La protection en droit international de l'environnement des lacs transfrontieres par ses etats riverains: cas du lac Tanganyikapar Mungeleza MORISHO Mwimba Université de Limoges - Master 2 2014 |
CHAPITRE DEUXIEME : LES MECANISMES SPECIFIQUES DE REGLEMENT DES DIFFERENDSENTRE ETATS RIVERAINS DU LAC TANGANYIKA 72 8 INTRODUCTION GENERALE L'environnement ne connait pas de frontières, les éléments qui le composent se déploient, prospèrent ou se détruisent à travers des échanges qui dépassent le cadre territorial de Etats et ont lieu d'ailleurs entre terres émergées et habitées et autres espaces (marin et aérien)1. C'est ainsi qu'au cours des dernières décennies, le public informé par les avertissements des scientifiques, a des plus en plus pris consciences des menaces pesant sur l'environnement, ce qui l'a poussé à exiger que le droit protège le cadre naturel dont dépend le bien- être de l'humanité. Sous la pression croissante de l'opinion publique nationale et internationale, les gouvernements ont commencés à s'inquiéter de l'état général de l'environnement au cours des années soixante et ont introduit une législation destinée à combattre la pollution des eaux intérieures, des océans et de l'air, et à protéger certaines villes et certaines régions. Simultanément, ils ont mis sur pied des organismes environnementaux spéciaux pour préserver plus efficacement la qualité de vie de leurs citoyens2. Le DIE (Droit International de l'Environnement) reconnait la souveraineté aux Etats d'exploiter leurs ressources naturelles tout en prenant en considération les enjeux environnementaux. L'environnement étant d'intérêt général, le principe de non immixtion dans les affaires intérieures des Etats est sans effet en DIE car l'environnement ne connait pas des frontières. La limitation de cette souveraineté des Etats en DIE, a pour but de lutter contre les pollutions transfrontières qui peuvent être soit atmosphériques ou maritimes. S'agissant des cours d'eaux ; lacs ; mers ou océans, il convient de noter que plus de la moitié de la population mondiale dépend au quotidien de ressources en eau partagée par plusieurs pays, qu'il s'agisse d'eau superficielle des fleuves et des lacs ou d'eau souterraine contenue dans des aquifères étendus sur plusieurs pays. Alors que la demande pour ce bien précieux continue à s'accroitre, le besoin de coopération entre les pays pour gérer au mieux cette ressource devient un impératif de plus en plus fort. Le partage de cette ressource et des bénéfices qu'elle procure, en respectant les différents besoins sociaux, économiques et 1 Olivier MAZADOUX, Droit international public et droit international de l'environnement, mémoire, Université de Limoges, faculté de droit et des sciences économiques, CRIDEAU-UMR 6062-CNRS/NRA, p.3 2 Qu'est ce que le droit de l'environnement, article tiré sur www.ursq/fr/MG/pdf/civiles-law-chap-2-3,p.1 consulté le 14 janvier 2014. 9 environnementaux et en tenant compte du contexte d'incertitude et d'instabilité financière grandissante est un des plus grands défis auquel nous devons tous faire face. La croissance démographique, l'expansion de l'urbanisation, développement de l'industrialisation, de l'agriculture, du tourisme, ainsi que les changements climatiques et les évolutions dans les styles de vie, y compris dans l'alimentation, exercent des contraintes croissantes sur les ressources en eau et les écosystèmes, qui obligent à rechercher les moyens de bien gérer cette ressources à toutes les échelles possibles, en particulier dans le cas plus complexe des eaux transfrontalières3. L'approche de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) que bon nombre de pays ont introduit dans leur politique nationale doit aussi être le pivot de la gestion des eaux de bassins transfrontaliers. Le bassin de fleuve, de lac et d'aquifère est en effet l'espace où se manifestent le mieux les interdépendances hydrologiques, sociales, économiques et écologiques et où la nécessité d'intégration en terme de développement et de gestion des ressources en eau et des territoires est la plus porteuse de succès. Etablir une communauté globale dans les eaux transfrontalières et accroitre la relation entre tous les acteurs est une entreprise qui justifie une atténuation particulière et des investissements accrus pour assurer l'eau pour tous. Atteindre une utilisation équitable, raisonnable et durable des eaux partagée et évoluer vers la sécurité de l'eau sont des objectifs qui doivent être pleinement poursuivis4. Selon le professeur Romain YAKETCHOUK, la coopération internationale dans le domaine des voies d'eau correspond à une finalité multiforme et se situe dans un espace géographique dont les contingences économiques, topographiques et politiques, sont essentiellement variables. Comme d'autre part elle postule nécessairement l'abandon de certaines prérogatives de souveraineté étatiques, elle engendre de multiples heurts d'intérêts et soulève de nombreuses difficultés d'application. Cette diversité des situations sociopolitiques et cette dépendance du milieu géographique ne sont pas de nature à faciliter la mise au point de solutions doctrinales et l'élaboration des lignes directives devant prévaloir en la matière, certes on s'accorde généralement à reconnaitre le principe d'interdépendance des intérêts en présence, 3 Christophe BRACHET et Daniel VALENSUELA, Manuel sur la gestion intégrée des ressources en eau dans le bassin des fleuves des lacs et des aquifères transfrontaliers, p.6 disponible sur www.oiseau.fr consulté le 5 mai 2014 4 Idem 10 et on aimerait transformer une communauté d'intérêt en une communauté de droits et obligations5. On en déduit certains postulants juridiques : droit à l'égalité de traitement dans l'usage de la voie d'eau et « l'exclusion de tout privilège d'un riverain quelconque par rapport aux », droit à la navigation, à la répartition proportionnelle des eaux disponibles en matière d'irrigation, droit à la Co-exploitation du potentiel économique, plus particulièrement du potentiel hydroélectrique, droit à une indemnité ou à une contrepartie au cas où les intérêts étatiques ont été lésés par un détournement unilatéral des eaux ou par aménagement préférentiel6. Cependant, la situation géographique des Etats ne permet pas la mise en oeuvre des ces obligations, particulièrement l'obligation relative à la répartition proportionnelle des eaux, car les Etats riverains d'un cours d'eau ne possèdent pas obligatoirement la même étendue des eaux, certains Etats possèdent un espace plus grand que les autres. En effet, des nombreux pays en développement ont de la difficulté à gérer convenablement les déchets provenant des navires, des installations portuaires et des chantiers maritimes parce qu'ils ne disposent pas des infrastructures nécessaires pour les recueillir et le traiter7. Les pays riverains du lac Tanganyika ne sont pas d'exception. C'est dans le cadre de la protection des lacs internationaux que nous allons parler de la protection du lac Tanganyika par ses Etats riverains. Le lac Tanganyika regorge des ressources importantes permettant aux populations des Etats riverains à savoir : la République Démocratique du Congo (RDC), le Burundi, la Zambie et la Tanzanie, de subvenir à leurs besoins économiques et sociaux. Il s'exerce sur le lac Tanganyika deux principales activités : la première c'est la pèche. Notons que la pêche sur le lac Tanganyika est exercée sous plusieurs méthodes, certaines d'entre elles constituent une menace sérieuse à l'écosystème du lac. Il s'agit par exemple des explosifs ; de la pêche électrique ; des stupéfiants ; des poisons chimiques ; la pêche par désoxygénation, 5 Romain YAKEMTCHOUK, le régime international des voies d'eau africaines, p.1 disponible sur www.rbdi.bruylant.be consulté le 5 mai 2014 6 Idem 7 Michel PRIEUR, cours de l'Environnement marin et côtier (livret informatif), Université de Limoges, Faculté de droit et des sciences économiques, inédit, 2013-2014, p.17. 11 etc. Outre la pêche, il y a aussi le transport lacustre. Ce transport est organisé à trois niveaux, d'abord à l'intérieur des Etats, ensuite le transport entre les Etats ou transport interétatiques et enfin le transport de transit. Le lac Tanganyika regorge plusieurs ressources biologiques, cependant le poisson constitue l'espèce la plus convoitée du lac Tanganyika. En effet le lac Tanganyika regorge une diversité d'espèces de poissons, nous avons les communautés pélagiques ; les communautés littorales et sublittorales ; les communautés benthiques ou d'eau profonde ; la communauté bathypélagique ou d'eau de pleine eau profonde et la communauté marécageuse. Cependant l'absence d'un contrôle strict sur les activités qui se déroulent sur le lac, a entrainé ces dernières années la dégradation environnementale de celui-ci. Les principales menaces aux ressources biologiques du lac émanent de l'intensification des activités humaines, principalement la pêche, la navigation, la sédimentation. Le taux accéléré des changements de l'environnement causés par les activités humaines est aujourd'hui beaucoup plus rapide que les capacités d'adaptation de la faune et la capacité d'absorption de l'environnement, la demande croissante en poisson pour la commercialisation vers des pêcheries et la consommation locale. Ces problèmes affectent aussi bien les pêches commerciales dans les eaux pélagiques que les activités plus diversifiées des pêches le long du rivage8. L'autre menace à la quelle fait face le lac Tanganyika, ce sont les érosions. Celles-ci sont dues par l'augmentation de la demande des terres cultivables en vue de la production alimentaire et d'autres activités économiques. Les sédiments érodés qui entrent dans le lac changent les habitats et perturbent la production primaire sur laquelle beaucoup d'organismes dépendent. En outre, cette extension agricole s'est accompagnée d'utilisation croissante de produits agrochimiques tels que les engrais artificiels, les pesticides et les herbicides. L'urbanisation créée un nouveau groupe de menace. Les déchets ménagers et industriels atteignent les cours d'eau et finalement le lac. Ces polluants indésirables se rependent ensuite lentement dans tout le lac par les courants, sous l'effet des vents. Ce qui commence comme un 8 Programme d'action pour la gestion durable du lac Tanganyika, juillet 2000, p.17, disponible sur / wlearn.net/w-projects/398/reports/tanganyika-sap-2000-french.pdf. Consulté le 18 janvier 2014 12 problème affectant une seule zone peut finalement affecter les eaux du lac de tous les pays riverains9. Cependant, les Etats, les Organisations Non Gouvernementales (O.N.G) ne croiseront pas le bras vu le danger qui guette le lac Tanganyika, c'est ainsi que sera adopté par le quatre pays riverains du lac, la Convention sur la gestion durable du lac Tanganyika dit (projet de travail n°4)10. Cette convention a été formulée pour aider les quatre Etats riverains à élaborer un système efficace et durable pour gérer et conserver la diversité biologique du lac Tanganyika dans l'intérêt des générations présentes et futures. Ce projet a été financé par le GEF (Fond pour l'Environnement Mondial ou Global Environnement Facility), par le biais du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement). Elle contient des engagements des Etats riverains à préserver l'environnement du lac Tanganyika, des mesures des préventions pour réduire les impacts préjudiciables aux lacs, mais aussi des principes directeurs qui gouvernent le mode de gestion du lac et des mesures de gestion de la pêche. Au regard de c'est qui précède nous nous poserons la question de savoir : Quels sont les mécanismes mis sur pied par le droit international de l'environnement pour contraindre les Etats riverains du lac Tanganyika à le protéger ? Les mécanismes internationaux relatifs à la protection des cours d'eau et lacs internationaux sont contenus dans les conventions internationales relatives à la protection des lacs internationaux. La Convention de New-York du 17 mars 1996 relative à la protection et l'utilisation des cours d'eau et lacs internationaux stipule que « pour mieux protéger les lacs et cours d'eau transfrontières, les Etats devraient plus coopérer, mais aussi renforcer les mesures nécessaires pour prévenir, maitriser et réduire les rejets des substances dangereuses dans l'environnement ». Pour assurer la protection de l'environnement du lac Tanganyika, les Etats riverains se sont dotés la Convention sur la gestion durable du lac Tanganyika. 9Idem. 10 Préambule de la convention sur la gestion durable du lac Tanganyika 13 Pour superviser la mise en oeuvre de cet instrument, les Etats riverains auraient mit en place quatre organes, il s'agit de la Conférence des parties ; de l'Autorité du lac Tanganyika qui est composée du Comité de gestion du lac Tanganyika ; Secrétariat ; et enfin des Comités techniques qui ont pour mission d'assister la Conférence des parties dans le domaine technique et scientifique. S'agissant des mécanismes spécifiques adoptés par les Etats riverains du lac Tanganyika, ceux-ci se seraient engagés à travers la Convention sur la gestion durable du lac Tanganyika à coopérer pour la préservation du lac Tanganyika, d'éduquer et de sensibiliser les populations riveraines sur le bien être de la conservation de l'environnement et de l'écosystème du lac ; de garantir la participation du public au processus de prise de décision ; de garantir l'accès aux ressources biologiques du lac, de l'élaboration des programmes d'action stratégique (P.A.S) ; ils ont l'obligation d'échanger les informations ; de protéger les informations confidentielles et d'élaborer les rapports ; l'obligation de contrôler les navigations sur le lac en vu de prévenir les pollutions provenant des navires ; ils ont l'obligation de notification préalable en cas des activités pouvant causer dommages à l'environnement des autres Etats, et enfin ils doivent apporter leur contribution financière pour la mise en oeuvre de cet instrument destiné à la protection du lac11 Outre les obligations, les Etats riverains du lac Tanganyika seraient soumis aux principes directeurs pour la gestion durable du lac. Il s'agirait du principe de précaution et de prévention ; de la gestion de la pêche ; du principe de conservation de la diversité biologique ; de l'évaluation d'impact environnementale ; du principe de coopération ; du principe d'intégration et de la préservation du milieu marin. Cependant en cas de survenance des dommages à l'environnement du lac causés par les Etats riverains ou les personnes privées, ceux-ci pourraient engager leur responsabilité sur base des articles 30 et 31 de la Convention sur la gestion durable du lac Tanganyika. L'article 29 de la même convention décrit la procédure de règlement des différends entre les Etats riverains et les voies de recours pour toute personne réclamant un dédommagement ou une assistance. 11 Convention sur la gestion durable du lac Tanganyika 14 GENERALITES : NOTIONS DU DROIT DES RESSOURCES EN EAU INTERNATIONALE ET DESCRIPTION DU LAC TANGANYIKA Section 1. Notions générales du droit des ressources en eau internationale§1. Définition et genèse du concept ressources en eau internationale A. Définition L'expression ressources en eau internationale, peut être considérée comme l'ensemble des cours d'eau, des fleuves, des lacs, ayant un caractère international. Elle peut aussi désignée toute les eaux superficielles et souterraines, qui marquent les frontières entre deux Etats ou plus, les traversent ou sont situées sur ces frontières ; dans le cas des eaux transfrontières qui se jettent à travers leur embouchures entre les points limités de la laisse de basse mer sur les rives12. La convention sur l'utilisation des cours d'eau à des fins autres que la navigation, fait une nuance entre l'expression « cours d'eau » et « cours d'eau international ». A son article 2, elle stipule que, l'expression « cours d'eau » s'entend d'un système d'eau de surface et d'eaux souterraines constituant et aboutissant normalement à un point d'arrivée commun ( al.1), l'expression « cours d'eau international », s'entend d'un cours d'eau, dont les parties se trouvent dans des Etats différents(al.2). Notons que, le mot transfrontalier, international, partagé, sont utilisés pour des hydrosystèmes localisés sur plusieurs pays. Concrètement un hydrosystème transfrontalier traverse au moins une frontière, que celle-ci soit définie par la rivière ou sur terre, tout en procurant des ressources à plusieurs pays13 En effet, le terme « ressource en eau internationale », est l'aboutissement logique des diverses définitions proposées dans la littérature juridique et que les Etats en sont venues à adopter tant dans les traités officiels que dans les usages diplomatiques, à mesure que le problème des eaux continentales internationales ainsi que leurs potentialités dans le domaine 12 Art.1 de la Convention sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux 13 Bassins transfrontières, p.2, disponible sur www.worldwatercouncil.org 15 technique et la multiplicité des utilisations auxquelles elles se prêtent, étaient mieux connues. Cette prise de conscience et le perfectionnement progressif des définitions à la lumière de critères essentiellement fonctionnels, expliquent l'élargissement graduel de la portée territoriale des règles incorporées dans les traités14. B. Genèse du concept eau internationale La Commission du Droit Internationale (CDI), a ressenti dès le début de ses travaux, le besoin de trouver une terminologie appropriée pour limiter l'application des règles juridiques à la gestion des eaux internationales. Devant la multiplication des expressions utilisées dans divers accords, conférences internationales ou instances scientifiques, et surtout après la discussion de l'étude présentée par le rapporteur spécial SCHWEBEL, concernant les caractéristiques essentielles de l'eau mentionnées, dans le premier chapitre de son premier rapport sur ce sujet lors de la 31ème session de la commission en 1979, la commission a finalement adoptée l'appellation « cours d'eau internationale ». Ce n'est qu'à l'occasion de la réunion de la 6ème commission juridique de l'Assemblée Générale de l'ONU (AGONU), que les discussions de la CDI ont tournée explicitement autour de la définition de l'expression « cours d'eau ». Certains participants ont défendu le maintient des définitions anciennes et traditionnelles, c'est-à-dire relatives à la doctrine traditionnelles, comme celles mentionnées dans l'acte final du congrès de Viennes en 1815 à propos des fleuves internationaux et qui concernent les divers objectifs de la navigation. D'autres participants ont déclinés la nécessité de définir l'expression « cours d'eau », dès le début des travaux de la commission. Ils ont, en contrepartie, insisté sur l'obligation de s'attacher, en premier lieu, à l'élaboration des principes caractérisés par une application générale du point de vue juridique destinés aux utilisations de ces cours d'eau. Ce dernier point de vue ayant prévalu, la CDI a alors démarrée ses travaux par l'élaboration de règles générales avant d'étudier la question de la définition15. Plutard, lors de la 32ème session en 1980, l'AGONU a éprouvée le besoin de donner temporairement un sens à l'expression « cours d'eau », bien que le sujet des cours d'eau 14Dante. A. Carponera, Régime juridique des ressources en eau internationale, Rome, 1981, p.4, disponible sur www.fao.org 15 ADEL Kinder, Le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, étude à propos des cours d'eau internationaux dans le monde arabe, Thèse, Université Strasbourg III-Robert SCHUMAN, p.70, disponible sur www. Scd-theses.u-strasbourg.fr 16 Idem, p.63 16 internationaux n'ait pas été le seul à l'ordre du jour. La CDI, après avoir voté les six premiers articles lors de la 32ème session et les avoir prévus au programme de la 37 ème session a décidée de fournir une ébauche de la définition dans une note descriptive. Une nouvelle étape vers la définition du « cours d'eau » commence. Le mot « système » est introduit dans la note et désormais celle de « bassin de charnage internationaux ». Pour faire en sorte que cette expression soit à la source des règles ou des principes juridiques et éviter qu'elle ne soit critiquée, la note descriptive la définie comme suit : « un système de cours d'eau est formé d'éléments hydraulique tels que les fleuves et rivières, les lacs, les canaux, les glaciers et les eaux souterraines constituant du fait de leur relation physique un ensemble unitaire, toute utilisation qui a un effet sur les eaux d'une autre partie du système peut donc avoir un effet sur les eaux d'une autre partie ». Il convient de noter que malgré tout ces efforts, le terme « système » et sa définition ont déroulées au sein de réunions de la 6ème commission juridique de l'AGONU en 1984. Elles ont essentiellement mis l'accent sur la portée d'une définition qui risquait de s'éloigner de l'objectif premier, à savoir mettre en place des principes généraux adaptables à chaque cours d'eau international16. En 1984, le rapporteur EVENSEN a pris l'initiative de remédier à ces critiques en supprimant le terme « système » et en reprenant l'ancienne appellation : « cours d'eau ». Dans sa nouvelle définition, EVENSEN exclut les éléments hydrauliques comme les fleuves, les lacs et les rivières, des éléments qui forment grâce à leurs aspects et relation naturelles, un ensemble complémentaire, puisque, selon lui, ce genre d'emploi dans les textes d'articles pourrait encore ouvrir la voie à des nombreuses polémiques. La solution proposée par ce rapporteur est, en fait, de préciser à chaque fois dans le texte de loi, l'élément aquatique dont il est question étant donné que la notion de système, même si elle est utilisée par les Etats et les spécificités de ce domaine, est trop générale. Cependant cette solution est assez souple dans la mesure où elle laisse à chaque Etat unique d'un cours d'eau international, le soin d'indiquer quels sont les éléments aquatiques susceptibles d'être pris en compte par les règles juridiques, la CDI et l'AGONU ont ainsi acceptée cette proposition, et l'ont mise en application dans l'article 2/A de la Convention sur l'utilisation des cours d'eau à des fins autres que la navigation dont voici le texte « l'expression cours d'eau s'entend d'un système d'eaux de surface et d'eaux souterraines constituant du fait de 17 leurs relations physiques un ensemble unitaire et aboutissant normalement à un point d'arrivé commun ». Cette définition ne sera pas acceptée à l'unanimité. Cependant, certains pays s'y étaient opposés au motif que l'expression « cours d'eau » manque de précision. Cependant le rapporteur de la commission ROSENSTOCK répond que réviser l'appellation n'apporte rien à la question et que la solution est de choisir un terme souple aux situations particulières de chaque cours d'eau. Il indique également que l'usage d'une autre expression comme « les eaux transfrontières » dans le cadre de l'utilisation de la Convention sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux n'apporterait aucun élément nouveau au concept de « cours d'eau internationaux », car il n'existe aucune différence de fond entre les expressions employées à l'article 1er et l'expression « eaux transfrontières » telle qu'elle est utilisée dans ladite convention17. §2. Définition, spécificité, genèse, et évolution du concept du droit de cours d'eau international
Ce droit est une des récentes branches du droit international ; des cours d'eau nationaux qui se trouvent entièrement à l'intérieur du territoire d'un seul Etat, sont exclus de ce droit qui ne s'applique qu'aux cours d'eau à caractère international. Les regels de ce droit, y compris celles énoncées dans la Convention de 1997, forment, selon l'article 38 du statut de la Cour International de Justice(CIJ), une source parmi les sources du droit international public, concernant les utilisations des cours d'eau internationaux19. 17 Idem, p.64 18 Idem, p.36 19 Ibidem 18
Les règles du droit relatif aux cours d'eau internationaux ont pour objectif d'organiser les utilisations à des fins économiques, sociales, et de développement. Ces règles forment le cadre juridique de ces différentes utilisations. Du point de vue économique et social, les cours d'eau internationaux représentent un ensemble d'intérêts économiques communs à plusieurs pays, ce qu'a confirmé la Cour Permanente de Justice Internationale (CPJI) dans l'arrêt concernant la commission internationale du fleuve de l'Oder22. 20 Ibidem 21 Idem, p.37 22 Idem 23 Ibidem, p.4 19 C. Genèse du concept droit des cours d'eau internationaux Depuis son apparition en Europe et en Amérique du nord au début du XIXème siècle, le droit des cours d'eau internationaux a progressivement évolué. En effet, on peut constater l'existence de trois phases différentes directement liées aux situations politiques, économiques et sociales dont l'influence se manifeste par les recours à une nouvelle terminologie juridique qui permet de délimiter le champ d'application de cette branche du droit international. Si l'utilisation de cette nouvelle terminologie par les auteurs a varié selon les circonstances historiques, philosophiques et sociopolitiques, elle s'attache, néanmoins, à vouloir déterminer et spécifier son domaine d'application aux utilisations des cours d'eau internationaux afin de mieux les réguler. Il faut noter que la question du droit des cours internationaux apparait pour la première fois en Europe lors de la première tentative de réglementation de l'usage unique des fleuves considérés comme des cours d'eau internationaux pour « la navigation ». Devant l'intérêt économique et politique des fleuves en tant que frontières internationales, il sera fait recours à la nouvelle terminologie de « droit fluvial international », progressivement appliquée à tous les cours d'eau à caractère international23. L'origine historique de la doctrine traditionnelle concernant le droit des cours d'eau internationaux remonte à la période précédent l'Acte final de Vienne en 1815. Cet Acte qui touche à la libre navigation s'est inspiré du décret français prononcé le 16 novembre 1972, par le conseil exécutif provisoire de l'Association Nationale Française (ANF). Avant cette date et depuis la doctrine antique romaine, les cours d'eau internationaux, les fleuves en particulier, étaient considérés comme un bien commun. En partant de ce principe, la navigation était donc libre à tous et le contrôle de l'usage des cours d'eau s'effectuait par l'Etat chargé d'entretenir ces cours et qui pouvait également trancher en cas de litiges liés à leur utilisation. Alors que cette situation a perdurée en Andalousie musulmane, surtout grâce à la mise en place des tribunaux compétents pour juger les litiges liés à l'utilisation des cours d'eau en Europe, les choses ont changées. Avec l'apparition du système féodal, chaque cours d'eau traversant une parcelle a été considérée comme une propriété privée que seuls les descendants avaient le droit d'utiliser. Par conséquent, les autres personnes voulant en profiter avaient le devoir de payer des taxes calculées selon des accords spéciaux. Ces nouvelles mesures ont radicalement bouleversées la 24 Idem, p.9 20 réglementation de la navigation. En effet, les idées du système féodal ont régi de nombreux accords signés entre les différentes parties féodales de l'époque ; on citera, par exemple, l'article 14 du traité de Munster du 30 janvier 1948, qui a donné le droit à la Hollande de l'Escaut coulant de la France vers l'actuelle Belgique avant de terminer en ses terres. Notons que, l'Acte final de Vienne a confirmé à son article 109, le principe de la libre navigation sur les fleuves européens, comme par exemple le Rhin. Cependant même si l'Acte final de Vienne a tenté de décrire les règles des droits des cours d'eau internationaux dans le cadre de la navigation, ces règles demeurent floues. Devant les difficultés juridiques caractérisées par le flou et l'incertitude ayant accompagné la rédaction des règles et dispositions citées dans l'Acte final de Vienne, et devant l'échec dans la mise en place d'une coexistence pacifique suite aux différentes guerres qu'a connue l'Europe, des nouvelles réglementations régionales voient le jour en l'absence d'un organisme juridique international spécialisé en interprétation des conflits internationaux sur les cours d'eau24. En effet, les événements qui ont marqué cette période ont précipité la signature d'autres accords explicatifs afin de combler ce vide, pour la preuve, la mise en place de commissions fluviales spécialisées, chargées de l'application des règles juridiques en relation avec quelques fleuves européens. C'est surtout après la première guerre mondiale que la situation des eaux interétatiques se complique. Ainsi, les Etats décident lors du congrès de Paris en 1919, à la signature du traité de Versailles de créer une organisation politique générale appelée « Société Des Nations ou SDN ». Selon un accord international dit `pacte de société'. Entre autre sujet, les cours d'eau internationaux ont fait l'objet de ces accords car ils étaient considérés comme une des causes des tensions qui existaient entre les différents Etats. La SDN a donc traité la question des cours d'eau internationaux, en l'occurrence les fleuves internationaux, comme une urgence puisqu'ils étaient une menace pour la paix et la sécurité internationale. En somme, le droit des cours d'eau internationaux a connu, après la première guerre mondiale, un certain équilibre grâce aux travaux de la SDN qui a contribuée à entériner des règles juridiques internationales et grâce à la multiplication des efforts pour les faire évoluer. Cette organisation a également été à l'origine de la création d'un organisme judicaire international permanent destiné à trancher les conflits 21 internationaux, et plus particulièrement la dimension juridique, à savoir « la Cour Permanente de Justice Internationale (CPJI)»25. D. Evolution du concept du droit des cours d'eau internationaux L'importance des eaux internationales, entant que voies de communication et pour le commerce ou pour l'utilisation domestique et agricole qu'elles alimentent, est admise depuis les temps immémoriaux. Dans l'antiquité, nombre de civilisations se sont précisément développés le long de grands fleuves, comme le Tigre et l'Euphrate, le Nil, l'Indus, le Orange. Dès cette époque, les hommes avaient conscience qu'il était indispensable de disposer d'un ensemble des règles régissant l'utilisation conjoints des eaux et entérinant deux principes qui devraient servir de base à cette réglementation. Il s'agit du principe de la souveraineté de l'Etat sur le territoire duquel se trouvaient les ressources en eau présentant de l'intérêt pour d'autres Etats, et le principe de la coopération et de la solidarité internationale. L'évolution historique du droit international des eaux a suivi des près celle des besoins politiques, économiques, techniques et sociaux, de sorte que le processus de développement est tantôt plus, tantôt moins marqué, selon l'utilisation en question. Une place spéciale est faite traditionnellement à la navigation, expressément mentionnée pour la première fois dans le droit romain. La liberté de navigation se fondait sur la notion selon la quelle, « l'aqua profluent » était une « res communis omnium », l'Etat percevait certaines redevances pour financer les travaux d'entretient des cours d'eaux et leur surveillance. Le régime de liberté a subi une éclipse pendant tout le moyen-âge, époque où les transports maritimes et fluviaux ont été soumis à toute sortes de mesures restrictives et fiscales qui en ont effectivement entravé leur développement, au point même que le blocage de certaines voies d'eau était prévu dans des traités. C'est fut le cas pour l'Escaut au terme du traité de Munster du 30 janvier 1648. Depuis la révolution française et sous l'influence des idées de liberté qu'elle avait proclamées, la notion de liberté de navigation a regagnée du terrain. Dans ce domaine, l'appui est venu de certaines grandes puissances de l'époque, soucieuse de mettre à profit les possibilités d'expansion commerciales et coloniales, ouverte par cette liberté, on en est arrivé ainsi, à proclamer le principe de liberté de navigation tout d'abord au bénéfice des Etats riverains26. 25 Idem, p.11 26 DANTE .A. Carponera, Op.cit, p.6. 22 Il est à noté que, la première et seule tentative faite en vue de codifier internationalement la liberté de navigation et la création de commissions mixtes pour l'administration des voies d'eau internationales a été la conférence convoquée en 1921 à Barcelone par la SDN. Cette conférence, a abouti à l'adoption d'une convention et d'un statut sur le régime des voies navigables et d'une déclaration des principes invitant les Etats à octroyer la liberté de navigation même sur les voies d'eau qui, géographiquement, ont un caractère national. La tendance actuelle, en ce qui concerne la navigation, s'oriente vers une affirmation tant du principe de libre navigation que de l'obligation de coopération au profit exclusif des Etats co-riverains d'un seul et même bassin fluvial international. La même tendance se dégage aussi en ce qui concerne d'autres formes d'utilisation des ressources en eau internationale. Rare sont aujourd'hui les tenant de la thèse de la souveraineté absolue d'un Etat sur son propre territoire, qui lui permet d'appliquer aux ressources en eau sillonnant ce territoire, les mesures de son choix pour défendre ses intérêts propres sans tenir compte des effets néfastes qu'elles sont susceptibles d'avoir au- delà de ses frontières27. |
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