Communication politique et séduction à travers la Déclaration de politique générale du Premier ministre Idrissa Seck à l'Assemblée nationale le 03 février 2003( Télécharger le fichier original )par Mamadou THIAM Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Dea Science du langage 2005 |
2.1.2 L'opinion publiqueLa notion d'opinion publique est très complexe. Certains considèrent qu'elle n'est qu'un « artefact » et qu'elle « n'existe pas » (Bourdieu 1980 : 222-223). D'autres, comme Habermas, pour l'avoir théorisée, ne sauraient la nier. Ce dernier, de l'opinion publique nous dit qu'elle revêt un sens différent selon qu'on la revendique en tant qu'instance critique face à la « publicité » imposée, corrélative de l'exercice du pouvoir politique et social, ou selon qu'on s'en sert pour désigner l'instance « réceptrice » de la « publicité » de démonstration et de manipulation, vantant des biens de consommation, des programmes politiques, des institutions ou des personnalités (Habermas 1978 : 246), et qu'elle est « l' unique fondement reconnu qui permette de légitimer la domination politique » (op.cit. : 248). Plus pratique, Patrick Champagne s'intéressera peu à l'existence ou non de l'opinion publique, pour insister sur la croyance en son existence chez la plupart des individus. A ce propos, il constate : L'opinion publique des instituts de sondage existe parce que ces derniers ont, depuis, réussi à faire croire en la valeur scientifique de leurs enquêtes et à transformer ainsi ce qui était à l'origine, en grande partie, un simple artefact technique, en réalité sociale. (Champagne 1990 : 122) 2.1.2.1 Les acteurs de l'opinion publiqueLes principales composantes de l'opinion publique sont : la société civile, comprenant les leaders d'opinion et les simples citoyens, les hommes politiques, les hommes des médias, les professionnels des sondages et les spécialistes en marketing et communication politique. Chacune de ces composantes a ses modes de pression, et d'expression. ü Les hommes politique : Les hommes politiques et leurs appareils structurés (les partis politiques) constituent l'une des composantes les plus importantes de l`opinion publique. A la faveur de la démocratisation, le Sénégal est passé du régime de parti unique, au pluralisme intégral, en passant par le multipartisme limité.7(*) C'est ainsi qu'en 2003, date de la Déclaration de politique générale faisant l'objet de cette présente étude, il y avait pas moins de 75 partis politiques. Toutefois, il faut distinguer trois grandes catégories : les parties que nous qualifierons d' « inactifs », les partis « souteneurs » et les partis « leaders ». Les partis « inactifs »8(*) sont ceux qui ne participent presque jamais aux élections et ne mènent pas d'activités régulières. Ils constituent la majorité des structures politiques reconnues. Les partis « souteneurs »9(*) sont ceux qui, bien que menant des activités plus ou moins régulières, ne participent aux élections qu'en qualité de souteneurs, c'est à dire qu'ils s'alignent rarement aux élections sous leur propre bannière. Enfin, nous avons les partis dits « leaders » qui sont, en générale, ceux régulièrement représentés à l'Assemblée nationale. Ils ne dépassent pas la dizaine.10(*) Les partis politiques sénégalais sont caractérisés par leur tendance trop marquée à la personnalisation. Ils ont à leur tête des leaders inamovibles autour de qui s'articule et se déroule la vie des structures politiques. Les partis politiques s'expriment à travers diverses manifestations : meetings, réunions, conférences de presse, congrès, fora, allocutions, colloques, communiqués de presse, interviews, affichage, relations presses etc. Certains partis politiques, ou hommes politiques, parmi les mieux nantis, aussi bien au sein de l'opposition qu'au sein du pouvoir, mettent même en place des organes de presse et médias pour servir de relais à leur messages et vision du monde. Avant l'Alternance, au sein de l'opposition de l'époque, le cas le plus notoires était constitué par la création, en 1998, du journal Sopi11(*), de la part du PDS. Après l'Alternance, le même journal servira de relais au PDS nouvellement arrivé au pouvoir mais sera appuyé par d'autres journaux proches des libéraux comme le quotidien Le Messager. Lorsque le Parti socialiste était au pouvoir, il s'appuyait sur le journal Le Débat. En dehors des organes de presse, les partis et hommes politiques investissent, de plus en plus, dans les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication, par la création de sites Internet. C'est le cas de l'AFP, du PDS, du PS, de AJPADS, de la LDMPT. En outre, l'importance de la communication est attestée par l'existence de chargés de la communication et de portes-parole. Toutefois, une différence de taille existe, s'agissant des ressources et supports de communication, entre les partis politiques. Cette différence est fonction des moyens financiers dont ils disposent, mais aussi et surtout de leur position par rapport au pouvoir. Ainsi, les partis au pouvoir s'appuient, en particulier, sur les médias dits d'Etats, notamment la Radio Télévision Nationale (RTS). Celle-ci fait la part belle aux activités du Gouvernement et des partis membres de la mouvance présidentielle et n'hésite pas à faire un black-out sur les activités des partis d'opposition.12(*) ü La société civile La société civile regroupe l'ensemble des acteurs non engagés activement dans les logiques de conquête ou de conservation du pouvoir. Elle regroupe des organisations intervenant dans plusieurs domaines (développement, défense des droits de l'homme, défense des consommateurs), les citoyens apolitiques, les leaders d'opinion (dans les domaines associatifs, intellectuels, religieux etc.). Les modes de communication de ces acteurs de la société civile sont divers et variés. Les organisations structurées (ONG, associations) développent une approche communicationnelle proche, en termes de supports de communication, de celle des partis politiques. En effet, elles utilisent les médias, les réunions, des campagnes d'information et de sensibilisation, des marches etc. Le fait notable est la possibilité offerte au simple citoyen de s'exprimer et de faire partager son opinion au plus grand nombre, par le biais de nouveaux espaces d'expression. Au niveau de la presse écrite, c'est l'existence de pages réservées à la contribution des sénégalais sur des questions stratégiques ou d'actualité. 13(*) Il en est de même pour les radios14(*), ainsi que d'Internet15(*) qui, nonobstant son faible taux d`accès, permet tout de même un échange entre citoyens autour de diverses questions politiques, sociale et économiques. ü Les instituts de sondage Au Sénégal, il existe des instituts de sondage dont le rôle est, entre autres, de mesurer l'opinion dans les domaines économiques et politique. Les instituts de sondage ont plusieurs domaines d'activités dont les enquêtes d'audience des médias et les sondages politiques retiendront particulièrement notre attention dans cette étude. En ce qui concerne les enquêtes tendant à déterminer le taux d'audience des médias, deux principales démarches existent. La première, ce sont les enquêtes régulièrement menées par des Instituts de sondage, notamment le plus connu, l'institut BDA, tous les 6 mois. Ces enquêtes déterminent la part de marché occupée par deux catégories de médias : la presse écrite et la radio qui constituent les types de médias majoritaires au Sénégal. La deuxième démarche est la résultante d'une commande de la part d'une entreprise de presse sur sa notoriété, son lectorat ou des questions d'actualité. Les sondages politiques sont, quant à eux, plus complexes. En effet, de leur pratique à leur usage, se dressent des contraintes juridique, technique et administrative quasi-insurmontables.16(*) En dehors des sondages classiques, il existe aussi d'autres « sondages » qui se font essentiellement à travers les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication, notamment Internet. ü Les leaders d`opinion Les leaders d`opinion sont constitués par les intellectuels, les responsables d'organisations associatives, les religieux etc.
ü Les médias Les médias constituent un maillon stratégique dans le processus de constitution de l'opinion publique. Nous nous intéresserons ici principalement aux médias dits de « masse » avec une ouverture vers les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication. Au moment de la Déclaration de politique générale, on notait l'existence d'une floraison d'organes d'information répartis entre la presse écrite, la radio, la télévision et les ressources du Net. La presse écrite est caractérisée par son instabilité liée à des difficultés financière, juridique, éthique, et technique. Toutes choses qui justifient cette « misère » (Kassé 2002) qu'elle vivrait. Cependant, en dépit de ces difficultés, nous pouvions recenser, en 2003, pas moins d'une vingtaine d'organes de presse écrite, tant privés que publics, paraissant régulièrement, dont les trois quart sont constitués par des quotidiens « nationaux » et le reste par des hebdomadaires. Comme pour la presse écrite, la radio est caractérisée par sa diversité, avec une co-existence entre chaînes privées et publiques. Globalement, en dehors de cette distinction privé/public, l'univers de la radio est traversé par trois grandes catégories : les radios d'information générale à vocation plus ou moins nationale, les radios thématiques, et les radios de proximité ou radios communautaires. La télévision, quant à elle, était caractérisée, au niveau national, par une situation de monopole exercée par la RTS. Toutefois, cette situation est minorée par un accès à des chaînes de télévision étrangères. ü Les citoyens Les citoyens sont au centre du concept et des enjeux liés à l'opinion publique. Paradoxalement, ils sont ceux qui accèdent le moins aux moyens d'expression et d'influence dans le domaine de l'espace public. En dehors des élections, qui sont des modes d'expression indirecte, les citoyens s'exprimaient principalement dans l'espace public sénégalais à travers divers mode de manifestation, de protestation ou de soutien liés, le plus souvent, à des événements comme celui qui fait l'objet de cette présente étude, à savoir la Déclaration de politique générale. Mais avec les mutations démocratiques et médiatiques intervenues, de nouveaux canaux d'expression et de participation à l'espace public voient le jour. Sur le plan législatif, la nouvelle Constitution garantit le droit d'expression élargi à la liberté de marche et de manifestation.17(*) Sur le plan médiatique, trois éléments nouveaux accroissent les possibilités d'expression des citoyens : le développement et la diversification des moyens d`information, l'aménagement, dans les médias existant, d'émissions, de programmes ou de rubriques réservés aux citoyens, et le développement des applications liées aux NTIC, notamment les sites d'information sur Internet. * 7 Au moment de l'indépendance, le Sénégal était dirigé par un parti unique, l'Union Progressiste Sénégalais (UPS). A partir de 1974, une ouverture démocratique est notée, avec l'autorisation de quatre partis politiques sur des bases idéologiques (le communisme, le libéralisme, les conservateurs et les socialistes. On parlait alors de multipartisme limité. En 1983, le Président Abdou Diouf est à l'origine du multipartisme intégral qui permettait la libre création de partis politiques sans limitation. * 8 Le mot n'est pas trop fort dans la mesure où ce sont des partis qui n'existent que de manière purement administrative. * 9 Si nous prenons exemple sur la CAP 21, structure regroupant une quarantaine de partis autour du parti majoritaire et dont moins de 10 peuvent se prévaloir d'activités spécifiques. * 10 Ce sont le Parti Socialiste, le Parti Démocratique Sénégalais, l'Alliance des Forces de Progrès, l'Union pour le Renouveau Démocratique, And Jeff Parti Africain pour la Démocratie et le Socialisme, la Ligue Démocratique / Mouvement pour le Travail, le Rassemblement National pour la Démocratie, l'Alliance Jëf-Jël, la Convention des Démocrate et des Patriotes, le Parti de l'Indépendance et du travail, le Rassemblement National Démocratique. * 11 Sopi signifie changement en wolof. C'est le slogan, le cri de ralliement du Parti démocratique sénégalais alors dans l'opposition dans sa volonté de changer le pouvoir socialiste alors en place et de transformer le vécu des sénégalais. Ce nom sera donné, à la fin des années 80, à l'organe de presse du PDS. De même, la coalition politique qui est partie unie aux législatives de 2001 derrière le PDS porte ce nom. * 12 Le monopole de l'Etat sur les médias audiovisuels, d'une part, et le traitement inéquitable de l'information politique par la Télévision constitue l'une des limites du système démocratique sénégalais. Cette situation est régulièrement dénoncée par le Haut Conseil de l'Audiovisuel. * 13 C'est le cas des quotidiens Walfadjri, Le Soleil, Le Quotidien et l'hebdomadaire Le Devoir. * 14 Au niveau des radios, les émissions interactives « la question du jour » dans Sud Fm, Walf Fm et RFM. * 15 Plusieurs sites Internet disposent, à côté des rubriques d'information, de forum de discussions consacrées entre autres, à l'actualité, à la politique etc. * 16 En 1986, le journal « Liberté » diffusa un sondage qui plaçait l'opposant Abdoulaye Wade à la tête des intentions de vote. La réaction du pouvoir en place fut de rendre draconiennes les conditions de réalisation et de diffusion des sondages politiques. En effet, la loi n° 86-16 votée le 14 avril 1986 est à l'origine de la commission nationale des sondages dont la mission est de « donner des agréments aux organismes et aux personnes » souhaitant réaliser des sondages destinés à être publiés. Elle vérifie en outre de l'existence de « moyens financiers et techniques indispensables à réaliser des sondages d'opinion. Enfin, c'est elle qui délivre l'autorisation de publication ou de diffusion des résultats, « après contrôle des conditions de leur réalisation ». Ainsi, même si les sondages politiques ne sont pas interdits en soi, il n'en demeure pas moins que les conditions de réalisation ne sont pas pour les favoriser. Toutefois, c'est moins la réalisation de sondages que leur diffusion qui est visée. En effet, la loi dispose que « la publication ou la diffusion des sondages ayant un lien commun direct ou indirect avec un référendum ou une élection organisée par le code électoral est interdite à compter de la date de publication au Journal officiel du décret portant convocation du corps électoral et jusqu'à la proclamation des résultats du scrutin». * 17 Précisément en son article 8. |
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