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Les débats autour de la guerre d'Algérie à  travers le journal Le Monde


par Philippe SALSON
Université Michel de Montaigne Bordeaux III - Maà®trise d'Histoire contemporaine 2001
  

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2/ Le mythe du chef d'Etat clairvoyant dans la tourmente algérienne

S'il est un personnage dont le rôle est constamment réévalué dans les diverses mémoires du conflit, c'est bien le général de Gaulle : tour à tour, traître pour les nostalgiques de l'Algérie française, homme de la paix et des négociations pour les gaullistes, chef d'Etat

dépassé par les événements pour certains militants gauchistes. Or, en 1970, paraît le premier tome des Mémoires d'Espoir67, dans lequel de Gaulle raconte son exercice du pouvoir durant la tourmente algérienne. Quelle est alors son interprétation, rétrospective, de la guerre d'Algérie ?

a) Le mythe a sa source : Le Renouveau

Dans cet ouvrage, le général de Gaulle nous révèle l'image qu'il souhaite donner de son action, plus que la réalité des faits. C'est un de Gaulle convaincu de la nécessité de la décolonisation, marchant inexorablement vers la paix, qui se dessine au fil des pages. Le général est alors le seul à pouvoir convaincre l'opinion et agit selon un plan préconçu. Ainsi, de Gaulle-écrivain se sculpte sa statue d'homme d'Etat clairvoyant, agissant dans le sens de l'Histoire, statue qui s'élève au-dessus de la confusion algérienne.

Ce mythe est entretenu par de nombreuses personnalités proches, ou non, de de Gaulle, leur témoignage reprend cette lecture des événements. Ainsi, André Fontaine, dans un article sur l'Algérie, en vient à réinvestir le mythe gaullien :

« Pour admettre cette indépendance, de Gaulle n'a pas dû seulement surmonter, par la ruse et par la force, l'opposition résolue des tenants de l'Algérie française, parmi lesquels une grande partie de nos chefs militaires, il a dû se faire violence à lui-même »68.

Le général de Gaulle en tirerait un grand prestige : pour quelqu'un élevé dans le culte de

l'Empire Français, accepter l'indépendance c'est faire preuve de beaucoup de grandeur. On retrouve aussi, plus classiquement, parmi les colporteurs du mythe gaullien les personnalités proches de de Gaulle : MM. Tricot, Joxe ou Triboulet.

b) Réalité historique du mythe ?

Après ce bref descriptif du mythe, intéressons-nous désormais à la réalité. De Gaulle est-il cet homme clairvoyant convaincu de la nécessité de l'indépendance ? Dans ce cas, aurait-il volontairement trompé les pieds-noirs en criant : « Je vous ai compris » ?

Il est certain que de Gaulle avait des idées progressistes concernant les relations entre la France et l'Algérie. Il réprouve le colonialisme en tant que domination et oppression du peuple conquis. Mais, il apparaît peu probable qu'il arrive au pouvoir en 1958 avec l'idée d'indépendance : il pencherait davantage pour un statut d'association. Ce statut permettrait de garantir les intérêts français en Algérie tout en concédant plus de droits et de compétences

67 Ch. de Gaulle, Les Mémoires d'Espoir, tome 1: le Renouveau, Plon, Paris, 1970

68 « La France et l'Algérie » par André Fontaine, 14 janvier 1971

politiques aux musulmans. Mais manoeuvrant pour arriver au pouvoir, il multiplie les propos contradictoires selon ses interlocuteurs, tout en évitant les promesses précises : tantôt partisan de l'indépendance69, tantôt farouchement hostile à celle-ci70. Et au moment du 13 mai 1958, ce n'est pas un hasard si ces collaborateurs, Olivier Guichard et Jacques Foccart entre autres, manigancent pour que l'armée et les pieds-noirs fassent appel à lui. De Gaulle soigne son image afin d'apparaître comme l'arbitre suprême mais rien dans ses déclarations ne permet d'affirmer qu'il sait déjà qu'il va accorder l'indépendance à l'Algérie.

Les faits le contestent même. En effet, l'effort militaire est particulièrement intense sous la Vème République : c'est le plan Challe et la quasi-victoire sur le terrain contre le F.L.N. Pourquoi alors continuer la guerre de manière massive si le but de la politique de de Gaulle est l'indépendance ? D'autre part, une des premières grandes mesures prises par le nouveau président consiste en un vaste et coûteux71 plan de développement économique de l'Algérie, le plan de Constantine. Ce plan, s'étalant sur cinq ans, prévoit de rattraper le retard de développement et de niveau de vie de l'Algérie musulmane : réforme agraire, déploiement de complexes industriels, scolarisation complète des jeunes Musulmans, alignement des taux de salaires sur ceux de la métropole, construction de voies de communication, d'équipement sanitaire et de logements... Ce plan ambitieux a pour but de persuader les masses algériennes que la France est prête à faire de gros sacrifices pour aider au développement de l'Algérie, faire en sorte que l'attachement à la France apparaisse inévitable. Ce plan dont les résultats sont très contrastés - les capitaux sont principalement destinés à l'industrie alors que l'Algérie est majoritairement agricole et le F.L.N. impose le boycott du plan - est révélateur de cet espoir que garde encore de Gaulle de maintenir l'Algérie dans le giron de la France. La grande erreur du chef d'Etat est d'avoir sous-estimer la force du sentiment national algérien : il ne veut voir dans l'insurrection qu'un symptôme de la misère du peuple algérien. Or l'identification des musulmans au combat du F.L.N. est de plus en plus forte, il faut dire que la politique de la terreur pratiquée par les fellaghas les y oblige.

Le témoignage que nous livre Alain Peyrefitte72, montre bien que la politique de de Gaulle est tâtonnante. Au moment du plan de Constantine, le président semble estimer qu'il

69 par exemple, devant Louis Terrenoire, Maurice Clavel, Edmond Michelet ou Christian Pineau

70 par exemple, devant Jacques Soustelle ou Robert Lacoste

71 19 milliards de nouveaux francs y ont été investis en 1961

suffit de transformer l'Algérie en association avec la France :

« On ne peut sortir de cette boîte à scorpions qu'en faisant évoluer l'Algérie du tout au tout. Il faut essayer de lutter contre la clochardisation des Algériens. Bien sûr, il faut aussi que la pacification fasse des progrès sur le terrain [...]. Mais elle ne sera jamais définitive si l'Algérie ne se transforme pas ».

Il serait alors partisan d'une « Algérie algérienne au sein de la Communauté ». En 1961,

alors que les négociations sont sans cesse compromises, de Gaulle opte, momentanément pour une solution de partition de l'Algérie : une partition aurait l'avantage de garantir les intérêts français au Sahara et une bande de terrain restreinte serait plus facile à défendre. Il envisage ainsi de regrouper les Européens sur les terres les plus riches : « Si les Français de souche étaient majoritaires en Oranie et dans la plaine de Mitidja jusqu'à Alger; ils seraient maîtres du sol » déclare-t-il. Bref, la progression dans les discours officiels vers la solution de l'indépendance s'accomplit à mesure que le président se rend compte que les autres solutions sont vouées à l'échec. Alain Peyrefitte le résume ainsi dans son livre : « Il a tout essayé et tout a échoué ». Loin d'avoir une idée préconçue sur le règlement du problème algérien, la démarche du général de Gaulle est avant tout pragmatique, d'où ses ambiguïtés et ses hésitations.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway