3/ Commémorer pour mettre en exergue les violences
policières
a) La commémoration comme seul recours
Les violences policières dont il est question entre 1981
et 1982, concernent les répressions des manifestations des
Algériens de Paris du 17 octobre 1961, et des mouvements
de gauche, massacre de Charonne le 8 février 1962. Le
problème des responsabilités est sans cesse soulevé par le
journal. En effet, les poursuites judiciaires n'ont abouti à aucun
résultat, que ce soit pour le 17 octobre : « Une soixantaine
d'informations judiciaires ont dû être ouvertes par le parquet
correspondant à autant de cadavres repêchés dans la Seine
ou découverts dans les fourrés des bois de la région
parisienne »197ou pour Charonne : « L'enquête
administrative, elle, n'avait curieusement jamais permis d'identifier les
agents de police et leurs chefs qui se trouvaient au métro Charonne.
L'enquête judiciaire, elle non plus, n'aboutit pas.
»198
Dès lors, les accusations sur les véritables
responsabilités se portent en premier lieu sur le préfet de
police, Maurice Papon, et le ministre de l'Intérieur de l'époque,
Roger Frey. Michel Bole-Richard, dans son article sur la tuerie de Charonne,
relève ainsi : « M. Maurice Papon, à l'époque
préfet de police, n'avait-il pas déclaré devant le
cercueil d'un policier tué qu'il fallait «rendre coup sur
coup» ? »199 laissant la porte ouverte aux exactions en
tout genre. L'éditorial du 10 février (cf. texte dans les
annexes) dénonce, de la même manière, la
responsabilité des deux hommes dans l'incident :
« M. Frey était à l'époque ministre
de l'intérieur et M. Papon préfet de police. Tous deux ont pu
poursuivre leur carrière politique. Aujourd'hui encore, ils refusent de
parler. Quant aux policiers, ils sont, eux aussi, restés en place
après cette tuerie »
Ces accusations ne soulèvent aucune réaction
pourtant elles sont graves. Le Monde
s'écarte de son attitude habituelle de réserve -
le principe d'objectivité laisse la place à des principes de
justice dans la conduite du journal - pour prendre violemment à partie
les deux hommes. Cependant, ces derniers refusent de répondre aux
attaques, fidèles à la politique gaullienne du silence.
Silence peut-être aussi coupable de personnalités incapables
de s'expliquer, même silence que celui de Bourgès-Maunoury,
Lacoste ou Lejeune sur la torture. Le quotidien et les mouvements de gauche
demandent alors au gouvernment de rouvrir les dossiers, toute poursuite
judiciaire étant rendue impossible par la loi d'amnistie. La C.F.D.T.
somme en particulier les pouvoirs publics de prendre « la
responsabilité historique de faire éclater toute la
vérité »200. Les journalistes
n'hésitent pas à faire remarquer que M. Defferre avait
réclamé l'ouverture d'une enquête parlementaire
après le massacre du 17
197 « Il y a vingt ans la sombre nuit du 17 octobre »,
18-19 octobre 1981, cf. texte dans les annexes
198 « Il y a vingt ans : la tuerie de Charonne », par
M. Bole-Richard, 7-8 février 1982
199 idem
200 « Vingt ans après, plusieurs rassemblements sont
organisés à la mémoire des manifestants tués au
métro Charonne », 6 février 1982
octobre, en 1961. Or, en tant que ministre de
l'Intérieur ; il a à disposition les archives permettant de
donner satisfaction à sa demande d'alors. Pour donner du crédit
à leurs revendications, les associations, syndicats et partis de gauche
organisent de nombreuses manifestations autour de l'anniversaire de ces deux
événements afin de faire pression sur les pouvoirs publics. C'est
le seul recours qu'il reste aux familles des victimes pour espérer que
lumière soit faite sur les responsabilités, mais il s'agit aussi
de faire entrer dans la mémoire collective les faits les moins glorieux
pour l'Etat français.
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