CHAPITRE 1 :
1968-1972: LA REDECOUVERTE DE LA GUERRE
D'ALGERIE
La guerre d'Algérie s'est distinguée des autres
guerres coloniales par le fait qu'il s'est aussi agi d'une « guerre
d'opinion » 2 . Etant donnés l'intransigeance des pieds-noirs,
l'émergence d'une pensée tiers-mondiste, l'aura de de Gaulle et
le poids du pacifisme dans l'opinion, la guerre a suscité des
commentaires enflammés, des prises de position radicales et des
polémiques sans fin qui ont rempli les colonnes des journaux. Ce
débat, souvent plus passionnel qu'argumenté, autour de la guerre
d'Algérie n'a pas pris fin avec le conflit et resurgit en fonction de
l'actualité. Or, entre 1968, date de la première grande loi
d'amnistie collective, et 1972, année du dixième anniversaire des
accords d'Evian, les occasions ne manquent pas pour parler de la guerre. C'est
justement cette loi de 1968, qui impose un oubli et un pardon sur « les
événements », qui est à l'origine d'une
redécouverte de la guerre d'Algérie : elle rend possible le
retour ou la libération des anciens activistes qui s'empressent de
justifier, par écrit, leur action.
A/ Une tentative d'écriture de l'Histoire
1/ Le Monde: caisse de résonance ou faiseur d'opinion
?
a) Les origines idéologiques du Monde
Pour comprendre la politique éditoriale du quotidien
durant cette période, il apparaît nécessaire de revenir sur
son origine et ses influences. Le journal a été fondé en
décembre 1944 par Hubert Beuve-Mery sur la volonté du
général de Gaulle. Le gouvernement s'est en effet
réservé le sort du Temps, journal modéré
qui est condamné pour ses positions
2 expression employée dans l'ouvrage de B. Droz et E.
Lever, Histoire de la guerre d'Algérie 1954-1962, Paris, Seuil,
1982
conciliantes vis-à-vis du régime de Vichy. Le
général de Gaulle souhaite créer à partir des
infrastructures du Temps, un journal de prestige qui remplisse des
fonctions de service public. Ce serait Georges Bidault, ministre de
l'Information, qui évoque le nom de Hubert BeuveMery pour prendre la
tête de ce nouveau quotidien3.
Hubert Beuve-Mery fait partie de cette
génération de jeunes cadres issus de l'école d'Uriage et
qui, à la suite de son directeur Dunoyer de Segonzac, se rallient au
général de Gaulle en 1944. Les origines du Monde se
situent alors à la confluence de quatre héritages
idéologiques. Du Temps, le quotidien de Beuve-Mery ne reprend
pas uniquement ses anciens journalistes mais aussi sa morale libérale,
pacifiste, rationaliste et sa conception élitiste du journalisme. Le
quotidien se doit d'être complet au niveau de l'information et
sérieux du point de vue de ses sources. Le Monde retient
ensuite des idées de la Résistance une méfiance
vis-à-vis des grands groupes financiers, une volonté
d'indépendance envers les pouvoirs politiques et économiques et
la conscience de l'importance politique de la presse. L'école d'Uriage,
quant à elle, a influencé Beuve-Mery, et par ricochet la ligne
éditoriale, sur la question de la modernisation nécessaire des
structures économiques et le rôle primordial que doivent jouer les
technocrates dans cette modernisation. Enfin, le dernier héritage
s'explique par le parcours personnel de M. Beuve-Mery, il s'agit de sa foi
catholique, oecuménique et sociale.
Par le biais de ces divers legs, Le Monde s'enracine
en profondeur dans l'humus idéologique et culturel de la
société française : il s'inscrit dans la tradition
libérale et positiviste d'une élite dont l'éducation reste
très marquée par le catholicisme. Son succès et son
positionnement lui ont assuré un statut de référence,
quasiment incontesté, au sein de la presse française. C'est ce
statut de référence qui fait de lui un bon
révélateur de l'opinion; mais étant donné son
lectorat, cette opinion est celle d'une élite éclairée et
non de la société française dans son ensemble.
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