I - La place financière suisse
L'ancienneté et l'importance du secteur financier
suisse résident en grande partie sur la notion de secret bancaire.
Depuis plus d'un siècle, la discrétion est une pratique
fondamentale cultivée par l'ensemble de la place financière
helvétique. Ce dernier terme désigne non seulement les
institutions bancaires, mais un ensemble de corps de métiers auxiliaires
appelés « parabancaires ». La croissance de la place
financière suisse au 20e siècle s'est traduite par
l'émergence d'un « agrégat » de
compétences financières diversifiées.
En anglais, de tels agrégats sont appelés
clusters : certaines régions attirent les acteurs
dominants d'une industrie ; Hollywood le cinéma, Silicon Valley
l'informatique, la France la gastronomie, l'Allemagne l'automobile haut de
gamme, etc. La Suisse, elle, est devenue le principal centre mondial de la
gestion de fortune privée, souvent désigné par les
professionnels par le terme anglais de private banking.
I-1 Rôle crucial du secret bancaire
Le secret bancaire est essentiellement une institution de
droit, un mur juridique érigé par la loi suisse autour de la
relation entre la banque et son client afin de la protéger de la
curiosité d'autrui, qu'il s'agisse de personnes privées ou
d'autorités publiques, suisses ou étrangères. Par
extension, le secret bancaire en est venu à désigner un ensemble
de pratiques destinées à assurer la discrétion des
clients.
Le secret bancaire ainsi défini fait de la Suisse un
espace juridique qui offre aux clients de ses banques un degré de
confidentialité inconnu dans la plupart des autres pays. Ce
« devoir de discrétion du banquier » ou cette
« protection de la discrétion », termes
préférés par les professionnels, interdit au banquier de
révéler tout fait parvenu à sa connaissance qui ne soit
pas déjà notoire et dont la divulgation peut affecter la
sphère privée ou économique de son client.
L'élément central du secret bancaire est
l'article 47 de la Loi fédérale sur les banques, adoptée
en 1934 et modifiée dans les années 70. Cet article, punissant de
prison et d'amende ceux qui auraient révélé un secret
appris dans une banque, a beaucoup contribué à établir la
réputation d'inviolabilité du secret bancaire helvétique.
I-2 Poids de la place financière
helvétique.
Le secteur financier suisse occupe une place
prépondérante dans l'économie suisse. Les données
économiques sont éloquentes. En 2003, les quelques 356 banques
helvétiques représentaient 14% de la production de richesses
mesurée par le PIB, ce qui en fait la première branche de
l'économie. Alors que l'économie suisse stagne depuis le
début des années 1990, les banques engrangent, année
après année, des profits confortables : malgré une
conjoncture difficile, leur bénéfice brut s'élevait
à plus de 24 milliards de francs suisses (CHF) en 2002. Le montant des
fortunes qu'elles administrent pour le compte de leurs clients a baissé,
en raison notamment de la chute des marchés boursiers, mais les chiffres
restent impressionnants : les avoirs sous gestion atteignaient 3279
milliards de CHF en 2002, un chiffre inférieur au record atteint en 2000
avec 4127 milliards de CHF, mais qui donnent la mesure de l'importance de ce
secteur. L'argent placé dans les banques suisses
représente environ dix fois l'économie de la Suisse tout
entière.
Ce bref examen des statistiques illustre un fait
fondamental : la Suisse vit très largement de l'argent venu de
l'étranger. Plus de la moitié - 58% selon les chiffres
disponibles en 2003 - de la fortune gérée par les banques a
été placée en Suisse par des clients étrangers. La
gestion de fortune privée, c'est-à-dire l'administration des
patrimoines des clients les plus riches, en majorité étrangers,
représente à elle seule 6% du PIB. Une étude
fréquemment citée par les professionnels, réalisée
en 1998 par les consultants de Gemini, plaçait la Suisse en
tête de la gestion de fortune privée mondiale avec 27% du
marché, contre 19% au Luxembourg, 18% à la Grande Bretagne, 15%
aux paradis fiscaux des Caraïbes. Ces chiffres concernent les fortunes
off-shore, celles qui sont administrées hors des pays de
résidence de leurs propriétaires.
La dépendance des banques suisses envers les fortunes
étrangères est lourde de conséquences politiques. Car le
capital financier n'enrichit pas seulement les banques, mais aussi les Etats.
L'argent déposé dans une banque suisse est souvent soustrait
à un fisc étranger et le phénomène de
l'évasion fiscale affecte directement les revenus des pays d'où
provient l'argent placé en Suisse. Selon les estimations, entre 50% et
70% des avoirs étrangers en Suisse n'auraient pas été
déclarés aux impôts dans les pays où résident
leurs détenteurs. Mais il n'y a pas, dans ce domaine sensible, de
vérité officielle : précisément parce qu'il
est discret et qu'aucune loi ne l'y oblige, le banquier suisse ne demande
jamais à son client si son argent est déclaré ou non.
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