2/ La polémique autour de la commémoration du
19 mars
a) Le choix du 19 mars par la F.N.A.C.A.
La polémique, qui a débuté en 1979, sur
le choix du 19 mars pour commémorer la fin des combats en Algérie
continue de s'amplifier. En mars 1980, la F.N.A.C.A. rappelle dans les colonnes
du quotidien son intention de célébrer l'anniversaire de la fin
de la guerre. Les associations d'anciens combattants se livrent alors une
surenchère de protestations et de commémorations en tout
genre.
L'U.N.C.-A.F.N. conteste cette date du 19 mars comme
étant « une disposition particulièrement théorique
des accords d'Evian »180. Selon l'union nationale,
le cessez-le-feu n'a pas été appliqué puisque le F.L.N. a
immédiatement exercé des représailles contre les harkis et
les Français d'Algérie. Cette relecture de l'histoire est
d'ailleurs assez contestable : l'organisation fait l'impasse totale sur le
rôle qu'a joué l'O.A.S. dans ces représailles en
179 « Vu : A Apostrophes, la guerre
d'Algérie », par C. Sarraute, 13-14 septembre 1981
180 « Controverse autour de l'anniversaire de la fin de la
guerre d'Algérie », op. cit.
créant un climat de peur et de violence aveugle. En
outre le massacre d'Oran, principal acte de représailles contre les
Français d'Algérie, et celui des harkis n'ont eu lieu qu'à
partir de juillet 1962. Les « représailles » ne se sont donc
pas immédiatement exercées. L'U.N.C.- A.F.N. cherche aussi
à politiser le débat en reprenant le vocable du temps de la
guerre : « Honorer [...] les accords d'Evian et ce prétendu
cessez-le-feu constitue donc une indécence, puisque ces conventions ont
réalisé précisément l'opposé de ce pourquoi
nos camarades sont morts ». L'organisation n'a pas modifié son
discours pro-Algérie française depuis la guerre, elle souhaite
même s'arroger le droit de déterminer pourquoi les soldats sont
morts. On peut alors se demander si un travail de mémoire est
effectivement à l'oeuvre dans la société.
Le discours de la F.N.A.C.A. évite
précisément toute politisation et demande la reconnaissance du 19
mars comme la date de la fin des combats sans se prononcer sur la valeur des
accords d'Evian : « Quelles qu'aient été les motivations de
leur sacrifice [aux soldats morts], et quelle que soit l'opinion que l'on
puisse avoir aujourd'hui à cet égard, la France doit se souvenir
»181. La F.N.A.C.A. se focalise sur la
nécessité d'un devoir et d'un droit de mémoire davantage
que sur la portée politique de la fin de la guerre : ses arguments sont
du domaine de la morale tandis que ceux de l'U.N.C.-A.F.N. relèvent de
la politique.
La surenchère des commémorations que provoque
cette polémique, est le fait de nostalgiques. Ces derniers associent le
19 mars aux accords d'Evian et donc à la fin de l'Algérie
française. Le comité d'action pour le respect de la
mémoire des civils et militaires morts pour l'Algérie
française, créé pour l'occasion et rassemblant entre
autres Jacques Soustelle, Léon Delbecque et Pierre Poujade, lance ainsi
un appel en faveur d'une contremanifestation, le 22 mars. Contre-manifestation
à laquelle participent Jean-Marie Le Pen, le général
Jouhaud et des groupes d'extrême droite, comme le G.U.D. (Groupe union
défense). Or, le choix du 22 mars n'est pas innocent. Il correspond
à la fin de l'ultimatum adressé par l'O.A.S. aux forces de
l'ordre :
« Quarante-huit heures de réflexion sont
laissées aux officiers, sous-officiers et soldats qui, à partir
du jeudi 22 mars 1962 à 0 heure, seront considérés comme
des troupes au service d'un gouvernement étranger
»182
Cela en dit long sur les sympathies de ce comité et le
renouveau de cette extrême droite
composée d'anciens activistes. Un autre comité,
celui du cent cinquantenaire propose de célébrer en mai, à
Toulon, l'anniversaire du débarquement en Algérie, en 1830. Les
deux
181 « Libres opinions : Une commémoration qui
s'impose » par W. Marek, président national de la F.N.A.C.A.
182 cité par Le Monde, « Controverse autour
de l'anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie », op. cit.
comités sont aussi significatifs de cette
marginalisation des nostalgiques dans un extrémisme politique alors que
la commémoration de la F.N.A.C.A. se veut apolitique. Enfin, l'U.N.C. -
A.F.N. fait du 11 novembre la « journée nationale du souvenir
englobant dans un même hommage tous les morts pour la France, à
quelque génération qu'ils appartiennent »183.
Cette escalade de commémorations prend une tournure
pour le moins ridicule mais elle est révélatrice de la division
des nostalgiques qui se répartissent en deux comités mais dont la
teneur du discours est peu éloignée de celle de l'U.N.C.-A.F.N.
Cette radicalité des propos n'est vraisemblablement pas
représentative de l'opinion publique. M. Marek, président de la
F.N.A.C.A., les renvoie d'ailleurs à leur marginalité :
« La F.N.A.C.A. regrette et condamne les tentatives
d'agitation de quelques nostalgiques d'un passé déjà
révolu, qui s'évertuent à contester le choix et la
signification de cette date, n'hésitant pas, si peu de temps
après, à renier l'engagement quasi unanime des Françaises
et des Français qui approuvèrent la fin de la guerre
d'Algérie par 90,7 % de «oui» au référendum du 8
avril 1962 »184
En faisant référence au référendum,
il tend à montrer l'importance nationale qu'a revêtu
le cessez-le-feu. Il tient en outre à légitimer
sa revendicaion par la satisfaction populaire de la fin des combats. Cependant,
son discours devient ambigu : rappeler que les citoyens ont largement
approuvé les accords d'Evian, n'est-ce pas défendre ces accords
alors qu'il se refusait, quelques lignes plus haut, de juger de la teneur des
accords ?
Le Monde, dans sa façon de rendre compte des
opinons de chacun, semble prendre parti pour la F.N.A.C.A. Il lui consacre en
effet un article et une tribune alors que les déclarations des
différents comités n'ont droit qu'à quelques lignes et
tandis que le président de l'U.N.C. - A.F.N. ne peut prétendre
à une tribune mais à un simple droit de réponse. Il faut
dire que le ton modéré de la F.N.A.C.A. est plus en phase avec la
ligne éditoriale du journal que le discours, encore nostalgique, de
l'U.N.C.-A.F.N.
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