c) Un apaisement de l'opinion sur la guerre
d'Algérie
C'est bien le paradoxe de cette période. S'il s'agit de
la période la plus intense en polémiques, suite à la
récupération politique du débat sur la guerre
d'Algérie, les questions les plus décisives comme la torture ou
même le rôle de de Gaulle connaissent un relatif apaisement. Aussi
assiste-t-on à une reconnaissance quasi-généralisée
de l'utilisation de pratiques « non-conventionnelles » pendant le
conflit si bien que les tentatives pour créer le débat sur ce
thème sont vouées à l'échec. On l'a vu, même
la découverte du charnier de Kenchela suscite peu de
réactions.
L 'Honneur d'un capitaine, film de Pierre
Schoendorffer d'après son roman, connaît le même sort.
Souvent présenté comme un plaidoyer pour la torture, les
réactions au films sont en fait très limitées. Seuls
Pierre Vidal-Naquet et Laurent Schwartz le critiquent violemment : « C'est
tranquillement, aujourd'hui, qu'un film lancé à grand fracas,
réhabilite la torture et les tortionnaires »269.
Mais même le militant contre la torture qu'est Vidal-Naquet, semble
moins convaincu. Sa critique se limite à une petite phrase au
détour d'une réflexion sur le projet d'amnistie alors qu'en 1971,
il avait consacré plusieurs tribunes à contester, point par
point, les arguments de Massu. Un seul lecteur répond à
Vidal-Naquet et Schwartz. Le ton n'est plus enflammé et intransigeant
comme dans les années 1970. Vingt ans ont passé depuis la fin de
la guerre. Le lecteur en question conteste juste la lecture du film qu'ont
faite les deux hommes :
« Le film en question ne réhabilite pas du tout la
torture et les tortionnaires. Il montre bien davantage les contradictions qui
se trouvent en chaque être humain et la complexité de l'homme.
Heureux les auteurs de la lettre et leurs certitudes faciles !
»270
Cet apaisement que l'on trouve dans la société
civile, s'aperçoit aussi dans les échanges
entre anciens combattants algériens et français.
Le Monde du 21 octobre 1980 note ainsi qu'une délégation
de moudjahidin algériens est en visite en France, suite à une
invitation lancée par l'Association républicaine des anciens
combattants. Plus symbolique encore est la réponse que fait le
général Massu à une tribune du commandant Azzedine :
« La guerre que le pouvoir politique nous a
demandé, à nous soldats, de faire au F.L.N. fut cruelle, certes,
mais nous l'avons faite sans haine [...]. Aujourd'hui, je souhaite
268 A. Peyrefitte, op. cit.
269 « Le chemin de l'honneur et celui de la honte »,
par P. Vidal-Naquet et L. Schwartz, 27 octobre 1982
270 « Correspondances : le témoignage d'un
appelé », 24 novembre 1982
vivement que «Si Azzedine» [...] accepte la main que
je lui tends, afin que nous nous retrouvions pour travailler franchement
à l'amitié franco-algérienne »271
Cette fraternisation entre les adversaires de jadis est bien
le signe qu'en vingt ans, les plaies se sont refermées et que le temps
est venu de porter un regard neuf sur la guerre d'Algérie. Massu ne nie
pas la cruauté de cette guerre mais il semble la regretter, d'où
cette main tendue de la réconciliation ; c'est le geste qui pardonne et
demande pardon.
1980-1982 : cette période de l'histoire du débat
sur la guerre d'Algérie est bien curieuse. A première vue, bruit
et fureur se déchaînent, les passions sont les plus aiguës et
les réactions les plus radicales. Ce bouillonnement de polémiques
en tout genre se concrétise par le nombre élevé d'articles
du Monde consacrés à la guerre d'Algérie mais
aussi par la multiplication d'affaires qui mobilisent l'opinion pendant
quelques semaines.
Mais cette agitation est avant tout politique. Elle n'est pas
révélatrice d'une division de la nation en deux camps
inconciliables. Les réactions violentes font avant tout partie du jeu
politique où il s'agit d'exagérer son mécontentement pour
être pris en compte. L'agitation est en outre entretenue par
l'extrême droite qui entame un retour sur la scène politique
française dans les années 1980 et cherche à honorer la
mémoire des anciens de l'O.A.S. (affaire Dominati, amnistie... ). Cette
récupération politique signifie en fait que la guerre
d'Algérie n'est plus le sujet tabou de la société
française.
Au contraire, on assiste, ici ou là, à
l'émergence, en particulier au sein de la génération qui
n'a pas été impliquée dans le conflit, d'une
volonté de mémoire sur la guerre. Ce travail de mémoire
est alors indissociable d'un certain idéal de justice : ce nouveau
regard qui se porte sur « les événements » est alors
plus sévère et cherche à déterminer les
responsabilités, comme pour le putsch des généraux.
Conjointement à ce travail de mémoire, s'exprime un désir
de réconciliation et d'apaisement dont la main tendue de Massu à
Azzedine reste le plus bel exemple.
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