c) Contenu de la loi et conséquences judiciaires
La loi est votée dans la confusion de
l'après-mai 68, le 24 juillet 1968, seuls les communistes ayant
voté contre65. Alors que 3471 personnes ont
déjà bénéficié des précédentes
mesures d'amnistie, le général de Gaulle a épuisé
toutes les possibilités offertes par la loi sur les grâces.
L'amnistie apparaît alors nécessaire au gouvernement pour ceux qui
n'ont pu profiter de la grâce. Cette amnistie porte sur « toutes les
infractions commises en relation avec les événements
d'Algérie », et dépasse ainsi le caractère
spécifique des amnisties de 1962 et 1964. En outre, la loi rend le droit
aux bénéficiaires de porter les
64 A.Peyrefitte, op. cit.
65 un amendement socialiste, présenté par M.
Defferre, pour la réintégration, dans leur grade et leur
fonction, des officiers impliqués dans l'O.A.S. a été
rejeté mais reste jusqu'en 1981 dans le programme du parti
socialiste...
décorations décernées pour faits de
guerres. Les anciens activistes sont les seuls bénéficiaires de
cette mesure : c'est une amnistie votée pour régler leur sort.
Le Monde, dans son compte-rendu paru le 25-26
juillet, ne critique pas la loi en tant que telle mais reproche « le
résultat politiquement contestable » du contexte dans lequel elle a
été votée. En effet, les mesures d'amnistie concernant
l'Algérie ont été accolées à des
dispositions visant des infractions différentes : amnisties pour fait de
collaboration, fraude électorale... Le tout formant un ensemble
hétéroclite qui escamote la portée historique du vote.
Sa portée est loin d'être négligeable.
Elle voue toute poursuite judiciaire concernant les atrocités et
assassinats commis pendant la guerre à l'échec. Bien plus, elle
empêche toute mise en accusation d'un responsable de ces atrocités
par un journaliste puisqu'il s'agirait d'une diffamation. En effet, le
journaliste ne peut apporter de preuves face à un tribunal parce
qu'alors, cela reviendrait à instruire l'infraction commise, ce qui est
interdit par loi. Le silence est donc imposé et la recherche de la
vérité entravée. Dès lors, les affaires les plus
symptomatiques d'un fonctionnement pour le moins extraordinaire de la police et
donc de l'Etat en Algérie, que sont les affaires Audin (cf. p. 41) et
Charonne (cf. p.30 ) s'achèvent sur le mystère des
responsabilités et des circonstances du drame.
C'est là que se situe l'incongruité de la loi
d'amnistie. Elle empêche la mise en oeuvre de toute poursuite contre des
actes liés à la guerre d'Algérie. Bien plus,
l'évocation publique de tels actes peut être sanctionnée
pénalement. Cette loi est d'autant plus sujette à caution que les
amnisties concernent traditionnellement des délits reconnus et
jugés. C'est, par exemple, le cas de l'amnistie votée en
même temps que celle sur la guerre d'Algérie et portant sur les
faits de collaboration. Cette loi vise donc à enfouir « les
événements » sous un lourd silence. C'est ce qui fait dire
à Pierre Vidal-Naquet qu'elle protège les
tortionnaires66. Elle confère, en effet, une impunité
contestable aux anciens activistes. Le Monde nous révèle
ainsi dans le numéro du 24 janvier 1968 qu'un détenu va
jusqu'à s'accuser d'une agression commise pour le compte de l'O.A.S.
pour bénéficier de l'amnistie !
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