2. PVD et PMA : vers un réel accès aux
médicaments ?
Cet accord ADPIC, aussi bien signé par les pays
développés que par les pays en
voie de développement, prévoyait certes des
règles à respecter en matière de
protection intellectuelle mais il contenait également des
flexibilités, notamment
celle des « autres utilisations sans autorisation du
détenteur » du brevet
appelées plus tard « licences obligatoires ».
En effet, selon cet accord, un gouvernement d'un pays membre de
l'OMC peut
délivrer une licence obligatoire, c'est-à-dire
qu'il peut autoriser un tiers à
fabriquer le produit breveté sans le consentement du
titulaire du brevet ; la
délivrance de ces licences n'étant possible que
sous un certain nombre de
conditions visant à protéger les
intérêts du détenteur du brevet. Les PVD,
espérant pouvoir se servir de ce système de
licences obligatoires, ont signé cet
accord en attendant également un futur assouplissement des
règles
internationales en matière thérapeutique.
Cette réforme était programmée pour 2001,
lors d'un nouveau cycle de
négociations internationales au sein de l'Organisation
Mondiale du Commerce.
Ces licences obligatoires pouvaient, en théorie,
être délivrées dans les
« situations d'urgence nationales 4», dans d'autres
« situations d'extrême
urgence » ou en cas d'utilisation « par les pouvoirs
publics à des fins non
commerciales ». Dans la pratique, cela est plus confus et
plus difficile. En effet,
lorsque les états des pays en voie de
développement ont décidé de recourir
à cette flexibilité, ils se sont
heurtés à la résistance des pays
développés.
4 Accord ADPIC, Article 31b
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Un cas est particulièrement connu : il s'agit de l'Afrique
du Sud.
L'Afrique du Sud est, avec 5.3 millions de personnes
infectées, le pays qui
compte le plus grand nombre de malades du sida dans le monde.
En 1997, cet Etat a légiféré pour permettre
aux malades d'accéder aux
médicaments adaptés et à bon marché.
Cette loi a donc ouvert un espace à la
production et à l'importation de médicaments
génériques, moins chers que ceux
mis sur le marché par l'industrie pharmaceutique mondiale
suivant le principe des
licences obligatoires.
Cependant, les grands laboratoires mondiaux n'ont pas
tardé à agir en justice
devant les instances internationales contre l'Afrique du Sud, au
motif qu'elle
violait les règles internationales en matière de
propriété intellectuelle.
Cette affaire a été médiatisée dans
le monde entier et s'est révélée être le
procès de tous les pays du Sud, privés de
traitement car ils ne sont pas assez
solvables contre les grands laboratoires du Nord
et les pays où sont situés
leurs sièges sociaux, notamment les Etats-Unis et certains
pays d'Europe. En
effet, aux côtés des laboratoires, les pays du nord
ont également participé aux
pressions, économiquement, sur les gouvernements des pays
souhaitant mettre
en place de telles stratégies.
Les Organisations Non Gouvernementales de tous les pays sont
intervenues pour
demander le retrait de la plainte des laboratoires, qui ont
cédé devant l'ampleur
de la situation. L'Afrique du Sud a donc pu continuer à
mettre en place des
solutions pour améliorer l'accès de ses malades aux
génériques.
Après cette affaire, la question de l'accès
des pays pauvres aux médicaments
s'est trouvée au centre des discussions
ayant lieu à l'OMC. En effet, elle est
devenue le symbole de la prise en compte des
spécificités des pays du Sud.
A Doha, en 2001, un assouplissement des règles
internationales en matière
thérapeutiques était prévu (depuis la
signature des accords de Marrakech).
A la fin des négociations, les Etats membres ont
adopté une « Déclaration sur
l'Accord sur les ADPIC et la Santé Publique » dans le
but d'élargir à tous l'accès
aux médicaments, notamment pour les maladies telles que le
Sida, la tuberculose
et le paludisme.
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Dans cet accord, souvent appelée « Déclaration
de Doha » (Annexe 1), les pays
du Nord reconnaissent la « gravité des
problèmes de santé publique qui touchent
les pays en voie de développement et les pays les moins
avancés5 ». Les états
membres ont également reconnu l'importance de la
santé publique et de l'accès
de tous aux médicaments existants. Pour la
première fois, on a affirmé que les
médicaments n'étaient pas une marchandise
comme les autres et que la santé
publique primait sur les droits de
propriété intellectuelle. Aujourd'hui encore,
cette conférence de Doha est reconnue comme un
acte politique majeur de la
part de tous les états en faveur de l'accès des
pays pauvres aux médicaments.
Qu'a apporté concrètement cette décision
?
Cette déclaration valide la flexibilité de l'accord
ADPIC sur les licences
obligatoires dans le sens où elle autorise chaque membre
à accorder ces licences
toujours en cas de situation d'urgence. Elle reconnaît
également que les maladies
telles que le Sida, le paludisme et la tuberculose peuvent
représenter une
situation d'urgence nationale dans certains pays, ce qui est une
bonne chose pour
les pays en voie de développement.
Cependant, cette flexibilité creuse encore un peu plus
l'écart entre les pays qui
ont les capacités de production de médicaments
génériques au sein des PVD,
comme le Brésil, l'Inde ou la Thaïlande, et ceux dont
la situation économique ne
leur permet pas de produire eux-mêmes les
médicaments dont ils ont besoin.
Dans ce sens, les pays membres ont également reconnu dans
cette déclaration
relative à la santé publique que « les pays ne
disposant pas de capacités de
production dans le secteur pharmaceutique [PMA] pourraient avoir
des
difficultés à recourir de manière effective
aux licences obligatoires6 ».
En effet, si la déclaration de Doha entrouvre la voie de
l'accès aux médicaments
pour les pays émergents par l'utilisation des licences
obligatoires, ce qui
constitue une avancée certaine ; elle interdit
toujours l'exportation des
génériques entre pays
émergents producteurs, PVD non producteurs et PMA,
souvent les plus touchés par la maladie. Pourquoi ?
Principalement parce que les
laboratoires craignent que ces médicaments
génériques, produits dans les pays
du Sud, viennent inonder les marchés solvables du Nord, ce
qui entraînerait une
baisse considérable de leurs revenus.
5 Déclaration de Doha, Article1.
6 Déclaration de Doha, Article 6
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Malgré les réticences des pays du Nord, les membres
de l'OMC sont quand même
convenus qu'il fallait trouver une solution pour faciliter
l'accès des pays les plus
pauvres aux soins et se sont donnés jusqu'à fin
2002 pour trouver une solution
acceptable pour les deux parties. Or, aucune décision n'a
été prise avant
l'échéance donnée par l'OMC lors de la
conférence de Doha. Pourtant l'Union
Européenne ainsi que vingt quatre gouvernements
étaient arrivés à un accord fin
2002. Celui-ci devait autoriser certains pays à fabriquer
et à exporter ces vers
les pays les plus nécessiteux en terme de traitement, en
étudiant chaque dossier.
En résumé, cet accord, s'il avait été
adopté, aurait garantit l'accès des plus
pauvres aux produits génériques tout en
évitant la réexportation vers d`autres
pays. Il ne restait plus qu'à déterminer quels
médicaments étaient concernés par
cet accord et quels pays auraient pu en bénéficier.
Mais aucun consensus n'a été
approuvé par tous les membres de l'OMC par rapport
à cet accord.
Pourquoi ?
Une nouvelle fois, on a assisté à une
opposition des parties présentes sur tous
les plans et chaque partie est restée
« campée » sur ses positions notamment en
ce qui concerne les maladies visées par cet accord. En
effet, les Etats-Unis et
pays développés voulaient qu'une liste de
vingt-cinq maladies transmissibles soit
établie alors que les PVD ne voulaient pas déroger
à l'article 1 de la déclaration
de Doha qui mentionne « le Sida, la tuberculose, le
paludisme et d'autres
épidémies... », c'est-à-dire toutes les
maladies pouvant entraîner une situation
d'urgence sanitaire.
En effet, les PVD ne veulent aucune restriction pour pouvoir
importer tous les
médicaments dont leurs populations ont besoin. Mais
certains PVD, comme l'Inde
ou l'Afrique du Sud, producteurs de génériques, ne
souhaitent pas non plus voir
se fermer de futurs marchés potentiels ; ces pays
n'étant pas non plus dénués de
toutes arrières pensées économiques.
L'opposition s'est également remarquée sur
l'attitude des deux parties. Les pays
développés craignent que les pays du Sud abusent de
la situation, c'est-à-dire,
qu'ils considèrent chaque maladie comme une situation
d'urgence qui entraîne
donc, selon cet accord, l'importation de génériques
à bas coûts. Les PVD, quant à
eux, pensent que les pays développés manquent
à leur parole, surtout après
l'affaire concernant les licences obligatoires en Afrique du Sud
notamment.
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Dans ces conditions, il apparaît clairement qu'aucun accord
n'ait pu être trouvé.
La situation, dans une impasse depuis, a enfin trouvé une
solution fin août 2003
grâce à une décision de l'OMC sur
l'importation de génériques par les pays les
moins avancés (Annexe 2).
Cette dernière décision va-t-elle enfin permettre
aux PVD et surtout aux PMA
d'importer ces génériques ?
Oui, mais sous réserve. En effet, cet accord permet
à tous les pays membres de
l'OMC d'exporter des produits pharmaceutiques dans le cadre de
licences
obligatoires mais sous certaines conditions qui figurent dans la
décision. Il faut
notamment que le pays exportateur et le pays importateur
émettent
simultanément des licences obligatoires et que le pays
importateur ait au
préalable informé le conseil des ADPIC de son
intention d'importer des
génériques au risque de subir ensuite
d'éventuelles pressions économiques
unilatérales de la part de certains pays
développés. Il apparaît donc à la vue de
toutes ces conditions et procédures que cet accord sera,
une fois encore, bien
difficile à mettre en oeuvre pour les pays pauvres.
En résumé, favoriser l'accès des pays
pauvres aux médicaments est une idée
reconnue et admise par tous, y compris par les pays
développés. Des accords
internationaux ont été signés en ce sens
à de nombreuses reprises mais dans la
pratique, ces accords semblent, à chaque fois, contenir
des éléments qui freinent
cet accès voire qui l'empêche. Cependant, on peut
quand même noter une certaine
avancée dans le sens où les pays
développés ont accepté ce dernier accord sur
l'importation des génériques par les pays les moins
avancés, sous de nombreuses
conditions, certes, mais le concept a été
accepté.
Depuis la déclaration de Doha et suite à de
nombreuses pressions internationales
de la part des organisations non gouvernementales mais aussi des
pays en voie de
développement producteurs de génériques,
tels que l'Inde ou le Brésil, les grands
laboratoires ont mis en place de nouvelles stratégies
visant à diminuer le prix de
leur thérapies pour les pays les moins avancés.
Quelles stratégies doivent être mises en place pour
favoriser l'accès des plus
pauvres aux médicaments à l'avenir ? Qui sont les
acteurs ?
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