b) La résurgence du massacre du 17 octobre
L'ampleur du massacre avait été
dissimulée au lendemain de l'événement : la censure
veillait. Le Monde, dans son numéro du 19 octobre 1961, se
chargeait de minimiser les faits :
« Le F.L.N. ne manquera pas d'exploiter les sanglants
incidents de Paris et les atroces ratonnades d'Oran. Pourtant, il en porte la
responsabilité puisqu'ici et là, c'est le terrorisme musulman qui
est à l'origine des drames »201
Ce manque de clairvoyance de la part d'un quotidien qui se veut
objectif, sérieux et
impartial peut surprendre mais il est
généralisé en 1961. Aucune voix d'indignation ne
s'élève alors. De fait, le massacre tombe dans l'oubli pendant
vingt ans. Il n'y a que René Vautier pour le ressusciter à
l'écran dans Octobre à Paris (cf. p.59). Mais le film
passe inaperçu. Ce n'est véritablement qu'à l'occasion du
vingtième anniversaire du massacre, que l'événement est
redécouvert, voire simplement découvert pour une grande
majorité de la population. C'est Libération qui, le
premier, fait une grande enquête sur la tuerie en 1980 puis 1981.
Enquête qui est reprise par l'ensemble des grands quotidiens
nationaux.
Cet oubli autour du 17 octobre est dû, sûrement,
au fait que la répression ait visé une manifestation
d'Algériens. Ce n'est pas par racisme que l'affaire n'a pas
intéressé les Français mais parce qu'ils ne se sont pas
reconnus dans les victimes : peu de Français étaient en mesure de
connaître une de ces victimes. Les Algériens de Paris
étaient, en outre, suspectés d'être de connivence avec le
F.L.N., la compassion n'était pas alors de rigueur. D'autre part, les
forces politiques françaises ne furent pas impliquées dans cette
manifestation, contrairement à Charonne. Par conséquent, elles
sont peu tentées d'organiser une célébration. C'est la
raison aussi pour laquelle, Charonne n'a jamais cessé d'être
commémoré.
L'article du quotidien202 sur le massacre revient sur
le déroulement, pacifique, de la
201 cité par Benjamin Stora dans sa contribution à
La France en guerre d'Algérie, sous la direction de
L. Gervereau, J.-P. Rioux et B. Stora, Bibliothèque de
documentation internationale contemporaine, Paris, 1992
202 « Il y a vingt ans, la sombre nuit du 17 octobre »,
op. cit.
manifestation mais enquête aussi sur les
responsabilités et les suites de cette affaire : cet article, à
la suite de celui de Libération, consacre la victoire du
travail de mémoire sur l'oubli. Vingt ans après, il est temps de
revenir sur les faits. Ce travail, initié au début des
années 1980 a porté ses fruits puisque l'événement
est désormais traité par tous les livres d'histoire sur la guerre
d'Algérie. Pourtant, l'article sur le massacre est encore assez
succinct. Il ne resitue pas la répression dans la continuité des
violences de la police parisienne à l'encontre des
Algériens203. Le journaliste ne pose pas non plus la question
du nombre de victimes de la répression, se limitant à rappeler la
soixantaine d'informations judiciaires ouvertes. Il ne précise pas non
plus que les manifestants, à l'appel du F.L.N., défilaient sans
armes ou objets tranchants. Malgré ces détails historiques mis de
côté, le mérite de l'article est de rappeler le souvenir de
cette « sombre nuit ».
Cette mise en lumière du massacre va de pair avec une
publicité des manifestations pour l'anniversaire du massacre. Le 20
octobre, Le Monde signale que mille cinq cents personnes se sont
rassemblées en hommage aux victimes de forces de l'ordre, à
l'appel de l'Amicale des Algériens en Europe. La première
estimation chiffrée du nombre de victimes est due à la
fédération française du F.L.N. qui déclare,
à cette occasion, que plusieurs centaines d'Algériens auraient
trouvé la mort. Signe d'un décloisonnement des mémoires
sur cette époque, des représentant de la C.F.D.T. et de la C.G.T.
participent à la manifestation. La commémoration du 17 octobre
n'est pas le seul fait d'Algériens.
|