3/ Un mythe qui suscite des critiques
a) La critique du Monde sous la plume de
Viansson-Ponté
Le quotidien du soir, dès la publication du livre,
s'empresse d'en faire une critique argumentée mais néanmoins
sévère. Pierre Viansson-Ponté dans le numéro du 9
octobre 1970 s'exprime sans détour : « Le drame de l'Algérie
[...] est conté de façon plus schématique et
apologétique encore que la naissance et le fonctionnement du
régime » ou encore « c'est [...] la peinture d'une politique
idéale qui ne tient aucun compte des vicissitudes, des variations, des
échecs et apparaît fort éloignée de ce qu'elle fut
en réalité ». Ce reproche vis-à-vis de la lenteur et
des hésitations de de Gaulle se retrouve dans l'article qu'il a
écrit lorsque ce dernier a démissionné73:
« Si de Gaulle avait dès l'origine, comme
l'assurent ses partisans, la volonté de conduire l'Algérie
jusqu'au seuil de l'indépendance, mais le souci de ne pas aller plus
vite dans cette direction que l'armée, l'opinion métropolitaine
et les Français d'Algérie n'étaient pas disposés
à l'admettre, il faut croire qu'il a singulièrement tardé
et qu'il a payé dans tous les domaines - révoltes militaires,
terrorisme, rapatriements massifs, rupture de tout
lien organique et finalement spoliations - le prix le plus
élevé. La paix, l'indépendance, ne devaient pas
apparaître comme le couronnement d`une évolution menée dans
l'ordre, avec méthode, harmonieusement dosée à chaque
étape, mais comme une sorte de débâcle aggravée par
les crimes de l'O.A.S. »
b) L'amertume des anciens activistes
Plus violents, plus passionnels mais moins argumentés
sont les reproches des nostalgiques de l'Algérie française
vis-à-vis de l'ancien président de la République. Leur but
consiste généralement à dévoiler les
responsabilités de de Gaulle dans l'opération «
Résurrection »74. Impliqué de cette
manière dans l'activisme pro-Algérie française, le
général de Gaulle en aurait ensuite « trahi » ses
partisans en accordant l'indépendance. Ainsi, Jouhaud relate le feu vert
donné par de Gaulle à Salan pour une telle opération :
« Je pense que ça va marcher. Mais dans le cas contraire, à
Salan de jouer »75. C'est alors un de Gaulle cynique
et dupant les siens par arrivisme politique qui est présenté.
Portrait qui apparaît assez éloigné de la
vérité. En réalité, le général de
Gaulle n'a vraisemblablement envisagé l'opération que comme une
opération d'intoxication. D'autre part, il aurait pu être utile de
transporter des troupes venues d'Algérie pour maintenir l'ordre
après une prise légale de pouvoir76.
Un des meilleurs exemples de mémoire faussée sur
la guerre d'Algérie, est celle relevant de la mythologie gaullienne,
celle d'un homme marchant imperturbablement dans le sens de l'Histoire,
à savoir l'indépendance. En réalité, le
règlement du conflit ne s'est imposé au général
qu'après avoir essayé toutes les autres possibilités.
C'est sa méfiance vis-à-vis du F.L.N. entretenue par un
mépris de type colonial envers les musulmans77, qui a
retardé les négociations et non pas le souhait de ménager
l'opinion. L'opinion, de Gaulle n' a jamais voulu en être l'esclave et il
s'est révélé capable de la renverser par de simples
allocutions.
Le rôle du général de Gaulle dans la
guerre d'Algérie est un thème récurrent du débat et
par conséquent un axe majeur de structuration d'une mémoire
collective sur les événements. C'est la polémique qui
attire l'attention de l'opinion sur une telle thématique et suscite
des
74 c'est-à-dire le débarquement en métropole
en mai 1958 qui, à défaut d'une solution légale,
imposerait le retour au pouvoir du général de Gaulle
75 compte-rendu des Mémoires de Jouhaud ( op. cit. ), le
26-27 octobre 1969
76 du moins, c'est l'opinion du général Ely dans
son ouvrage (op. cit. )
77 A.Peyrefitte (op. cit.) nous révèle cette face
cachée du général dans ce type de réflexion :
« Les musulmans, vous êtes allé les voir ? Vous les avez
regardés avec leurs turbans et leurs djellabas ? »
« redécouvertes » de la guerre
d'Algérie. L'un des meilleurs exemples de cette polarisation de la
mémoire est le débat sur la torture. C'est vraiment lui qui porte
le débat sur la guerre d'Algérie et il est devenu un des axes
majeurs d'étude historique mais surtout journalistique du
conflit78.
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