Chapitre IV : Place et état des lieux du secteur
rizicole au Sénégal
I. Importance de la filière rizicole au
Sénégal
La filière rizicole occupe une place de choix dans
l'économie sénégalaise et la consommation alimentaire des
ménages urbains et ruraux. Depuis l'indépendance en 1960, la
consommation de riz au Sénégal a augmenté de près
de 1000% en quatre décennies et se situe actuellement à environ
à près d'un million de Tonnes. L'accroissement
démographique et l'urbanisation croissante avec le changement de
comportements alimentaires ont augmenté les besoins de consommation en
riz qui atteignent aujourd'hui 74 kg par personne par année et supplante
désormais les céréales sèches qui constituaient la
base de l'alimentation en milieu rural.
Le riz occupe une place de choix dans les habitudes
alimentaires du pays à tel point que l'alimentation des ménages
sénégalais est aujourd'hui dominée incontestablement par
ce produit : 80 kg contre 90 kg pour toutes les autres céréales
confondues à savoir le mil, le sorgho, le maïs, le blé et le
fonio. Le Sénégal est loin de couvrir le tiers des besoins en riz
qui sont estimés à 900.000 tonnes par an. Pour obtenir une tonne
de riz blanc, il faut une production de 1,48 tonne de riz paddy. La demande du
marché national ne cesse d'augmenter. Ainsi, à l'horizon 2017,
les besoins de consommations des ménages sont estimés à
1,6 millions de tonnes soit environ 1,08 millions de tonnes de riz
blancs14.
II. La production rizicole nationale 1. Productions en
quantités
La production nationale de riz s'est nettement
améliorée durant ces dernières années, passant de
190500 tonnes de paddy en 2006 à près de 630.000 tonnes en 2014,
soit 380.000 tonnes de riz blanc environ. Beaucoup de facteurs dont
l'augmentation des superficies emblavées, l'intensification des
cultures, l'amélioration de la productivité sont à
l'origine de cette progression.
14, DIOUF W. (Février 2015), Coordonnateur
Programme national d'autosuffisance en riz (PNAR) & KANTE S. (Mars 2015),
Directeur de la SAED, Ministère de l'Agriculture et de l'Equipement
Rural
30
Tableau 1 : Production, Superficies, Rendements, Demande
intérieure de 2004 à 2015
Années
|
Superficies (ha)
|
Rendements (Kg/ha)
|
Productions Paddy (T)
|
Equivalent riz blanc (T)
|
Demande (T)
|
Taux de couverture
|
2004/05
|
81 486
|
2 476
|
201 744
|
133 151
|
782 219
|
17%
|
2005/06
|
97 779
|
2 854
|
279 080
|
184 193
|
832 974
|
22%
|
2006/07
|
85 037
|
2 240
|
190 493
|
125 725
|
896 123
|
14%
|
2007/08
|
80 312
|
2 408
|
193 379
|
127 630
|
921 538
|
14%
|
2008/09
|
125 329
|
3 257
|
408 219
|
269 425
|
970 972
|
28%
|
2009/10
|
139 388
|
3 602
|
502 104
|
331 398
|
1 010 215
|
33%
|
2010/11
|
147 208
|
4 103
|
604 043
|
398 668
|
1 063 302
|
37%
|
2011/12
|
109 177
|
3 717
|
405 824
|
267 844
|
1 105 543
|
24%
|
2012/13
|
117 729
|
3 989
|
469 649
|
309 968
|
1 161 839
|
27%
|
2013/14
|
108
|
4 018
|
436 153
|
287 861
|
1 215 784
|
24%
|
2014/15
|
|
|
630 000
|
|
|
|
En 2013, elle avait atteint 436.153 tonnes de paddy contre une
production annuelle moyenne de 483.555 tonnes sur une période de cinq
dernières années, de 2009 à 2013. En outre, la production
locale, obtenue essentiellement à partir du riz irrigué dans le
nord et le sud du pays, s'est accrue de 28 % en 2014 et est en constante
hausse15.
700 000 600 000 500 000 400 000 300 000 200 000 100
000
0
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
2004/05
|
2005/06
|
2006/07
|
2007/08
|
2008/09
|
2009/10
|
2010/11
|
2011/12
|
2012/13
|
2013/14
|
2014/15
|
Figure 2 : Production en tonnes de riz au
Sénégal depuis 2004 16
15 DIOUF W. (Février 2015), Coordonnateur
Programme National d'Autosuffisance en Riz (PNAR), Ministère de
l'Agriculture et de l'Equipement Rural.
16 Source : DAPSA 2014 et calculs de l'auteur
31
2. Zones et systèmes de production
Au Sénégal, la caractéristique principale
de la riziculture est qu'elle repose essentiellement sur de petites
exploitations familiales avec une superficie moyenne par exploitant entre 1 et
2 hectares. Elle est pratiquée dans les zones du Nord et Sud. En
fonction des zones, les systèmes de production diffèrent et sont
largement dominés par de petits producteurs de type familial. Toutes
fois, l'essentiel de la production rizicole est réalisée dans la
Vallée du Fleuve Sénégal.
Figure 3 : Carte de la Vallée du Fleuve
Sénégal
Ainsi, on distingue deux systèmes de production majeurs
: la riziculture irriguée et la riziculture pluviale.
La riziculture irriguée : elle est
pratiquée dans la vallée du fleuve Sénégal
où d'importants investissements ont été
réalisés depuis quatre décennies, et dans le bassin de
l'Anambé. Les surfaces mises en valeur tournent autour de 95.000
hectares sur des potentialités de 240.000 hectares et dans le Bassin de
l'Anambé avec 4.180 ha aménagés sur un potentiel de 12.000
ha. Les superficies aménagées représentent moins de 3 % du
potentiel irrigable. Dans ce potentiel aménagé seulement 55 000
ha dans la vallée et 4 000 ha dans l'Anambé sont exploités
en moyenne annuellement. Les rendements moyens sont les plus
élevés du pays avec 5,5 t dans la vallée et 4,5 t/ha dans
l'Anambé17.
17 PNAR, 2011.
32
L'essentiel de la production est assuré par les
producteurs du nord, dans la vallée du fleuve Sénégal.
Ainsi, 71% de la production de riz paddy de la vallée est assuré
par le Delta du fleuve où l'essentiel de la production est
destinée à la commercialisation, qui à lui seul
représente 62% des terres de culture irriguée. Dans la moyenne et
haute vallée, la production est surtout destinée à
l'autoconsommation ; pareillement dans la vallée de l'Anambé
où elle demeure marginale.
La riziculture pluviale : dépendante
de la pluie, localisée dans bas-fond ou de plateau au Sud, dans une bien
moindre mesure dans la région Centre, et généralement
pratiquée de manière traditionnelle à petite
échelle le long des vallées inondables, elle constitue une
activité d'autosuffisance. Kolda, Sédhiou et Ziguinchor
constituent les trois régions du Sud. Ainsi, Kolda dispose d'un
potentiel de 50000 hectares de terres rizicultivables en pluvial dont 16000 ha
réparties dans différentes vallées ; Sédhiou avec
56.000 ha de terres rizicultivables en culture pluviale dont 36 000 ha dans
différentes vallées, et 20.000 ha sur le plateau. Ziguinchor,
regorge un potentiel rizicole est de 116.000 ha.
3. Organisation, structuration et acteurs de la
filière
La forme d'organisation et le degré de structuration
de la filière riz dépendent de la zone agro-écologique et
du système de production. Néanmoins, on peut distinguer sept
activités qui peuvent être considérées comme les
maillons de la chaîne de valeur riz au Sénégal : la
recherche agricole et agroalimentaire, les fournisseurs (intrants,
matériels agricoles et services), le financement, la production de
paddy, la collecte du paddy, la transformation et enfin la commercialisation du
riz blanc. Ainsi, on distingue les acteurs directs constitués par les
producteurs, les commerçants, les Transformateurs et les acteurs
indirects. Ces derniers regroupent les structures de recherche et
vulgarisation, les décideurs politiques, les institutions de
financement, les fournisseurs d'intrants, les prestataires de services, les
consommateurs.
4. Circuits de commercialisation du riz
Au Sénégal, le commerce du riz local ne concerne
que le riz issu de la production en système irrigué, autrement
dit produit dans la vallée et du bassin de l'Anambe. La production en
zone pluviale est principalement destinée à
l'autoconsommation.
PRODUCTEURS
COMMERCANTS « BANA-BANA »
|
|
Riz blanc Riz étuvé Riz Paddy
|
|
|
COMMERCANTS « BANA-BANA
»
ORGANISME / RIZIERS
DETAILLANTS
CONSOMMATEURS
GROSSISTES
& DEMI-GROSSISTES
33
Figure 4 : Schéma du circuit de
commercialisation du riz local
III. Evolution de la demande en riz et dépendance
aux importations 1. Evolution de la demande en riz
Le Sénégal étant un des plus gros
consommateurs de riz en Afrique de l'Ouest, le pays reste dépendant des
importations, pour satisfaire une demande en constante augmentation de cette
denrée. La production nationale n'en couvre que 30%. Si la consommation
apparente en riz au Sénégal était de 400 000 tonnes en
1995, elle est passée à 800 000 tonnes en 2007, avec 106
milliards de F CFA pour les importations nettes18. Ces
dernières participent pour 16% au déficit
18 Dr. SARR Fallou, CTA (2013) : Analyse du
système de connaissances Post - Récolte au Sénégal:
Cas Du Riz
34
de la balance commerciale et ce phénomène a
tendance à s'amplifier dans le temps car la production nationale
progresse moins vite que la consommation qu'elle ne couvrait qu'à
hauteur de 20% seulement.
1 400 000 1 200 000 1 000 000 800 000 600 000 400 000 200
000
0
|
|
|
40% 35% 30% 25% 20% 15% 10% 5% 0%
|
|
|
|
2004/05 2005/06 2006/07 2007/08
Production Paddy (T)
Demande (T)
Taux de couverture
2008/09 2009/10 2010/11 2011/12 2012/13
2013/14
Figure 5 : Evolution de la production par rapport
à la demande, de 2004 à 201419
2. Dépendance aux importations
De 1961 à 2012, les importations en riz ont
grimpé de plus de 700%. D'où cette dépendance de
l'extérieur de plus en plus accrue une denrée aussi
stratégique, ce qui expose le Sénégal à une
"précarité de l'offre et à la saignée des devises".
Les importations de riz coûtent cher au Sénégal, se situant
chaque année autour de 124 milliards de FCFA environ plus de 189
millions d'euros soit le cinquième environ du budget national qui est
à l'ordre de 2.800 milliards FCFA, équivalent à plus de
4,2 milliards d'euros, selon des statistiques officielles.
De 130 milliards de francs CFA injectés dans
l'importation de riz en 2005, on est passé à 179 milliards en
2009. Avec une moyenne de 834.484 tonnes par an sur la période 2004
à 2013, les importations de riz se chiffrent en moyenne, à 165
milliards FCFA par an.
19 Direction de l'Analyse, de la
Prévision et des Statistiques Agricoles (2014) et calculs de
l'auteur.
1 200 000 1 000 000 800 000 600 000 400 000 200
000
0
|
|
|
250 000 200 000 150 000 100 000 50 000 0
|
|
|
|
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012
2013
Volume importations (tonnes) Valeur importations
(millions FCFA)
35
Figure 6 : Importations de riz en quantités
(Tonnes) et en valeurs (FCFA), de 2002 à 2013 20
Ces importations restent toujours maintenues à un
niveau élevé durant cette décennie, malgré les
efforts fournis pour développer de la production locale avec un fort
incident sur la balance commerciale représentant ainsi 7% des
importations totales et 33% des importations de biens
alimentaires21. Cette dépendance alimentaire du
Sénégal vis-à-vis des importations, est donc
structurelle.
La variation des prix internationaux du riz rend le
Sénégal particulièrement vulnérable d'autant plus
que la part du riz dans les consommations progresse d'année en
année. La sécurité alimentaire dépend donc
aujourd'hui d'une relance de la production nationale de céréales
dont le riz est l'élément principal. Pour corriger cette
situation, le gouvernement a mis en place le PNAR, visant à atteindre
l'autosuffisance en riz à l'horizon 2017, à travers la production
de 1,6 million de tonnes de paddy, soit 1,080 million de tonnes de riz
blanc22.
IV. Analyse SWOT de développement du
secteur
L'analyse SWOT du secteur rizicole a permis d'identifier
les atouts dont disposent le secteur que ce soit l'existence
de grandes surfaces de terres exploitables, d'un capital humain et
institutionnel compètent, des acteurs diversifies et
complémentaires, d'un système de crédit agricole,
l'augmentation de la demande en riz locale sur le marché ; les
faiblesses en termes
20 Agence Nationale de la Statistique et de la
Démographie. Note d'Analyse du Commerce Extérieur 2006-2013
21 Agence Nationale de Statistique et de la
Démographie : Note d'Analyse du Commerce Extérieur, 2006-2013
22 DIOUF W. (2015), Coordonnateur Programme National
d'Autosuffisance en Riz (PNAR), Ministère de l'Agriculture et de
l'Equipement Rural
d'encadrement des producteurs, d'appui à la recherche
et de la vulgarisation, du niveau faible d'utilisation d'intrants agricole,
d'équipements et matériels de production jugés le plus
souvent obsolètes, d'investissements, d'absence de politiques
commercialises ; les opportunités qui s'offrent au
secteur en terme de prix incitatif, un environnement international favorable,
une forte demande en riz local, de volonté et de l'abnégation des
partenaires, des initiatives d'appui ; les menaces qui
pèsent notamment sur la commercialisation, l'absence de politique pour
améliorer la qualité du riz local, surtout la concurrence du riz
importe.
? Contexte et environnement international
favorable
? Disponibilité et engagement des
partenaires
? Existence de nombreuses initiatives d'appui
à la filière
? Augmentation de la demande en riz local
? prix incitatif du riz local.
? Enormes potentialités en surfaces de
terres exploitables
? Un capital humain et institutionnel
compètent
? Existence d'un tissu d'acteurs, des
partenaires diversifiés et fortement mobilisés
? Préférence croissante des
consommateurs du riz local
? Existence d'un système de crédit
agricole pour l'irrigue
OPPORTUNITES
FORCES
? Absence de politique
d'amélioration de la qualité des produits notamment
celle du riz local.
? Concurrence du riz importé
? Niveau d'interactions faible entre les
différents acteurs.
? Niveau d'encadrement faible
? Appui insuffisant au secteur de la
recherche et de la vulgarisation
? Vétusté, obsolescence des
matériels et niveau faible des techniques d'utilisation des intrants
? Faiblesse des investissements du secteur
agricole, notamment rizicole
? Absence de stratégies marketing et/ou
de politique commercialisation
? faible capacité de stockage
FAIBLESSES
MENACES
36
37
Chapitre V : Politiques, stratégies de
développement agricole et sécurité
alimentaire
I. Contexte et enjeux
Généralement en Afrique subsaharienne,
l'insécurité alimentaire résulte de la conjonction de
facteurs multiples et cumulatifs. Elle résulte d'un ensemble de
dysfonctionnements stratégiques et de politiques inappropriées
particulièrement au niveau du secteur agricole. Parmi les facteurs
contribuant à l'insécurité alimentaire, les fortes
fluctuations de la production agricole semblent les plus déterminantes,
non-seulement à travers ses effets sur l'offre mais aussi sur les
revenus réels des pauvres ruraux et urbains. En effet, contribuant pour
près de 90%23 à la couverture des besoins
alimentaires, et constituant la principale source du produit intérieur
brut, les performances du secteur agricole déterminent à la fois
la disponibilité et l'accès aux denrées alimentaires pour
la grande majorité de la population des pays subsahariens. Par
conséquent, l'instabilité du secteur agricole se traduit par de
fortes fluctuations des prix des produits alimentaires, des revenus, des
balances de paiement, et des budgets des Etats.
A long terme, l'instabilité du secteur réduit
les investissements et innovations technologiques dans l'agriculture et le
reste de l'économie. Le faible niveau d'investissement et d'innovations
technologiques perpétue la faiblesse de la productivité des
terres et du travail et se traduit par une pauvreté de la majeure partie
de la population. C'est ce contexte de faible productivité et de
pauvreté structurelle qui conduit à la permanence de
l'insécurité alimentaire en Afrique. En effet, le rendement moyen
des céréales en Afrique demeure toujours faible. Il était
stagnait pendant la période de 1991 à 1998 environ à 1,2
tonne par hectare. D'ici 2020, même en supposant avec optimisme que les
rendements nationaux moyens en céréales augmentent jusque 1,8
tonne par hectare, l'Afrique devra importer entre 25% et 32% de ses besoins en
céréales afin de rester au niveau alimentaire
actuel24.
Pour atteindre ce niveau d'approvisionnement alimentaire, des
efforts importants doivent être réalisés pour la
transformation des systèmes de production vers des systèmes plus
productifs. De plus, les contraintes actuelles, sociales, économiques et
politiques, doivent être levées. Des changements de politiques
seront nécessaires non seulement pour obtenir de plus forts
23 DEMBELE NN, (2001) Projet PASIDMA:
Sécurité alimentaire en Afrique Sub-saharienne: Quelle
Stratégie de Réalisation?
24 FAO (2003) : Gestion de la fertilité des
sols pour la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne.
38
rendements mais également pour encourager les
investissements dans des secteurs de l'agriculture, particulièrement au
secteur rizicole sénégalais qui regorgent beaucoup de
potentialités en termes de disponibilité de terres et d'eau du
Fleuve Sénégal sur toute l'année.
Si une bonne combinaison de politiques de stockage,
d'importations, d'aides alimentaires et de filets de protection sociale permet
de stabiliser les disponibilités et les prix intérieurs, et de
faire face à l'insécurité alimentaire transitoire, seule
la croissance de la productivité du secteur agricole et la mobilisation
de ces gains de productivité pour le développement
économique permettra d'atteindre la sécurité alimentaire
structurelle à moyen et long terme.
Ceci implique la stabilisation et la transformation du secteur
agricole par des investissements publics adéquats pour favoriser la
capitalisation agraire, le développement des marchés et des
échanges, la création des ensembles régionaux et leur
ouverture au marché mondial, et la nécessité de
l'ouverture des marchés des pays de l'OCDE aux produits agricoles
africains pour élargir les débouchés et réduire les
fortes fluctuations des prix nationaux. Ce processus de transformation de
l'agriculture doit être soutenu par le développement des
ressources humaines.
|