b) La récupération politique de la
polémique
Cette récupération politique se produit à
deux niveaux : c'est tout d'abord le gouvernement qui entend officialiser la
commémoration des morts de la guerre d'Algérie, ensuite, ce sont
les groupuscules d'extrême droite qui en profitent pour créeer une
atmosphère d'agitation favorable à leurs idées.
Dès 1980, le gouvernement s'exprime sur la question de la
commémoration du 19 mars,
183 « Une mise au point de l'U.N.C.-A.F.N. », par F.
Porteu de la Morandière, président de l'U.N.C.-A.F.N., 25 mars
1980
184 « Une commémoration qui s'impose », op.
cit.
après dix-sept ans de silence sur ce point. Dans un
communiqué, que publie Le Monde dans son numéro du 20
mars 1980, le secrétaire d'Etat aux anciens combattants répond
à la F.N.A.C.A. en déclarant que le gouvernement ne s'associait
pas à la commémoration du 19 mars : le 19 mars reste
associé aux accords d'Evian, et il ne veut pas rappeler des
événement traumatisants pour une partie de la population. Avec le
changement de majorité, le discours se modifie. Jean Laurain, nouveau
ministre des anciens combattants, estime en effet, dans Le Monde du
13-14 septembre 1981, que « le 19 mars 1962 est appelé à
devenir une date nationale », il s'agit selon lui de « se souvenir
autant des victimes civiles que militaires ». Il donne ainsi raison
à la F.N.A.C.A. qui considère que c'est un « juste hommage
à la mémoire de toutes les victimes du conflit d'Afrique du Nord
». La polémique prend alors une toute autre ampleur : elle devient
une affaire politique.
Le 15 et le 16 septembre, Le Monde publie les
réactions des responsables d'associations de rapatriés
(R.E.C.O.U.R.S. et F.N.R.), de partis politiques (le P.R. et le F.N.) et de
fédérations d'anciens combattants (U.N.C.-A.F.N., U.N.A.C.F.C.I.,
U.F.A.C., U.C.C.T.A.M.). L'hostilité est grande vis-à-vis d'un
tel projet, du fait de l'ambiguïté même de la date choisie.
La déclaration du ministre est perçue comme une provocation. Le
F.N.R. se dit « choqué », le R.E.C.O.U.R.S. juge «
inacceptable » une telle mesure, l'U.N.C.-A.F.N. fait part de sa «
stupeur », le parti républicain évoque son «
indignation », le F.N. parle
d' « insulte » et de « provocation
grossière ». L'incompréhension est totale entre les
associations d'un côté et la F.N.A.C.A. et le gouvernement de
l'autre : aucune volonté de négociation et de compromis n'est
affichée. Les associations critiquent dans le choix du 19 mars la date
retenue mais le principe de commémoration est largement approuvé,
hormis par les partis politiques cités ci-dessus. Ces derniers
confondent, ou semblent confondre, en effet commémoration des morts et
fête nationale : « les socialistes prennent aujourd'hui la
décision de faire du 19 mars une fête nationale » s'indigne
Jacques Blanc, secrétaire général du parti
républicain. A ce reproche, le ministre répond qu'il ne s'agit
pas d'en faire une fête nationale, on ne fête pas une
défaite, mais de « commémorer le souvenir civil et militaire
des victimes de la guerre d'Algérie, qui était une
véritable guerre et non pas seulement une simple opération de
maintien de l'ordre ». A l'encontre de l'histoire officielle et en avance
de dixhuit ans sur le Parlement, le ministre reconnaît que « les
événements d'Algérie » étaient
véritablement une guerre, avec tout ce que cela implique au niveau de
l'engagement militaire.
Face à l'inquiétude et l'hostilité
soulevées par son projet, M. Laurain s'empresse de préciser le 15
septembre que « la date et les modalités de la commémoration
destinée à honorer le souvenir des victimes, des militaires et
des civils, de la guerre d'Algérie, feront
l'objet d'une très large concertation entre les parties
concernées ». Mais cette déclaration n'est pas à
même d'apaiser les tensions suscitées. Pour défendre son
projet, le ministre n'hésite pas à accorder un entretien à
Claude Durieux pour Le Monde. Preuve de l'ampleur prise par le
débat, le début de l'entretien est publié à la une
et se poursuit à l'intérieur du journal. Le ministre se montre
lucide sur les résistances existantes à une telle
commémoration :
« Je n'ignore pas que des organisations de
rapatriés, certaines du moins, ont manifesté leur
désaccord à ce sujet, tandis que certaines autres entretenaient
la confusion avec une célébration des accords d'Evian
»185
Le nouveau président de la République,
François Mitterrand, devant l'importance des
désaccords, récuse, sur un ton « tour
à tour autoritaire et impatient »186, lors
d'une conférence de presse, le choix du 19 mars comme date-anniversaire
de la fin de la guerre d'Algérie. Il prend ainsi de cours son ministre
qui avait annoncé l'ouverture d'une table ronde pour le 29 septembre
afin de discuter de la date. L'enjeu de cette table ronde est compromis puisque
le président s'oppose à une commémoration le 19 mars,
donnant ainsi raison aux rapatriés. Le R.E.C.O.U.R.S. fait part de sa
satisfaction quant à la « sensibilité avec laquelle
François Mitterrand a défini les conditions qui devraient
permettre d'honorer la mémoire de tous ceux qui, civils et militaires,
sont tombés en Algérie »187.
Mitterrand ne peut se permettre de décevoir ses partenaires du
R.E.C.O.U.R.S. qui ont fait campagne pour lui, suite aux propositions du
candidat socialiste sur l'indemnisation des rapatriés.
Après que l'affaire eut été grossie, -
que l'hostilité coalise les rapatriés, des partis de droite et
des anciens combattants - le gouvernement souhaite se défaire de cette
« épine dans le pied de la majorité », le sujet
étant plus polémique qu'il ne l'avait estimé. Il se
désengage de toute officialisation de commémoration. Dans une
lettre ouverte aux associations et publiée dans l'édition du
Monde du 8-9 novembre 1981, M. Mitterrand « laisse à
chaque association le choix de la date à laquelle elle souhaite
organiser une manifestation ». Ce libéralisme semble satisfaire
tout le monde : la F.N.A.C.A. continue ses commémorations du 19 mars et
les autres associations choisissent une autre date. C'est donc une reculade du
gouvernement qui permet de désamorcer l'affaire. La seule
évolution par rapport à la situation ante se limite à ce
que « le ministre des anciens combatt ants soit représenté
à chacune de ces manifestations » 188.
185 « Un entretien avec M. Jean Laurain » par C.
Durieux, 20-2 1 septembre 1981
186 « La conférence de presse du président de
la République », 26 septembre 1981
187 idem
188 propos de M. Laurain à l'Assemblée Nationale
relevé par Le Monde, 11 novembre 1981
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