b) La mobilisation des énergies sur la question de
l'indemnisation
La loi d'indemnisation de 1970 n'a pas en effet satisfait les
rapatriés, ceux-ci la considérant comme très
inférieure aux dommages subis. Il faut se rappeler que les pieds-noirs
contraints à l'exode, ont laissé en Algérie leurs biens.
Ces derniers ont été récupérés par les
Algériens mais l'Etat algérien a refusé d'indemniser les
victimes de cette spoliation, contrairement à ce qui était
prévu dans les accords d'Evian118. La population
française d'Algérie était principalement issue d'un milieu
populaire, leur niveau de vie était de 20 % inférieur à
celui des Métropolitains. Ces spoliations ne concernent pas uniquement
des familles de grands colons mais aussi des familles d'employés ou
d'ouvriers qui se voient confisquer leur maison, d'où des situations
difficiles lors de l'arrivée en France de ces familles.
Or, le général de Gaulle a refusé
d'exiger de son partenaire algérien le remboursement des spoliations
subies, préférant préserver les relations
privilégiées qu'entretient la France avec l'Algérie. Mais
l'autre raison, moins politique que personnelle, de cette fin de nonrecevoir
aux exigences d'indemnisation des rapatriés, est que de Gaulle
éprouve une certaine rancune vis-à-vis des pieds-noirs.
Peyrefitte nous révèle ainsi que de Gaulle aurait
déclaré à propos des spoliations, en 1963 : « Ben
Bella s'en prend aux biens vacants. Il fallait bien qu'ils soient à
quelqu'un : puisqu'ils n'étaient à personne, ils sont à
lui »119. Le général n'est nullement
choqué des méthodes employées par le gouvernement
algérien, il semble même très bien s'en accommoder. De
Gaulle rend les pieds-noirs responsables à la fois de la guerre, du fait
de leur opposition à toute remise en cause du statut colonial, et de
l'échec des accords d'Evian, pour avoir soutenu l'O.A.S. et rendu la
cohabitation invivable :
« Tout cela ne leur [aux pieds-noirs] serait pas
arrivé, si l'OAS ne s'était pas sentie parmi eux comme un poisson
dans l'eau ! Ils ont été complices de vingt assassinats par jour
! [...] Ils ont déchaîné la violence, et, après
ça, ils se sont étonnés qu'elle leur revienne en plein
visage ! Alors, ils se sont précipités vers les bateaux et vers
les avions comme des
118 « Leurs droits de propriété [aux
Français d'Algérie] seront respectés. Aucune mesure de
dépossession ne sera prise à leur encontre sans l'octroi d'une
indemnité équitable préalablement fixée »,
texte des accords d'Evian publié dans le Monde du 20 mars 1962
moutons de Panurge »120
De Gaulle garde donc de sérieux préjugés
envers les pieds-noirs, selon lui, ils ne font qu'un avec les activistes qui
ont voulu sa mort. Il ne peut être alors question de leur accorder une
indemnisation pour ce qu'ils ont laissé en Algérie. Les
spoliations ne sont pour lui qu'un juste retour de bâton.
C'est pourquoi, les rapatriés doivent attendre le
départ du général de Gaulle pour que la question de
l'indemnisation soit remise à l'ordre du jour en 1970. Le gouvernement
considère enfin que les accords d'Evian n'ont pas été
respectés et qu'il a une part de responsabilité dans ce
non-respect des accords puisqu'il s'engage à indemniser les victimes.
En 1974, Valéry Giscard d'Estaing est élu
à la présidence de la République. Le Monde dresse
son portrait à cette occasion, dans le numéro daté du 19
mai 1974 : « Nul doute qu'il a été favorable aux
thèses de l'Algérie française ». Les rapatriés
pensent trouver en lui une oreille plus attentive à leur revendication.
D'ailleurs, un des points de son programme concerne une indemnisation plus
large des rapatriés, promesse qui débouche sur la loi
d'indemnisation de 1974. Grâce aux lois de 1970 et 1974, les
bénéficiaires obtiennent ainsi en moyenne 58000 francs.
Mais les bénéficiaires sont trop peu nombreux
selon les associations de rapatriés. C'est la raison pour laquelle elles
se montrent plus fermes et engagent leurs adhérents à voter
utile. Cette pression porte ses fruits puisque, dès 1977, le
président de la République présente un pacte national pour
les rapatriés. Le ton du discours diffère radicalement de celui
du général de Gaulle : « Nous devons [accroître] notre
effort de solidarité à l'égard de ceux qui ont
été arrachés à cette terre et qui continuent de
souffrir de ce déracinement »121.
Pacte qui aboutit sur une nouvelle loi d'indemnisation
votée en 1978. Depuis 1970, ce sont alors 25 milliards de francs qui
sont débloqués pour les rapatriés. Ce complément
d'indemnisation porte le montant moyen accordé aux
bénéficiaires à 130000 francs. L'effort est
considérable mais la polémique sur l'indemnisation ne prend fin
qu'en 1981. Malgré sa compassion vis-à-vis du sort des
rapatriés, Valéry Giscard d'Estaing ne parvient pas à les
convaincre, d'où le soutien du R.E.C.O.U.R.S. au candidat Mitterrand en
1981.
|