiable entre el fenómeno El
Niño y el aumento ó la disminución de
enfermedades infecciosas. Sin embargo, algunas asociaciones de
estudios retrospectivos y
datos preliminares de estudios en curso indican que El
Niño repercute en la incidencia de
ciertas enfermedades infecciosas. La repercusión de El
Niño en la transmisión de
enfermedades deberá considerarse dentro del contexto de la
ecología de las enfermedades
(niveles endémicos epidemiológicos, reservorios
existentes de vectores, interacciones entre
huésped y parásito), la gravedad del
fenómeno, otras influencias climáticas y los cambios
sociales. La relación entre El Niño y la salud es
compleja» (OPS, 1998b).
Figure n°20 - Evolution des cas de malaria
en Equateur, au Pérou et en Bolivie entre 1970 et 1996 compte tenu
des années à Niño, d'après OPS75,
1998b.
Enfin, un autre cas de figure, correspond aux décès
par noyade causés directement par
les crues et inondations. Ces accidents demeurent malgré
tout peu nombreux.
Les glissements de terrain : l'implication des
glissements de terrain en terme de
préjudices aux infrastructures et en terme de
dysfonctionnements dans l'organisation humaine
concernent plusieurs domaines. Là encore la mort directe
de personnes par la mise en
mouvement de matière reste peu courante. Par contre, les
infrastructures de transport
subissent de profonds endommagements. En effet, il est
très fréquent d'observer des
glissements de terrain qui se déclenchent le long des
routes. Cela s'explique par le fait que
lors de leur construction, on a bien souvent
procédé à un déboisement du secteur, et à
l'entaillage des formations sédimentaires laissant
apparaître des talus sensibles aux
ravinements et à l'infiltration. Les conditions sont
dès lors réunies pour que les terrains
deviennent sursaturés en eau et se mettent à
fluer.
Outre le fait que les voies de communication soient
coupées, jugulant la circulation et
entraînant les problèmes préalablement
abordés, les mouvements en masse peuvent provoquer
d'une part, la rupture des canalisations souterraines, notamment
d'eau, et d'autre part le
sectionnement des lignes électrique et
téléphonique laissant les communautés humaines dans
le plus grand désarroi et en situation d'isolement le plus
total. Ces perturbations concourent à
changer l'organisation territoriale des sociétés.
Les réseaux urbains et les habitudes de
déplacement des populations s'en trouvent très
nettement modifiés.
75 PAHO, (1998b), Repercusiones sanitarias del Fenómeno El
Niño, 122.a Sesión, Washington, D.C., Junio de
1998, d'après
http://www.paho.org/spanish/ags/span_indx.htm, 20p.
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Les sécheresses : les déficits
hydriques vont influer en premier lieu sur les
productions agricoles et l'activité pastorale. La
diminution des récoltes peut engendrer tout
d'abord un manque de nourriture pour le bétail et ensuite
être à l'origine d'une pénurie
alimentaire voire d'une famine. La baisse des récoltes
peut influencer aussi l'équilibre des
marchés mondiaux et dans certains cas engendrer une crise.
A cela s'ajoutent les problèmes
de sous-emploi et de précarité au sein des
populations rurales.
Dans un deuxième temps, la sous-nutrition et le manque
d'eau potable dans les régions
touchées par la sécheresse contribuent à
affaiblir la résistance immunitaire des individus -
surtout chez les populations en bas âges - les rendant plus
vulnérables face aux maladies.
Le réchauffement des eaux côtières :
nous l'avons vu l'arrivée du courant chaud El
Niño le long des côtes sud-américaines inhibe
la remontée des eaux froides riches en
nutriments ce qui cause une diminution de la biomasse zoo et
phytoplanctonique aboutissant à
une rupture de la chaîne alimentaire. Privées de
nourriture, les populations de poissons
pélagiques migrent ou meurent ruinant ainsi
l'activité halieutique équatorienne et péruvienne
dont dépende en grande partie leur économie.
De surcroît, l'avifaune connaît en conséquence
un taux de mortalité élevé. Or la fiente
des oiseaux constitue le précieux guano à partir
duquel sont produits des engrais. Cette
activité là encore s'interrompt
momentanément. Ces dérèglements concourent à
réduire de
manière notoire le PIB des pays en question.
Les captures d'anchois sont vendues aux E.U., au Canada et en
Europe sous forme de
farine de poisson destinée à l'alimentation animale
(volaille, bétail). La diminution des pêches
aboutit à une réduction de la production de farine
qui entraîne une carence d'aliments pour
l'élevage. Par voie de conséquence, la production
de soja, aliment de compensation, va être de
plus en plus sollicitée. Sur les marchés
internationaux, la demande sera supérieure à l'offre
d'où une hausse de son prix et du coût de revient
des productions animales.
La cessation inévitable d'activité cause là
encore des problèmes de chômage et se
traduit dans le paysage par la présence d'infrastructures
provisoirement abandonnées.
La régression de secteurs littoraux : le
recul des formes littorales s'avère surtout
problématique dans les régions où les
implantations humaines se localisent à proximité du
front de mer. En effet, le démaigrissement des plages peut
menacer directement les
établissements riverains. Les maisons, les unités
de productions, les complexes touristiques et
les infrastructures portuaires sont d'abord
déstabilisés à leur base par le phénomène
de
sapement associé à la houle, puis se
démantèlent et s'effondrent progressivement avant de
disparaître sous les flots. Ainsi, la destruction
d'habitations et des constructions anthropiques
en général va entraîner des
déplacements de population et la reconstruction
d'établissements
dans de nouvelles zones pour reloger les sinistrés.
Nous l'avons vu, le repli des secteurs côtiers se produit
principalement lors des
événements majeurs. Or, l'augmentation de la
fréquence et de l'intensité des épisodes El Niño
observée depuis les années 1970 couplée
à la densification humaine dans les régions littorales
contribuent à accentuer le risque.
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Les axes de communications longeant fréquemment le trait
de côte subissent là aussi
des dommages qui viennent s'ajouter aux autres contraintes qui
réduisent déjà la mobilité
humaine à savoir les glissements de terrain et la
destruction des ponts par les crues (voir
infra).
Les progradations : l'accrétion de
secteurs littoraux, même si elle apparaît moins
dangereuse que le repli des côtes, présente
malgré tout, des inconvénients pour les activités
anthropiques. Elle contribue notamment à éloigner
les villages du bord de l'océan rendant
plus difficile l'accès à la mer pour les
pêcheurs. Ceci est d'autant plus vrai que lors des
épisodes El Niño, les rivières
déversent des volumes considérables de bois morts dans la mer
que la houle vient ultérieurement déposer sur les
plages formant des amalgames difficilement
franchissables. Ces modifications des formes littorales et la
présence de débris en abondance
sur les plages sont néfastes y compris pour les
activités liées au tourisme.
Enfin, j'ai pu constater dans certains sites comme à
Ayampe entre Olón et Puerto
López dans la province du Manabí sur la côte
équatorienne, un nouveau front de constructions
au devant de l'ancien village en direction de la mer, rendu
possible par un gain de plage lors
du dernier El Niño que j'estime à une trentaine de
mètres.
Il ressort des lignes précédentes que la panoplie
de conséquences sur les groupes
sociétaux, sur leur organisation et sur leurs
implantations territoriales est d'envergure. Par
ailleurs, l'on remarque qu'elles forment un enchaînement de
conséquences en interrelations
entre elles. La nécessité de les répertorier
et de les classer s'impose afin d'être mieux à même
de les comprendre dans leur complexité. Une telle
hiérarchisation nous autorisera à trouver
ultérieurement des alternatives en vue de minimiser les
préjudices.
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