b) Un apaisement avec le cinéma de fiction
Le militantisme cinématographique perd du terrain avec
l'essouflement de l'esprit de mai 68 et l'importance croissante des grosses
productions dans le cinéma français. Le cinéma dit d'art
et d'essai préfère dorénavant se consacrer aux fictions et
à la recherche esthétique qu'au message politique.
Le cinéma algérien connaît la même
inflexion. D'autres thèmes sont explorés que la guerre
d'indépendance. Les films de propagande laissent la place à des
films rigoureusement construits, plus nuancés. Parmi les films
algériens sortis en France, il se trouve encore quelques films
manichéens : Décembre de Lakhdar Hamina en 1973 ou L
'Opium et le Bâton diffusé en 1977. La critique qui en est
faite met en avant l'académisme de la mise en scène et l'aspect
« image d'Epinal » des situations. Leur diffusion étant
limitée à quelques cinémas du quartier Latin, aucun
débat ne prend forme à propos de ces films.
Mais, la nouveauté vient de certains films qui
analysent avec acuité le conflit loin de l'histoire officielle
algérienne : Chronique des années de braise encore de
Lakhdar Hamina, Grand Prix du festival de Cannes en 1975, ou Noua
d'Abdelaziz Tolbi. Chronique des années de braise est le
premier film dont le sujet porte sur l'origine de la guerre, ce qui en fait un
film très mal vu par le pouvoir algérien. En effet pour le
F.L.N., l'histoire de l'indépendance commence en 1954 avec la naissance
du F.L.N. Or, justement le film s'arrête en 1954 et montre qu'il existe
une nation algérienne prête à s 'affirmer avant 1954, il
entreprend donc de réhabiliter les mouvements politiques nationalistes
d'avant la guerre. D'autre part, celui qui
est montré comme le principal ennemi, celui vers qui la
haine se porte, n'est plus l'Européen mais l'Algérien qui trahit
la cause de son peuple : le film, à l'encontre de l'histoire officielle,
ne met pas en scène un peuple uni contre le colonisateur mais insiste
sur les violences et les haines entre Algériens. Quant à
Noua, c'est le premier film à mener une réflexion
inquiète sur la guerre d'Algérie, à poser la question de
l'après-indépendance. Ce film subversif prend le contre-pied des
films de propagande, l'indépendance n'est plus une fin en soi, le but
ultime de la lutte. De ce que nous montre le cinéma algérien en
France, l'Algérie opère aussi à une remise en cause des
vérités officielles sur la guerre. S'agissant de films plus
sévères vis-à-vis du F.L.N. et dont la diffusion est
limitée, ce nouveau courant cinématographique algérien
rencontre peu d'écho en France.
Le cinéma français, comme nous l'avons
déjà expliqué, se consacre davantage aux fictions dans
lesquelles l'Algérie, encore française ou en guerre, n'est qu'un
décor. Le but du film n'est pas ou peu politique. En 1979, Alexandre
Arcady réalise Le Coup de Sirocco. Ce n'est pas tant la vision
d'un pied-noir sur le conflit qu'un mélodrame sur les destinées
déchirées des pieds-noirs, destinées qui inspirent
nostalgie et amertume. La guerre d'Algérie n'est plus perçue
comme une probématique majeure du débat public mais comme une
part de la mémoire collective. C'est aussi parce qu'il parle à
tous et non seulement aux rapatriés que le film a rencontré un
grand succès. L'histoire des pieds-noirs est devenue celle de tous les
Français, du moins le temps d'un film. Ce long métrage figure
bien alors le glissement opéré dans la société : la
mémoire d'un groupe est devenue une partie de la mémoire
collective sur la guerre.
La résurgence des principaux thèmes porteurs du
débat - la torture, de Gaulle ou le cinéma - se fait de
manière plus ténue et plus distanciée : à aucun
moment, on ne peut parler de polémique à propos de la guerre
d'Algérie. Mais ce silence, aussi coupable soit-il, est aussi le signe
d'un apaisement de l'opinion sur ces thématiques. On peut parler d'une
décrispation des tensions entre les différents protagonistes :
les revendications des pieds-noirs sont essentiellement économiques, les
généraux se taisent après avoir témoigné et
les militants de gauche, opposés à la torture ou favorables
à l'indépendance, se trouvent éloignés de
l'arène publique avec l'essouflement de l'esprit de mai 68.
Bien plus, ce silence favorise le travail de mémoire
grâce à une plus grande prise de recul vis-à-vis des
événements. Ces commémorations se veulent alors moins
revendicatives que lors de la première période. Le ton
employé est moins exalté, l'analyse plus lucide, le regard plus
aigu.
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