2/ Le P.C.F. et la guerre d'Algérie
a) S'attribuer le prestige de la lutte anticolonialiste
Nous avons déjà signalé, à propos
de Charonne, que le parti communiste souhaite se voir attribuer le prestige des
victimes « martyres » de la répression. Il en est de
même avec le déclenchement de la rébellion en
Algérie. Le parti tente de réécrire l'histoire pour se
donner le beau rôle du prophète incompris : il aurait
été ainsi le seul à comprendre en 1954 que
l'indépendance était inéluctable et qu'il fallait soutenir
l'aspiration nationaliste des Algériens.
En effet, M. Guyot, membre du comité central du parti
communiste, répond à l'article qu'a consacré Philippe
Herreman à la Toussaint Rouge, le 1er novembre 1979. En
s'appuyant sur les résolutions du comité central, il tente de
prouver que, dès le début, le parti communiste soutient la
revendication d'indépendance. Il évoque ainsi la mission
historique à laquelle se serait soumis le P.C.F. : «
Commençait alors un long et difficile combat pour gagner à cette
juste cause, conforme à l'intérêt national, la
majorité de notre peuple »214.
Philippe Herreman répond à juste titre qu'il
existe un décalage entre les discours lénifiants du parti et son
hostilité, dans la pratique, aux revendications nationalistes. Il met
en
213 « Dans la presse hebdomadaire, godillots et
«pieds-nois» », 25 juin 1980
214 « Le P.C.F. et le déclenchement de la
rébellion en Algérie », 24 novembre 1979. Cet article est
traité dans le chapitre consacré à la période
1980-1982 car il est plus révélateur de cette période -
d'autant plus que la polémique se poursuit jusqu'en 1980 - et de la
récupération des thèmes de débat sur la guerre
d'Algérie par les partis politiques.
exergue le paradoxe fondamental de l'attitude communiste :
« D'une part, rester fidèle à ses principes
et lutter sans retenue pour l'indépendance de l'Algérie ; d'autre
part, tenir compte des réalités, à savoir que son
électorat «pied-noir» et une partie de ses militants et
sympathisants en métropole, étaient favorables au maintien de la
présence française »215
Or dans, la pratique, le parti tient surtout à rassurer
ses électeurs : il ne mobilise pas ses
adhérents pour soutenir les nationalistes
algériens, il est plutôt méfiant envers le F.L.N.et il vote
les pouvoirs spéciaux au gouvernement Mollet qui donnent tout pouvoir de
police à l'armée.
Le courrier de M Guyot suscite de nombreuses réactions
d'indignation, signe d'une rapide politisation de l'affaire. Par souci
d'équité, vraisemblablement, Le Monde publie deux
réponses indignées à la lettre de M. Guyot et deux
courriers de militants communistes. Les militants veulent faire du parti
communiste, le seul parti ayant cherché à résoudre
pacifiquement le problème algérien. Cependant, ils évitent
d'en dire plus sur les solutions pacifiques proposées. En
réalité, la position du parti se caractérise davantage par
l'immobilisme : pris entre deux feux, il n'est à l'origine d'aucune
action de mobilisation efficace contre la guerre ou la torture. De même,
les militants ne justifient le vote des pouvoirs spéciaux qu'avec
maladresse :
« Quant aux pouvoirs spéciaux accordés
à Guy Mollet, il devrait être inutile de rappeler que le P.C.F.
voulait par-là permettre à celui-ci, en lui assurant une large
majorité, de faire la paix comme il l'avait promis, et non d'accentuer
la répression et de couvrir les tortures alors couramment
provoquées »216
On peut supposer que les députés communistes ne
sont pas suffisamment naïfs pour
croire que « pacification » était synonyme de
« paix » après que la guerre d'Indochine eut
révélé ce que dissimulait ce terme de « pacification
». En outre, l'octroi des pouvoirs spéciaux ne consistait pas en
des pleins pouvoirs pour négocier mais en un blanc-seing au pouvoir
exécutif pour « rétablir l'ordre » en Algérie.
La différence est de taille. Et si des communistes se sont
élevés contre la torture, comme Henri Alleg ou Luc Montagnier, ou
ont soutenu les nationalistes algériens, comme Etienne Bolo ou Henri
Curiel, c'est à titre individuel ; ces derniers étant en
particulier en rupture avec le parti. La tentative de
récupération de la guerre d'Algérie comme un fait de
gloire du parti communiste est finalement un échec puisque, à
cette occasion, journalistes et lecteurs rappellent les compromissions et les
paradoxes du parti communiste pendant le conflit.
|