Sabine
L'observation de cette patiente s'est faite dans le cadre
d'une prise en charge individuelle (comme indiqué dans la partie B
n°3). L'accés à l'atelier ainsi que sa structure
n'étant pas adaptés à l'état de fatigue de
Sabine.
a) Anamnèse de Sabine :
Sabine est une jeune fille de 17 ans déjà
longuement hospitalisée en 2002/2003 pour une anorexie mentale
sévère.
Elle fait un séjour à l'UPA du 09/07/03 au
22/12/03.
Ce qui caractérise cette longue hospitalisation, c'est la
platitude de la courbe pondérale. Sabine ne prend pratiquement pas de
poids durant son hospitalisation, il s'agit d'une jeune fille assez timide,
assez introvertie, mais dont les possibilités d'élaboration
psychique ne semblent pas mauvaises.
Elle est dirigée vers l'hôpital de jour en 01/04
avec une reprise scolaire.
Le 04/06/04, elle est à nouveau hospitalisée
à l'UPA, son poids est de 30.5 Kgs avec hypotension, insomnie. A 8 jours
de passer son bac, elle s'épuise, la décision est prise
d'ajourner ses examens et de remettre en place avec son accord un nouveau
protocole de soins.
b) Objectifs de l'institution :
Le but de son hospitalisation est double, il s'agit à la
fois de lui faire reprendre du poids et de débloquer psychologiquement
une situation qui s'éternise depuis de nombreux mois. Une
évaluation de ce dispositif thérapeutique sera faite à la
fin du mois de juillet et si les choses n'ont pas évolué, une
demande dans une autre structure sera décidée.
c) Objectifs de la prise en charge :
L'objectif général thérapeutique
étant la reprise de poids, je me fixe comme objectif
intérmédiaire, le désir, en prenant comme sites d'actions,
l'intention, le choix, le goût et le
lâcher-prise en opposition avec la mentalisation et la
ritualisation qui dominent dans cette pathologie.
Le premier contact avec Sabine se fait dans le salon fumeur et
nous convenons d'un rendezvous pour fixer le planning des séances. Afin
de définir un état de base, je me renseigne sur ses pratiques
artistiques éventuelles et elle m'apprend qu'elle a pratiqué la
guitare classique durant six ans dans un conservatoire.
Elle me fait part de ses angoisses durant les auditions,
où elle tremblait tellemment qu'elle ne pouvait plus jouer. Puis elle me
fait part de son plaisir à dessiner, mais ici elle n'a pas de
matériel, je lui propose de lui en fournir et de démarrer par le
dessin, elle sourit et nous prenons rendez-vous pour la semaine suivante. Nous
fixerons alors ensemble le planning des séances qui s'étaleront
sur trois semaines, c'est à dire jusqu'à fin juillet, date de son
ultimatum au sein de l'UPA et date de la fin de mon stage. Il y aura donc au
total cinq séances.
Vu l'état de fatigue de Sabine, la durée des
séances est fixée à 30 minutes.
d) Déroulement des séances lors de la prise en
charge de Sabine :
Première séance :
Matériel : Des pastels - Un livre sur l'enfant et la danse
de Jacqueline Robinson
Je lui montre le matériel que j'ai amené, une
trousse remplie de pastels avec un choix très nuancé en couleurs.
Nous décidons d'une technique de dessin qui consiste à investir
de traits au crayon de papier la feuille puis à observer et à
distinguer une ou plusieurs formes à mettre ensuite en évidence,
à l'aide des pastels.
Elle voit rapidement un papillon et un coeur,
entremélés.
Sabine est rapide en execution, très agile de ses mains,
elle fait rapidement son choix de couleurs. Elle teste d'elle même
différentes techniques :
- repasser des couleurs avec d'autres, afin de créer de
nouvelles nuances
- étaler avec les doigts
- mettre de l'eau sur du papier et repasser sur les couleurs
Afin d'aborder en douceur l'aspect corporel, je lui propose de
lui laisser le livre de J. Robinson, en lui présentant brièvement
cette danseuse et ce qu'elle a amené au monde de la Danse. Ce livre
s'adressant aux enfants et adolescents est facile d'accès et part du
postulat que la danse démythifiée et intégrée dans
le vécu de l'enfant devrait permettre à celui-ci de mieux
s'assumer dans son corps et dans son imaginaire.
Je lui demande de le feuilleter et lui propose que nous
échangions sur ce sujet lors de la prochaine séance.
Je lui demande de me laisser emporter avec moi le dessin en
cours que je ramenerai à la prochaine séance. Par contre si elle
le souhaite, je peux lui laisser les pastels et des feuilles afin qu'elle
puisse les utiliser si elle en éprouve le désir, elle accepte. Je
lui précise toutefois, que cela ne doit pas être un
prétexte pour s'isoler dans sa chambre, qu'elle peut dessiner avec
d'autres.
Elle me répond qu'elle souhaite moins s'isoler ces
derniers temps.
Deuxième séance :
Je retrouve Sabine au plus bas, regard dirigé vers le
sol, prostrée, les larmes aux yeux.
Elle me dit alors vivre très mal le fait qu'il lui
semble faire des efforts, mais que la balance n'indique pas de mieux, que les
sorties ne lui sont pas autorisées, qu'elle aimerait tellement prendre
des vacances et sortir de l'institution.
(Nous rappellons que ce cadre formel fait partie du protocole
médical en lien avec la reprise de poids).
Elle me parle du livre qu'elle a feuilleté et dont elle
dit apprécier le ton,(dans "toi et la danse", l'auteur
s'adresse directement à l'enfant / ado, en employant le tutoiement).
Nous en profitons pour enchaîner sur le corporel et nous
faisons quelques pas, pieds nus dans sa chambre, je lui explique alors,
l'importance des appuis et lui montre comment dérouler le pied.
Son regard fixe constamment le sol, je lui dis alors qu'en
regardant devant soi, la tête se relève et l'on corrige la posture
de la colonne vertébrale et des cervicales.
Je lui parle aussi d'intention dans le regard, qui peut
influer sur sa marche. Nous le mettons en pratique par une marche dans une
direction précise, en fixant du regard le point où l'on veut se
rendre. Puis nous faisons de même en incluant les changements de
direction.
Sabine se fatigue vite, la station debout et les
déplacements deviennent pénibles, de plus, nous sommes au mois de
Juillet, et la chaleur devient un paramètre parasite.
Nous reprenons, alors le dessin, permettant une position
assise.
Sabine se fait plus hésitante dans le choix des
couleurs, elle prend un peu plus de temps. Puis à nouveau, elle cherche
des techniques, pour "lisser", invente de nouvelles nuances, en
mélangeant les couleurs.
Le dessin arrivant à son terme, je lui demande ce
qu'elle en pense, elle se dit satisfaite dans l'ensemble, sauf de la couleur du
corps du papillon, qu'elle n'aime pas, une couleur marron, à reprendre
à la prochaine séance.
Troisième séance :
En passant par l'infirmerie avant de rencontrer Sabine, je
m'informe sur son état et j'apprend qu'elle a pris 1 kilo.
En arrivant devant la porte de sa chambre, je vois au-dessus
de l'étiquette de la clinique indiquant le nom du patient, que Sabine a
écrit le sien avec les pastels laissés à la
dernière séance, de manière multicolore sur une feuille
découpée à l'effigie de son prénom et
scotchée sur sa porte. Sabine serait-elle en train de s'afficher en tant
que sujet ?
Nous reprenons le dessin arrêté à la
séance précedente, elle retouche la couleur du corps du papillon,
pour lisser les traits afin qu'il s'harmonise avec les ailes et le coeur.
Je constate là une recherche esthétique, puis
enfin satisfaite, elle le signe et conserve le dessin.
Nous nous positionnons face à face assises sur un tapis
de sol et je dispose devant elle différentes percussions en lui
proposant de faire du bruit ensemble, les yeux fermés, afin de jouer en
étant à l'écoute de l'autre. Sabine choisit les claves, je
prends le bâton de pluie, nous parvenons à une communication
sonore, restant bien à l'écoute, notre jeu se termine en
même temps.
Ensuite, nous reprenons la marche, en travaillant le regard
porté sur l'exterieur et l'intention d'aller dans telle ou telle
direction, Sabine s'implique et corrige d'elle même dès que le
regard retombe sur le sol.
Pour conserver ce regard porté sur l'exterieur, je lui
propose un travail d'ouverture du corps, avec l'aide d'un foulard, en se
servant des bras et de la notion d'espace et en travaillant
l'amplitude du geste, mais le regard reste porté vers
le sol. Sabine se fatigue très rapidement, elle s'allonge sur le tapis
de sol pour une relaxation de quelques minutes, ou elle accède à
une bonne respiration abdominale et à un relâchement successif des
parties du corps dans le sol. Elle commence à prendre connaissance de la
sensation contraction / relâchement musculaire.
Quatrième séance :
Sabine me dit avoir été fatiguée lors de
la dernière séance, elle sent son corps et cela n'est pas une
sensation agréable pour elle, c'est même physiquement
douloureux.
En effet, le fait même de marcher et de faire des gestes
amples avec les bras, réveille les muscles et peut provoquer des petites
courbatures, je lui fais part de cela et lui dis que nous travaillerons moins
le corps dans cette séance.
Elle me dit par contre, s'être réveillée
tôt ce matin et ne trouvant plus le sommeil, elle s'est levée et a
fait quelques pas dans sa chambre, en déroulant sa marche et en portant
une attention particulière à son regard.
Je lui propose de me montrer et en effet, je constate un
meilleur appui dans les pieds sur le sol et un regard dirigé, ce qui
redresse son axe vertical.
Nous nous asseyons face à face et reprenons les
percussions, c'est elle qui mène, en imposant son rythme, puis elle se
met en position d'écoute, nous parvenons à une communication
sonore et à nouveau le jeu s'arrête d'une manière
synchrone.
Pour cette séance, je pris plus de temps pour le
passage au sol, la relaxation étant importante pour Sabine qui cherche
souvent l'occupation pour fuir l'ennui.
Elle s'allonge et après une respiration abdominale
profonde, je lui propose un exercice de relâchement total du corps. En
soupesant sa jambe, puis son bras dans mes mains, je lui demande de
lâcher son poids, de ne pas contrôler cette partie.
Etant dans une relation de confiance, elle parvient à
relâcher certaines parties de son corps et à comprendre qu'elle en
a seule la capacité. Elle apprécie cet état de relaxation.
Je lui précise que maintenant qu'elle a perçu la
différence, elle peut quand elle le souhaite relâcher cette
tension corporelle.
Cinquième et dernière séance
:
En me rendant à l'infirmerie, j'apprends que Sabine a
repris 500 grs.
Nous sommes le 30/07/04, Sabine devait impérativement
reprendre du poids avant la fin du mois de Juillet ou elle quittait le service,
ayant pris 1 kg 500, elle pouvait rester.
Sabine me dit que pour la dernière séance, elle a
envie de dessiner, je lui dis oui mais auparavant nous allons reprendre une
partie d'expression corporelle.
Après un léger réveil corporel, qu'elle
fait seule, je constate alors une bonne mémorisation corporelle, elle se
souvient précisément de la décomposition des mouvements.
Puis je lui propose d'effectuer seule une traversée pour chacun des mots
suivants : ouverture - fermeture - vole - lourd - léger, à
exprimer corporellement.
Elle accède à l'imaginaire et son regard accompagne
chaque traversée.
Nous passons ensuite au dessin, elle veut dessiner mais ne sait
pas quoi, je lui propose alors de faire le dessin de nos séances.
Elle acquiese et prend les pastels avec plus de douceur, de
calme. Elle prend son temps et commence à tracer d'une manière
abstraite ce qu'elle a ressenti lors des séances. Elle se met a
verbaliser ses gestes et à dire : " là je trace les courbes
des traversées, avec les changements de direction". "Là je trace
les traversées avec les appuis dans le sol". "Là je prend du
rouge et du bleu pour montrer les contractions - relâchement des
muscles". "Là je dessine des silhouettes de différentes attitudes
pour montrer les sculptures vivantes que nous avons faites ". "Là je
mets des notes de musiques différentes pour le son que nous avons
produits avec les percussions ". Puis elle rajoute du pastel rouge par
petites touches en me disant que c'est la confiance quand elle donne le poids
de son bras ou de sa jambe dans mes mains.
Nous nous quittons dans un climat de confiance dans l'avenir,
Sabine me dit qu'elle espère cette fois ne pas "retomber", comme cela
s'est déja produit à deux reprises.
e) Evaluations de Sabine au cours de sa prise en charge
:
3
2
1
Séance T1 T 2 T 3 T 4 T 5
Regard
Légende :
1. Regard dirigé vers le bas
2.
3
2
1
Regard conjoint (vers moi puis vers l'objet) 3. Regard ouvert sur
l'extérieur
Implication personnelle
Temps de réflexion avant la mise en pratique d'une
consigne
Séance T 2 T 3 T 4 T 5 T1
Légende :
1. Pas du tout
2. Un peu
3. Beaucoup
Remarques et bilan des évaluations
:
Dans le premier graphique, nous constatons un regard conjoint
à la première séance où je le rappelle il n'y avait
pas d'activité corporelle mais du dessin.
Suite à une stagnation d'un regard dirigé vers
le bas, Sabine passe à nouveau à un regard conjoint pour terminer
avec un regard ouvert sur l'exterieur, qu'elle corrige et soutient d'elle
même comme précisé dans le détail des
séances.
Dans le deuxième graphique, nous constatons une nette
évolution dans le temps de réflexion que s'accorde Sabine avant
d'éxecuter une consigne, cette rapidité du geste pouvant
être en lien avec la maîtrise et le contrôle qu'implique
cette pathologie.
Par exemple dans le choix des couleurs (comme
détaillé en séance), Sabine au fur et à mesure des
séances, s'accorde plus de réflexion et par la-même plus de
douceur dans le geste, nous nous éloignons du réflexe pour nous
rapprocher d'un acte volontaire dirigé.
A ce sujet, il est intéressant de constater que ce
temps de réflexion accordé est lié à la progression
de l'implication personnelle de Sabine dans les séances, comme nous le
démontre le graphique.
f) Bilan de la prise en charge de Sabine :
Je constate que les sites d'actions retenus ont été
explorés par Sabine :
-qui a fait preuve d'intention personnelle dans
l'expression verbale de ses désirs (je veux faire du dessin),
-qui a su montrer sa capacité de choix,
(dans le choix des couleurs ou des instruments proposés),
-qui a fait preuve de goût, dans une
recherche esthétique dans la production de son dessin, -qui a
accepté le toucher et le lâcher-prise dans les
exercices corporels.
Mon objectif intermédiaire étant l'apparition du
désir, je peux dire qu'il est atteint. Sabine de par son implication
croissante, s'est située en tant que sujet désirant.
Cinq séances ont constitué une amorce pour que
Sabine puisse commencer à porter un regard nouveau sur elle-même
et sur ce qui l'entoure. Cependant cinq séances ne suffisent pas pour de
nouvelles acquisitions.
Je peux donc parler d'un objectif intermédiaire atteint
dans un bref délai, mais sans doute pour une courte durée.
Observations de l'équipe soignante
:
Une infirmière remarque que Sabine regarde devant elle
lors de ses déplacements. Un infirmier constate que Sabine accepte
dorénavant, le contact corporel.
La psychologue me fait part du bien être ressenti par
Sabine lors de ces séances.
Sabine a perçu les notions d'appuis et de directions,
malgrè la courte durée de ce travail à peine
ébauché.
Le fait que Sabine lors de sa dernière séance a
exprimé sur un support papier les mouvements qu'elle avait
effectués corporellement dans l'espace, a donné lieu à une
reflexion. Cette réflexion fait l'objet d'une partie de la discussion
qui va suivre.
|