c) Une affaire aux significations multiples
Pierre Messmer reproche au secrétaire d'Etat de faire de
l'agitation à un moment où les passions se sont apaisées
sur la guerre d'Algérie :
« Au moment où, pour beaucoup de rapatriés,
s'apaisent les passions les plus douloureuses [...], il est difficile de
comprendre que le représentant du gouvernement n'ait pas
immédiatement quitté cette manifestation »212
En effet, cette affaire montre bien que le silence peut
être plus réparateur pour les
mémoires que des commémorations dont l'enjeu
politique est contraire aux principes
209 « Le général Jouhaud dément M.
Barre », 21juin 1980
210 « M. Barre tente d'apaiser le différend entre le
pouvoir et les élus gaullistes », par N.-J. Bergeroux, 20 juin
1980
211 « Pour le R.P.R, l'incident est clos », par J.-Y.
Lhomeau, 21 juin 1980
212 résumé des débats parlementaires dans
l'article « Démission ! démission ! », 19 juin 1980
démocratiques. Il ne faut pas confondre la
réconciliation des français avec la réhabilitation du
terrorisme de l'O.A.S. Au contraire, la réconciliation et l'apaisement
du débat ne peuvent avoir lieu que si une certaine justice a permis de
sanctionner les comportements dangereux ou criminels, évitant ainsi une
semblable réhabilitation. La sanction, portée envers les
collaborateurs et les nazis, a contribué à l'édification
d'une mémoire collective sur la seconde guerre mondiale. C'est cette
mémoire qu'une nation doit léguer aux jeunes
générations afin qu'elles fassent l'apprentissage des devoirs du
citoyen et votent en ayant en tête les erreurs du passé.
L'ampleur de l'affaire est aussi révélatrice de
la place primordiale qu'occupe encore le général de Gaulle dans
les mentalités. On ne peut pas s'attaquer à son mythe, à
sa statue sans éveiller les indignations les plus fortes et ce, à
plus forte raison, lorsqu'il s'agit de réhabiliter ceux qui ont
cherché à attenter à sa vie. Cependant la mémoire
gaullienne pèse finalement peu de chose comparée à la
nécessité électoraliste de ne froisser la
sensibilité de personne. Il ne fait aucun doute que la présence
de M. Dominati à Toulon répondait à la volonté du
gouvernement d'attirer les voix des rapatriés mais aussi des
nostalgiques, anciens terroristes. Certes, M. Dominati n'a jamais caché
sa sympathie pour l'Algérie française. Le Monde
rappelle, à cette occasion, qu'il été exclu, en 1960,
de l'U.N.R., le parti gaulliste d'alors, pour avoir pris parti en faveur de
Soustelle.
Mais le fait que M. Barre refuse de désavouer son
secrétaire d'Etat laisse penser que la première motivation du
gouvernement est de se concilier les ultras. Il aurait peur de se mettre
à dos les associations de rapatriés s'il condamnait M. Dominati,
d'où l'exercice d'équilibrisme auquel il se soumet : concilier
l'inconciliable, gaullistes et anciens activistes. Le gouvernement tend ainsi
à faire l'amalgame, à la suite de de Gaulle, entre
rapatriés et activistes. C'est sûrement pour les mêmes
raisons que le R.P.R. accepte les explications, qui n'en sont pas, de M. Barre
: comme l'U.D.F., il redoute un vote-sanction de la part des rapatriés.
D'autre part, le parti gaulliste n'a pas intérêt à
fragiliser la majorité moins d'un an avant les élections
présidentielles, car l'opposition est prête à profiter de
la dissension pour mettre en évidence les hypocrisies et les
compromissions politiques de la majorité.
Noël-Jean Bergeroux critique aussi cet
électoralisme maladroit des partis de droite : « D'un
côté, le salut aux ultras, de l'autre la révérence
trop appuyée aux gaullistes : en fait deux gestes également
suspects d'électoralisme ». Cette opinion n'est pas isolée.
Le Monde procède à une revue de presse sur l'affaire qui
révèle que la presse nationale est déconcertée et
sceptique face à la résolution de la crise politique. Bien plus,
elle dénonce l'opération
électorale trop grossière pour être
fructueuse. Christian Fauvet, dans L 'Express, s'écrie avec
ironie : « un de ses secrétaires d'Etat [au président de la
République] saluait la mémoire des «martyrs de
l'Algérie française». A nous les voix des rapatriés !
»213
Les activistes ont prouvé, par le biais de cette
affaire, qu'ils sont encore capables de faire parler d'eux, mais cette fois
grâce à la provocation politique et non plus grâce au
terrorisme. Cette cristallisation des tensions politiques autour de la
manifestation de Toulon est révélatrice de la
récupération par les partis politiques des polémiques
liées à la guerre d'Algérie dans le but de faire pression
non pas sur l'adversaire politique mais sur l'allié. Dès lors on
finit par se demander si l'affaire Dominati n'est pas exclusivement politique,
quel est véritablement son intérêt historique ? Il se situe
peut-être au niveau des mentalités. Le tour d'horizon de la presse
hebdomadaire qu'effectue Le Monde, montre que l'opinion n'est pas dupe
: elle y a bien vu une opération électoraliste et non un
débat sur la mémoire pied-noir.
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