2/ La télévision : un amplificateur de
débat
a) La mission éducative de la
télévision
Cette amplification des polémiques est largement
entretenue et provoquée par la télévision dont on a
déjà montré le poids de l'audience et donc son influence.
C'est Claude Sarraute qui a hérité de la rubrique « Vu
» consacrée à l'actualité
télévisée. On ne peut que constater la récurrence
de thématiques en rapport avec la guerre d'Algérie dans cette
rubrique. En octobre et novembre 1980, est diffusée, par exemple la
première fiction ayant pour cadre et pour thème la guerre
d'Algérie : c'est l'adaption des Cheveaux du soleil de Jules
Roy. Le rôle concédé alors à la
télévision est de premier ordre : c'est d'une mission
éducative dont elle se sent chargée.
Claude Sarraute rapporte en effet cet
anecdote173:
« « La guerre d'Algérie, vous en avez entendu
parler ? », demandait il y a peu un reporter d'un poste
périphérique à des élèves de
quatrième. « Non. » « Enfin, c'était contre qui ?
» « Ben c'était l'Algérie contre... aucune idée.
» A présent, terminé. Pour peu qu'ils regardent le
télé, l'Algérie, nos enfants savent ce que c'est.
»
L'Ecole, dont la tâche est entravée par la
politique du silence, ne remplissant plus son
rôle éducatif, ce serait la
télévision qui comblerait les lacunes de l'ensignement en se
soumettant à un devoir de mémoire. Si la réflexion de
Claude Sarraute est schématique, elle n'exprime pas moins un fond de
vérité : la télévision consacre de nombreuses
heures d'antenne à la guerre d'Algérie sous la forme de fictions,
de reportages ou de débats à l'heure
même où le conflit est passé sous silence
dans les manuels scolaires. C'est alors à la télévision
que revient le devoir de forger une mémoire collective sur la guerre
d'Algérie. Mémoire qui n'est pas encore totalement apaisée
comme l'attestent, lors des débats, les échanges verbaux et les
oppositions radicales : « Chacun, de part et d'autre de l'écran,
est resté sur ses
positions »174.
b) Les Dossiers de l 'écran et la guerre
d'Algérie
Ce sont encore Les Dossiers de l 'écran qui
nourris sent les débats sur la guerre d'Algérie. Entre 1980 et
1982, cinq émissions sont ainsi consacrées à la guerre
d'Algérie : deux à travers Les Cheveaux du soleil, une
sur l'O.A.S., une sur les procès contre les membres du F.L.N. pendant le
conflit, enfin une posant la question « la guerre d'Algérie
aurait-elle pu s'arrêter plus tôt ? ». A chaque fois, Le
Monde commente l'émission. Une seule des rubriques « Vu »
dédiées à la guerre d'Algérie n'était pas en
rapport avec Les Dossiers de l'écran mais avec
Apostrophes.
La spécificité d'une telle émission de
débats est de présenter les différentes opinions, les
différentes mémoires de la guerre sans en atténuer les
oppositions. On peut alors se demander si l'émission favorise vraiment
la constitution d'une mémoire collective de la guerre dans laquelle
chacun y retrouverait ce qu'il a vécu. Une confusion de points de vue
risque de laisser le téléspectateur dans un état de
perplexité. Toutefois, l'apport de l'émission est de taille pour
les témoignages de première main qu'elle offre au public :
« Le débat aura néanmoins donné lieu
à quelques révélations et contribué à
préciser plusieurs points d'histoire. Il aura mis en évidence
comment s'opposaient deux logiques : celle de la victoire par les armes - ses
partisans croyaient avoir décapité la rébellion - et celle
de la négociation, dont les tenants voyaient s'éloigner la paix
»175
Le fait que les acteurs du conflit défendent
eux-même leur prise de position passée,
assure que leur opinion n'est pas trahie par une
interprétation. Le plus dur alors pour le téléspectateur
est de prendre une certaine distance par rapport à la radicalité
des querelles pour y discerner une part de vérité et comprendre
l'évolution du conflit, ses raisons et ses répercussions. Mais,
visiblement, ces émissions suscitent la réflexion. Après
chaque diffusion, les journalistes du Monde, Paul Balta et Claude
Sarraute, développent une pensée personnelle sur le conflit.
Bref, sur le long terme, ils semblent en tirer des leçons :
« Cependant, quand est venue l'heure d'aller se coucher,
la tête encore pleine d'images et d'émotions, on se disait [...]
que les Français d'Algérie n'avaient peut-être pas tout
fait
174 idem
175 « La guerre d'Algérie aurait-elle pu
s'arrêter plus tôt ? », par P. Balta, 6 mai 1982
[...] pour établir, outre-mer, la devise de
liberté, de fraternité et d'égalité inscrite au
fronton de la République »176
Si ce genre d'émission amène le spectateur à
analyser les ressorts de la guerre, il ne fait aucun doute qu'il contribue
grandement à la maturation d'une mémoire collective du
conflit.
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