c) Une incompréhension plus qu'un clivage
irrémédiable
Les réactions exacerbées face à un projet
de loi assez modéré peuvent surprendre. Les traumatismes
liés à la fin de la guerre d'Algérie sont-il aussi vivaces
qu'ils empêchent tout travail de mémoire sur le conflit ? En fait,
l'enjeu de la polémique est essentiellement politique : choisir le 19
mars pour célébrer la fin de la guerre, est ressenti par les
responsables d'associations de rapatriés comme une
célébration des accords d'Evian. Or les accords d'Evian sont
assimilés, dans l'esprit des rapatriés, au drame « de
l'après-guerre » - à savoir la période d'attentats et
de massacres qui s'étend de fin mars à l'été 1962 -
et de l'exode. La radicalité de l'opposition est due à une
incompréhension réciproque quant à la perception profonde
du 19 mars comme fin des combats ou début du cauchemar, selon les cas.
Mais de part et d'autre, on retrouve la même volonté de
commémorer les morts de la guerre.
D'autre part, la polémique a largement
été amplifiée par la récupération politique
du débat avec le projet de loi d'officialisation de la
commémoration. Donner un caractère officiel à une
manifestation contestée par bon nombre d'associations est plus que
délicat, cela relève de la maladresse politique. Certes, le
gouvernement cherche à satisfaire une demande, qui est réelle et
unanime, de mémoire sur la guerre d'Algérie. Son projet n'est pas
innocent non plus, il s'agit de satisfaire la F.N.A.C.A. réputée
assez proche du parti socialiste. Mais c'est une méconnaissance notable
des traumatismes liés à l'exode des pieds-noirs qui conduit son
projet dans une impasse. La maladresse du ministre se situe aussi dans la
façon de présenter son projet. Il se déclare, dans un
premier temps, favorable à une commémoration du 19 mars, donnant
totale satisfaction à la F.N.A.C.A. Il est alors considéré
comme partial et de connivence avec la fédération ce qui rend les
protestations des associations plus violentes. Ce n'est que devant le
tollé déclenché qu'il envisage une discussion
préalable, entre les diverses associations. La logique politique aurait
voulu que la discussion s'engage avant toute décalaration du
ministre.
En outre, il ne faut pas surestimer la virulence des
débats. Les désapprobations sont aussi exagérées
afin de marquer l'indignation contre le traitement de faveur que semble avoir
la F.N.A.C.A. En amplifiant le désaccord, les associations ont une plus
grande chance d'être entendues par le pouvoir politique et d'obtenir un
dédommagement. Cet aspect conflictuel des déclarations est
inhérent au fonctionnement du jeu politique dans une démocratie.
D'autre part, au sein de la tumulte, on voit se dégager une position
modérée, exprimée dès le début par
l'U.F.A.C. ou l'U.C.C.T.A.M. Celle-ci s'estime, par exemple, satisfaite de la
décision d'
« honorer ceux qui ont souffert en Afrique du Nord »
mais émet des réserves quant à la date avancée,
elle réclame alors une concertation « de toutes les parties afin de
déterminer une date dans un esprit d'unité nationale et de
conciliation »189. Finalement, c'est à cette
voie moyenne que le gouvernement donne raison en favorisant les
commémorations. La loi, telle qu'elle est votée, provoque peu de
remous, signe d'un certain consensus sur ce devoir de mémoire.
Par la suite, les cérémonies qui sont
organisées par la fédération, provoquent moins de
réactions que les années précédentes, signe d'un
réel apaisement et d'une certaine tolérance de part et d'autre.
Seuls quelques extrémistes se réunissent pour une veillée
de prières, commémorant « le deuil » que
représente ce 19 mars, dans l'église intégriste et
illégalement occupée, depuis 1977, de
Saint-Nicolas-du-Chardonnet. François Léotard, ne cachant pas
quelques sympathies pour l'Algérie Française, déclare
à cette occasion « la célébration du 19 mars 1962 est
un signe de décadence pour la France »190.
Hormis ces réactions on ne peut plus radicales, les manifestations
se déroulent dans le calme.
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