c) La permanence de situations difficiles : les harkis
Si la question de l'indemnisation remplit les tribunes du
quotidien, un autre débat surgit,
120 idem
121 « Valéry Giscard d'Estaing évoque le pacte
national proposé aux rapatriés », 18 octobre 1977
mais plus discrètement, par le biais de reportages et
analyses, entre 1973 et 1975 : le problème des harkis. Longtemps
oubliés, les supplétifs de l'armée française qui
ont réussi à venir en France en 1962, commencent à
être pris en considération par l'opinion publique.
Sont mises en avant les conditions dans lesquels ils sont
regroupés et vivent, à l'écart de la communauté
nationale. Dans une série d'articles publiés en juillet 1973,
Le Monde révèle les difficultés que rencontrent
les harkis à s'intégrer. Situation que résume ainsi le
journaliste : « Misère matérielle, mais surtout
misère morale »122. Les harkis y sont
montrés comme victimes du racisme et par conséquent,
disqualifiés à l'embauche, regroupés dans des camps
vétustes à l'organisation para-militaire ou entassés dans
des foyers Sonacotra, souvent analphabètes, désemparés par
les tracasseries administratives...
C'est alors l'occasion, pour le journaliste, de revenir sur le
rôle joué par les harkis pendant la guerre d'Algérie. Au
moment de l'indépendance, ils sont entre 200000 et 300000 à aider
les militaires français. Cette intégration de bataillons
musulmans répond non seulement à des objectifs
stratégiques - connaissance de la langue, du terrain... - mais aussi
politiques : puisque de nombreux musulmans combattent les
indépendantistes aux côtés des Français, il ne
s'agit pas d'une guerre mais d'une simple opération de maintien de
l'ordre.
Lorsque l'indépendance est proclamée, la France
abandonne ceux qui l'ont servi et, sur l'ordre du général de
Gaulle, on s'efforce de limiter au srtict minimum le rapatriement des
supplétifs. Ceux qui ne peuvent partir, sont l'objet de massacre en
Algérie et sont utilisés au déminage de la « ligne
Morice ». Oubliés par ceux dont ils assuraient la
sécurité, les piedsnoirs, ils sont considérés comme
des traîtres par les anciens partisans de l'indépendance. Plus
qu'une crise matérielle, c'est une crise identitaire que vit la
communauté harki.
Or, à partir de 1973, les harkis entament des actions
pour faire connaître leur sort et afin que l'injustice dont ils sont
victimes soit combattue. En octobre 1974, huit harkis entament une grève
de la faim pour obtenir leur droit de Français à part
entière. Mais à partir de ces situations particulières, ce
sont les conditions de vie de l'ensemble des harkis qui sont montrées du
doigt et les revendications se font plus générales :
« Nous voulons que les plus hautes instances
françaises [...] obtiennent du président Boumedienne le libre
accès entre la France et l'Algérie [...] Nous réclamons,
également [...] un véritable recyclage professionnel et la
levée des forclusions pour le dépôt des dossiers de
pensions et de retraites »123.
Grève de la faim qui est suivie d'une manifestation de
musulmans Français d'Algérie.
122 « Les Harkis oubliés par l'Histoire » J.-C.
Guillebaud, 5-6 juillet 1973
123 « Huit anciens harkis font à Paris depuis un mois
la grève de la faim dans l'église de la Madeleine », 12
octobre 1974
En juin 1975, c'est le directeur du camp de harkis de
Saint-Maurice l'Ardoise qui est pris en otage puis libéré par
quatre jeunes Français muslmans « pour attirer l'attention de
l'opinion publique sur les conditions de vie absolument lamentables qui sont
faites aux supplétifs de l'armée française et à
leurs enfants »124. Ensuite, en août 1975,
c'est la prise en otage pendant quelques heures d'une quarantaine de
ressortissants algériens par des anciens harkis afin d'obtenir le retour
en France de Borzani Kradaoui, fils d'un ancien harki, retenu à Oran
après un séjour en Algérie. A cette occasion, on voit les
associations de rapatriés afficher leur solidarité avec les
harkis : « on se répartissait en équipes, muslmans et
non-muslmans mêlés »125. Enfin, un
responsable de l'Amicale des Algériens au camp de Bias est
séquestré par des anciens harkis « pour obtenir la libre
circulation entre la France et l'Algérie »126.
Ces actions sont de courte durée et se déroulent
sans véritable violence : elles n'ont d'autre but que de faire parler
des harkis. Elles sont révélatrices de leur exaspération
et la publicité qui est faite autour de ces opérations commandos
contraint le gouvernement à agir. En août 1975, en pleine «
crise harki », dans l'urgence, il est ainsi décidé que
« les camps de regroupement des anciens harkis seront supprimés
avant la fin de l'année 1976 »127.
Le débat autour de la guerre d'Algérie se
concentre durant ces six années sur les questions de l'indemnisation des
rapatriés et les conditions de vie des harkis. Ces deux groupes
d'acteurs de la guerre mobilisent l'attention de l'opinion publique et
deviennent les groupes porteurs du débat alors qu'ils s'étaient
révélés relativement silencieux durant la période
précédente. La guerre d'Algérie, et surtout la fin de la
guerre, est alors essentiellement envisagée à travers le
témoignage et l'expérience d'un rapatrié, musulman ou non.
Une évolution sensible s'est donc effectuée par rapport à
la période précédente : de la vision du militaire sur la
guerre, avec les témoignages des généraux, on est
passé à une vision des civils, davantage victimes qu'acteurs.
C'est pourquoi, les débats autour des rapatriés ne concernent pas
directement la guerre d'Algérie mais plutôt ses
répercussions jusque dans les années 1970. D'autant plus, qu'il
est question en premier lieu du sort qui leur a été
réservé lors de leur arrivée en France. La
publicité faite autour des revendications des rapatriés renvoie
dans
124 22-23 juin 1975
125 « un calcul délibéré de part et
d'autre ? », 9 août 1975
126 19 août 1975
127 8 août 1975
l'ombre les thématiques plus directement liées
à la guerre d'Algérie, d'où une apparente
discontinuité du débat sur le conflit.
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