MEMOIRE DE MASTER 2019-20
Gestion des conflits entre siège et filiale
:
l'intérêt des individus
biculturels
Cassandre THIERRY
Majeure International Business
1115093
Mémoire encadré par : Alexandre BOHAS
RÉSUMÉ
Au sein des multinationales, l'apparition de barrières
culturelles peut engendrer des situations de conflit entre le siège et
ses filiales. Nous nous intéressons dans le présent document
à l'intérêt des individus biculturels dans la
résolution de ces conflits. Les biculturels sont en effet
considérés comme des passeurs de frontière
privilégiés, qui permettent de créer des liens entre
siège et filiale. Cependant, leur rôle varie en fonction de la
structure organisationnelle de l'entreprise. Parmi les individus biculturels
facilitant la médiation intra-organisationnelle, nous citons
également les individus expatriés et impatriés.
Finalement, le biculturel nommé à la tête d'une filiale est
ici évoqué comme un acteur clé dans la gestion des
conflits.
Mots clés : Conflits
intra-organisationnels, biculturels, expatriés, filiale
L'ESSCA n'entend donner ni approbation, ni improbation aux
opinions émises dans ce Mémoire de Master. Ces opinions
doivent être considérées comme propres à leur
auteur.
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l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
2019-20
Attestation
Je soussigné Cassandre THIERRY certifie être
l'auteur exclusif/exclusive de ce Mémoire de Master.
Je certifie que ce mémoire n'a pas déjà ou
ne fait pas l'objet d'une soumission dans le cadre d'un autre diplôme.
J'assure avoir pris connaissance et compris la politique de
l'ESSCA en matière de plagiat. Je certifie que toutes les sources
documentaires sur lesquelles s'appuie ce travail sont portées à
la connaissance du lecteur de manière explicite et conformément
aux règles définies dans le guide du mémoire de Master de
l'ESSCA.
Je certifie que les données sur lesquelles s'appuient
ce mémoire ont été collectées et analysées
en respectant les règles de l'intégrité académique.
Je me tiens à la disposition de l'ESSCA pour produire les données
originales et les fichiers informatiques sur lesquels j'ai effectué
l'analyse.
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Remerciements
Avant toute chose, je tenais à remercier toutes les
personnes qui m'ont aidées dans la réalisation de ce
mémoire.
Je veux tout d'abord remercier mon tuteur Alexandre Bohas, pour
m'avoir guidée dans mes recherches et avoir répondu à mes
multiples interrogations.
Merci également à Philippe Mouricou et Delphine
Lherbier, pour leurs indispensables explications. Et enfin un grand merci
à mon entourage pour son soutien et ses encouragements.
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
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Sommaire
Introduction 1
Revue de littérature 7
I. L'influence du biculturel diffère selon la filiale qui
interagit avec le siège 7
A. Les différentes relations de pouvoir entre le
siège et les filiales 7
B. Les différentes réactions des filiales en cas
de conflit 9
C. Les différentes réactions du siège en
cas de conflit 11
II. L'utilité du biculturel en tant que passeur de
frontière 12
A. Les atouts des biculturels 12
B. Les passeurs de frontière 13
C. La théorie de la ligne de faille 14
D. Le biculturel permet une meilleure communication entre les
deux parties en conflit
15
III. Le cas particulier des expatriés et des
impatriés 16
A. La mobilité internationale permet une meilleure
compréhension entre les parties 16
B. Le développement d'une confiance mutuelle 17
C. Le fort potentiel de négociation des expatriés
et des impatriés 18
D. Les limites des expatriés et des impatriés
19
IV. Le rôle clé du biculturel nommé à
la direction d'une filiale. 20
A. Le directeur de filiale a un fort pouvoir décisionnel
à la fois sur le siège et sur la
filiale 20
B. Être biculturel permet au directeur de filiale de
prendre des décisions complexes 21
C. Le directeur de filiale biculturel favorise la coordination
des équipes 22
D. Le rôle de leader du directeur de filiale 23
Discussions 25
I. Les limites de l'utilisation des individus biculturels dans la
gestion des conflits 25
A. Les facteurs avec lesquels les individus biculturels doivent
composer 25
B. Les solutions alternatives aux individus biculturels 26
C. Les biais potentiels des biculturels 28
D. Questionnements sur l'intérêt des biculturels
29
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II. Voies futures de recherche 29
A. Comment mesurer l'impact de ces conflits ? 29
B. L'étude de la TMS 30
C. La diversité des individus biculturels 31
D. Le recours à des missions internationales plus courtes
et bidirectionnelles 34
E. L'impact de la confiance sur l'influence des biculturels
34
Conclusion 36
Références 39
Annexe 1 41
Annexe 2 42
Annexe 3 43
Liste des figures 44
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1
Introduction
« La culture, ce tout complexe qui comprend la
connaissance, les croyances, l'art, la morale, le droit, les coutumes et les
autres capacités ou habitudes acquises par l'homme en tant que
membre de la société. »
Edward Tylor, 1871
Le développement des multinationales à travers
le monde engendre des relations complexes au sein des entreprises. Schotter et
Beamish (2011) ont fait apparaitre dans leurs recherches que les conflits entre
maison-mère et filiale sont particulièrement fréquents. La
gestion des conflits étant essentielle au maintien de relations
fonctionnelles entre un siège et sa filiale, il nous semble donc
pertinent de nous pencher sur ce sujet.
Alors que certains auteurs ont suggéré que les
différences nationales sont progressivement absorbées par une
culture mondiale unique (Friedman, 2007 ; Tomlinson, 1999), les recherches
récentes tendent plutôt à démontrer l'importance
majeure des cultures et des institutions nationales (Furusawa & Brewster,
2015). Les politiques telles que « America first », le Brexit ou
encore l'arrivée au pouvoir de partis extrémistes au
Brésil et en Italie tendent à démontrer ce repli sur les
cultures nationales. De même, la gestion de l'épidémie
mondiale cette année 2020 vient corroborer ces observations.
L'intérêt de recourir à des individus biculturels pour
servir de ponts entre les différentes cultures répond donc
à une problématique très actuelle.
Si la recherche s'est penchée sur les individus
biculturels depuis de nombreuses années, ceux-ci ont d'avantage
été étudiés sur leur aspect psychologique (Abadir
et al., 2019 ; Huff, Lee & Hong, 2017) plutôt que sur leur
intérêt managérial (Dau, 2016 ; Tadmor et al.,
2012).
On note tout de même que de nombreuses études ont
été faites sur le rôle des expatriés dans les
relations entre maison-mère et filiales (par exemple Beamish et
al., 2010 ; Collings et al., 2010 ; Harzing et al., 2016
; Reiche, 2011 ; Salleh & Nankervis, 2015 ; Schotter & Beamish, 2011).
Mais
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les individus biculturels ne sont pas nécessairement
des expatriés. Ils peuvent simplement avoir vécu de nombreuses
années dans deux pays distincts, ou être les enfants ou les
descendants de personnes ayant déménagé d'un pays à
l'autre (Furusawa & Brewster, 2015).
Les enfants ayant des parents de nationalités
différentes et les personnes ayant longtemps vécu dans deux pays
différents (notamment les expatriés) sont également
considérés comme des individus biculturels.
Dans la littérature, le biculturalisme est
défini comme étant « un phénomène où un
individu s'affilie à deux systèmes culturels et les internalise
»1 (Abadir et al., 2019, p. 15).
Dau (2016) identifie le biculturalisme comme un cas
spécifique de multiculturalisme. Alors que les individus multiculturels
ont internalisé deux cultures ou plus, les biculturels sont des
individus qui ont internalisé exactement deux cultures.
Grosjean (2013) caractérise les biculturels par trois
traits distinctifs :
- L'intégration de l'identité biculturelle : le
biculturel participe régulièrement à la vie de deux
cultures ;
- Le changement de cadre culturel : il sait adapter son
comportement, ses habitudes et son langage à un environnement culturel
donné ;
- L'hybridation : il combine des traits de chacune des deux
cultures. Les attitudes, croyances, valeurs ou comportements du biculturel
peuvent soit provenir de l'une des cultures, soit en être la
synthèse.
Il convient ici de distinguer les notions d'individu
biculturel et d'individu bilingue. En effet un bilingue n'est pas
nécessairement biculturel s'il n'a pas assimilé la culture du
pays dont il apprend la langue. Inversement, tous les biculturels ne sont pas
bilingues. Ils peuvent avoir assimilé les cultures de deux pays parlant
la même langue (par exemple les espagnols et les mexicains parlent
l'espagnol mais ont des cultures distinctes).
L'augmentation du nombre de biculturels est principalement due
aux forts mouvements de migration constatés depuis l'émergence de
la mondialisation (Brannen & Thomas, 2010). Les prévisions estiment
que cette tendance d'accélération du nombre de biculturels va
continuer durant
1 Traduction libre « Biculturalism is a
specific case of the more general construct of multiculturalism, referring to a
phenomenon where an individual affiliates with two cultural systems and
internalizes them. » (Abadir et al., 2019)
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les prochaines décennies. En effet, le Rapport sur les
Migrations Internationales de 2017 estime que d'ici 2050, environ 40 % de la
population de l'Europe, du Canada, des États-Unis et de l'Australie sera
constituée d'immigrants ou d'enfants d'immigrants.
Ambos, Kunisch, Leicht-Deobald et Schulte-Steinberg
décrivent les relations entre le siège et les filiales comme
« des dyades à motifs mixtes dans lesquelles les parties ont des
intérêts à la fois interdépendants et
indépendants »2 (Ambos et al., 2019, p.67).
Les conflits entre filiale et maison-mère sont souvent
des conflits interculturels. Ceux-ci peuvent être dus aux
différences de cultures nationales ou de cultures organisationnelles
(Beddi, 2015 ; Joshi et al., 2002 ; Mense-Petermann, 2006 ; Barmeyer
& Mayrhofer, 2008).
Les études sur les conflits intra-organisationnels ont
généralement tendance à se concentrer sur les
externalités négatives des conflits. Ceux-ci peuvent par exemple
engendrer des implantations moins rentables que prévu, la
non-concrétisation de projets internationaux, l'apparition de
malentendus au quotidien ou encore la difficulté de développer
des innovations (Eisenhardt & Zbaracki, 1992 ; Menon et al.,
1996). Cependant, Pondy (1992) déclare que les conflits sont une
conséquence normale de la gestion. Les organisations devraient donc
internaliser les processus de conflit plutôt que de tenter de les
éliminer. On observe que les conflits peuvent également se
révéler positifs pour l'entreprise (Schotter, 2009 ; Schotter
& Beamish, 2011). Sur le long terme, ils entrainent plus de
créativité et d'adaptabilité, une augmentation des
performances de l'organisation (Ruekert & Walker, 1987) et une plus
équitable répartition des ressources (Coser, 1956).
On peut donc dégager deux types de conflits pouvant
survenir entre une maison-mère et une filiale :
- Les conflits dysfonctionnels, qui sont néfastes pour
l'entreprise et qui concernent en général les conflits
relationnels (Schotter & Beamish, 2011) ;
- Les conflits fonctionnels, qui entrainent des
résultats positifs et qui sont essentiellement dus aux conflits de
tâche.
Toutefois, même si un conflit peut s'avérer
positif, il ne doit jamais être considéré comme
étant une fin en soi. Il ne s'agit pas de provoquer intentionnellement
un conflit, mais bien de limiter les externalités négatives de
celui-ci.
2 Traduction libre « The extant literature
suggests that HQ-subsidiary relations are mixed-motive dyads in which the
parties have both interdependent and independent interests. » (Ambos
et al., 2019).
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Nous nous concentrerons dans cette étude sur les
conflits ayant une origine culturelle. On exclura volontairement les conflits
financiers, légaux (dus aux exigences réglementaires du pays
d'accueil et du pays d'origine) ou structurels (causés par une structure
opérationnelle sous-optimale).
Dans une multinationale, les conflits peuvent survenir
à la suite d'une initiative du siège, de la filiale ou de la
direction.
Pondy (1967) distingue trois sources principales de conflit au
sein d'une organisation : la compétition pour des ressources
organisationnelles limitées, le désir d'autonomie des acteurs et
les différences d'objectifs.
Les multinationales sont souvent partagées entre leur
désir d'instaurer une identité globale et leur
nécessité de répondre à des besoins locaux
spécifiques. Le désir d'autonomie des acteurs illustre bien cette
dualité. Si le siège a tendance à vouloir prendre
l'ascendant sur ses différentes filiales pour optimiser ses processus et
prendre des décisions cohérentes avec une stratégie
globales, les filiales souhaitent en général garder leur
autonomie afin de répondre aux problématiques du terrain
auxquelles elles sont confrontées. Ces divergences ont donc tendance
à instaurer une certaine méfiance entre filiale et
siège.
De même, les différents acteurs d'une
multinationale peuvent avoir des objectifs communs et des objectifs
individuels, qui sont susceptibles d'évoluer avec le temps. L'apparition
de nouveaux objectifs et les divergences d'intérêt peuvent
conduire à l'émergence de conflits (Beddi, 2015 ; Doz, 1996). De
plus, certains objectifs peuvent être ambiguës et donc sources de
tensions psychologiques (Beddi, 2015).
Selon Beddi (2015), la distance culturelle conduit à
des écarts de perception et peut également être source de
conflits. On définit la distance culturelle comme l'ensemble des
différences constatées dans le langage, les structures sociales,
les religions, la politique, les conditions économiques ou encore le
niveau d'alphabétisation.
Le manque de transparence, une mauvaise coordination ou encore
des problèmes de défiance entre les acteurs peuvent
également être des facteurs de conflits (Blazejewski &
Becker-Ritterspach, 2011 ; Kristensen & Zeitlin, 2005 ; Zaheer &
Zaheer, 2006).
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Les comportements déviants des individus (les cadres
cherchant à satisfaire leur intérêt personnel avant tout)
ou des entités (si le siège ou la filiale fait preuve de mauvaise
volonté) sont également à noter comme sources potentielles
de conflits.
Certains facteurs tels que la mise en place d'un
système de gestion imposée à l'ensemble du groupe, le
changement de mandat (marché géographique, autonomie des
produits, production, R&D...) ou encore la compétition pour des
ressources organisationnelles limitées citée plus haut (Pondy,
1967) peuvent également être sources de conflits. Cependant, les
individus biculturels ne pourront résoudre seuls ces enjeux et devront
s'appuyer sur d'autres méthodes de résolution des conflits.
Si le rôle des biculturels au sein des équipes
des multinationales a fait l'objet d'un certain nombre de recherches (Dau, 2016
; Hong, 2010 ; Jang, 2017 ; Lakshman, 2013), leur importance en tant que
boundary spanners (ou « passeurs de frontière ») n'a
encore été que très peu exploitée dans le cadre des
relations entre maison-mère et filiale (Furuzawa & Brewster, 2015 ;
Mäkelä et al., 2019). Nous tenterons donc de répondre
à ce manque de la littérature dans le présent document en
nous appuyant sur des résultats de recherches menées sur le
rôle des individus biculturels au sein des multinationales (Dau, 2016 ;
Furuzawa & Brewster, 2015 ; Mäkelä et al., 2019 ;
Søderberg & Romani, 2017 ; Yagi & Kleinberg, 2011) et sur les
conflits pouvant intervenir lors de relations entre une maison-mère et
une filiale (Beddi, 2015 ; Schotter & Beamish, 2011).
Au cours du présent document, nous tenterons de
répondre aux questionnements suivants : comment les individus
biculturels contribuent-ils à la résolution des conflits entre
siège et filiale ? L'organisation de l'entreprise a-t-elle une influence
sur l'impact des biculturels ? Quelles sont les limites des biculturels dans la
résolution des conflits ?
L'étude sera axée sur les multinationales et
leurs relations avec des filiales situées dans un pays différent
de celui du siège.
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Pour répondre à notre questionnement, nous nous
appuierons sur quatre hypothèses :
- Le rôle et l'influence du biculturel varient en fonction
de la structure organisationnelle de la multinationale et du type de filiale
interagissant avec le siège ;
- Les biculturels sont des passeurs de frontière
privilégiés au sein d'une entreprise ;
- Les individus expatriés et impatriés peuvent
être des éléments particulièrement actifs dans la
résolution des conflits ;
- Les directeurs de filiale biculturels ont un rôle
clé au sein des organisations.
Pour conclure, nous discuterons des limites de l'utilisation des
individus biculturels dans la gestion des conflits et nous aborderons les voies
futures de recherche envisageables.
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Revue de littérature
I. L'influence du biculturel diffère selon la
filiale qui interagit avec
le siège
Selon Beddi (2015), le conflit dépend, entre autres, de
l'intégration et de la différenciation des filiales au sein de la
multinationale.
A. Les différentes relations de pouvoir entre le
siège et les filiales
Mense-Petermann (2006) identifie les relations de pouvoir
comme une des principales sources de conflits au sein des multinationales.
Selon l'organisation structurelle du groupe, le poids de la
filiale dans les prises de décisions varie. Les enjeux étant
variables, le rôle du biculturel dans les processus de négociation
variera également.
Perlmutter (1969) distingue quatre stratégies
distinctes dans son modèle EPRG : l'ethnocentrisme, le polycentrisme, le
régiocentrisme et le géocentrisme.
L'ethnocentrisme est un modèle organisationnel
où le transfert de connaissances et de l'apprentissage est
unidirectionnel, allant du siège à la filiale (Pesalj, 2011).
Dans ce cas, le pouvoir décisionnel et l'autonomie de la filiale sont
quasiment inexistants et ne permettent pas aux biculturels d'avoir une
réelle influence sur le siège.
Le polycentrisme est de plus en plus utilisé par les
multinationales, qui s'organisent en réseau pour transférer les
connaissances dans les deux sens, du siège à la filiale ou de la
filiale au siège (Pesalj, 2011). Cette organisation permettrait de
fournir aux multinationales un avantage concurrentiel non négligeable,
puisqu'elles seraient mieux informées sur les différents
marchés. Ce contexte est particulièrement favorable aux individus
biculturels, qui auront un réel intérêt dans la
résolution des conflits.
8
Le régiocentrisme est un cas où l'organisation
met en place des sièges régionaux en tant
qu'intermédiaires entre le siège et les filiales. Les
sièges régionaux permettent une adaptabilité relative
à grande échelle et maintiennent une certaine cohérence
dans les stratégies sur un territoire donné. Les individus
biculturels auront ici aussi un intérêt dans la résolution
des conflits, bien que l'instauration d'un siège régional
permette un premier pont entre les frontières.
Le géocentrisme, finalement, tente de combiner les
approches ethnocentriques et polycentriques en standardisant certains processus
organisationnels, tout en s'adaptant aux besoins de chaque filiale. Les
communications entre filiales et avec le siège sont favorisées,
afin d'avoir une vision globale de l'organisation. Cependant, la
complexité de cette structure rend les échanges et les prises de
décisions plus lentes que dans les autres modèles. Les individus
biculturels sont ici également intéressants pour résoudre
les conflits, de par leur adaptabilité et leur ouverture culturelle plus
développées que chez les monoculturels.
Voynnet-Fourboul et Bournois (1999) ont
schématisé les différentes stratégies du
modèle EPRG comme suit :
Figure 1 Structure des entreprises selon
Voynnet-Fourboul et Bournois (1999), d'après le modèle de
Heenan et Perlmutter (1979)
Au-delà de la structure même de la
multinationale, les enjeux de pouvoirs entre le siège et la filiale
peuvent concerner les dépendances hiérarchiques (McShane, 2006 ;
Schotter & Beamish, 2011) ou encore la dépendance aux ressources
(Mudambi & Pedersen, 2007 ; Pfeffer & Salancik, 1978).
Les dépendances hiérarchiques peuvent concerner
la structure du groupe, comme étudié précédemment,
la hiérarchie ou les sources interpersonnelles, telles que la
personnalité, les
9
caractéristiques, les expériences et les talents
des membres individuels d'une organisation (McShane, 2006 ; Schotter &
Beamish, 2011).
La dépendance ou non de la filiale vis-à-vis des
ressources influe sur les relations de celle-ci avec le siège. Schotter
& Beamish (2011) ont classifié les différentes filiales en
trois catégories.
- Les Rising Giants sont des filiales explicitement
au centre des stratégies de croissance des multinationales. Elles sont
plutôt dépendantes du siège concernant les ressources.
- Les Rebels souhaitent leur indépendance
totale vis-à-vis du siège. Leur position dans la multinationale
n'est pas aussi centrale que celle des Rising Giants et elles sont
relativement indépendantes au niveau des ressources.
- Enfin les Teflon Subs sont des filiales qui
semblent presque intouchables par leur siège respectif. Elles sont
très indépendantes de leur siège, tant au niveau
organisationnel qu'au niveau des ressources.
Face à ces constatations, nous proposons que
l'influence des biculturels dans les relations entre siège et filiale
dépende directement de la structure organisationnelle du groupe et du
degré d'autonomie de la filiale vis-à-vis des ressources.
B. Les différentes réactions des filiales
en cas de conflit
Lorsque le siège envoie de nouvelles directives
à la filiale, celle-ci s'y conforme le plus souvent. En
général, il s'agit de filiales de type fonctionnel, qui sont
axées sur les tâches et les processus, avec un fort sentiment
d'appartenance à la multinationale dans son ensemble. Pour ces filiales,
les initiatives du siège ne sont pas considérées comme des
menaces (Schotter & Beamish, 2011).
En revanche, les filiales dysfonctionnelles (axées sur
les relations individuelles) ont un désir d'indépendance beaucoup
plus fort et présentent différents niveaux de résistance
aux initiatives du siège. Schotter et Beamish (2011) ont ainsi
relevé cinq réactions conflictuelles pouvant survenir :
- La filiale peut choisir d'ignorer purement et simplement les
directives du siège
- La filiale peut également adopter officiellement les
nouvelles directives, c'est-à-dire qu'elle se plie en partie aux
exigences du siège, en prétendant suivre toutes les instructions.
Les actions sont effectuées sans réel investissement.
10
- Le changement d'orientation est également une
technique possible. La filiale essaye dans ce cas de lancer une initiative sans
rapport avec celle émanant du siège. Elle peut également
aborder des questions sans rapport avec le sujet ou mettre en avant des
produits différents de ceux proposés.
- L'obstruction à l'action du siège est une
technique un peu plus frontale, qui consiste non seulement à ignorer les
instructions du siège, mais également à retenir les
informations en sa possession et à bloquer les différentes
initiatives venant du siège.
- L'attaque, enfin, est la confrontation directe avec le
siège. Les individus de la filiale rejettent activement l'initiative et
peuvent aller jusqu'à menacer personnellement les membres du
siège.
Selon la catégorie à laquelle elle appartient,
une filiale serait plus susceptible d'utiliser une technique de rejet de la
directive plutôt qu'une autre. Schotter et Beamish (2011) ont
résumé leurs observations dans le schéma suivant :
Figure 2 Les différentes tactiques de rejet
utilisées par les filiales
Nous déduisons de ces observations que le rôle du
biculturel sera probablement différent selon le type de filiale
engagée dans un conflit avec le siège. En effet, si la filiale
est une Teflon Sub, le rôle du biculturel consistera
plutôt à convaincre les différentes parties du
bien-fondé du changement à la source du conflit. Si la filiale
est une Rebel, le biculturel devra se confronter à des
problèmes plus visibles et sera un interlocuteur
privilégié en tant que négociateur. Finalement, dans le
cas des
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Rising Giants, les réactions étant les
plus frontales et véhémentes, le biculturel aura un
véritable rôle d'arbitre.
C. Les différentes réactions du
siège en cas de conflit
Face à une réaction de rejet de la part d'une
filiale, le siège a plusieurs solutions possibles, identifiées
par Schotter et Beamish (2011) :
- L'évitement du conflit : le siège peut
décider de tout simplement ignorer la filiale. Celle-ci peut continuer
à fonctionner comme si elle n'avait pas reçu de nouvelle consigne
;
- Il peut s'impliquer superficiellement en assurant un suivi
incomplet des réactions ou des réponses ;
- La tentative de résolution : Il peut avoir un suivi
actif des actions de la filiale et organiser par exemple des visites de
celle-ci. Cependant, ce processus demande de la bonne volonté de la part
des deux acteurs ;
- La collaboration : Il peut entamer un processus de
négociation. C'est la solution qui est normalement la plus avantageuse
pour les deux parties, mais elle leur demande une forte implication ;
- Pour les conflits les plus virulents, l'implication directe
des très hauts dirigeants est parfois nécessaire.
De même que pour la gestion des différentes
réactions d'une filiale, nous en déduisons que le biculturel aura
un rôle variable selon la méthode employée par le
siège. Ainsi il pourra être amené à trouver des
solutions et à proposer des plans d'action afin d'inciter le
siège à formuler des réponses claires et à
s'impliquer. Lorsque le siège se montre disposé à chercher
des solutions ou à entamer des négociations, le biculturel aura
une fonction support et un rôle de négociateur.
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II. L'utilité du biculturel en tant que passeur
de frontière A. Les atouts des biculturels
Les biculturels sont souvent considérés comme
étant des éléments clés dans la gestion des
affaires internationales (Brannen et al., 2009 ; Brannen & Thomas,
2010 ; Clausen & Hvass Keita, 2016). Ils peuvent par exemple servir de
relais entre la filiale et le siège, grâce à leur plus
grande sensibilité aux différentes cultures. Selon certains
chercheurs, les employés biculturels possèdent des connaissances
particulières qui les amènent à penser différemment
des employés monoculturels (Abadir et al., 2019). Ils
contribuent ainsi à favoriser la compréhension entre les
institutions, en « traduisant » les informations, les connaissances
et les valeurs échangées entre les deux cultures (Hayashi,
1994).
Certains chercheurs s'intéressent à la
capacité des biculturels à changer de cadre culturel
(Benet-Martínez et al., 2002 ; Cheng et al., 2008 ;
Hong et al., 2000 ; Hong & Chiu, 2001 ; Lönnqvist et
al., 2014). Celui-ci désigne la capacité des biculturels
à passer d'un cadre culturel à l'autre (Clausen & Hvass
Keita, 2016). Le changement culturel est un des éléments
permettant aux individus biculturels de développer leur
créativité, leur flexibilité et leur empathie, ainsi
qu'une plus grande complexité cognitive (Clausen & Hvass Keita,
2016).
La complexité cognitive a été
définie comme étant la « capacité à
interpréter le comportement social de manière multidimensionnelle
(Bieri et al., 1966, p.185). Elle permet de mesurer la manière
dont un individu transforme des informations sociales spécifiques en un
jugement social ou clinique (Buckley & Carraher, 1996).
On note également à travers certaines recherches
que les biculturels peuvent favoriser les engagements intrapersonnels et la
confiance interpersonnelle pour limiter les conflits et encourager le sens de
l'intérêt collectif d'une équipe envers l'efficacité
(Friedman & Liu, 2009).
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B. Les passeurs de frontière
La distance culturelle est définie par Hofstede (2001)
comme la mesure dans laquelle les normes et valeurs communes d'un pays
diffèrent de celles d'un autre. Lors d'échanges entre
siège et filiale, cette notion est donc centrale. En effet, la distance
culturelle au sein d'une organisation peut être source
d'incompréhensions, de malentendus et de quiproquos. De plus, la
distance culturelle peut limiter les dirigeants du siège à cause
de préjugés culturels ou cognitifs (Wang & Wang, 2020). La
maison-mère peut alors avoir du mal à identifier la
stratégie à adopter concernant la filiale (Reilly & Scott,
2016).
Face à cette distance culturelle qui entraine une
incertitude dans les échanges entre filiale et siège, les
multinationales ont tendance à recourir au boundaryspanning. Il
s'agit ici de favoriser la collaboration entre différents groupes
grâce à la création de ponts culturels (Abadir et
al., 2019 ; Balve et al., 2019).
Friedman et Podolny (1992) décrivent les boundary
spanners, ou « passeurs de frontière » en
français, comme des personnes qui facilitent les relations entre
différentes entreprises indépendantes. Selon Mudambi et Swift
(2009), les passeurs de frontière existent également au sein des
organisations, par exemple pour combler les fossés culturels existants
entre filiale et maison-mère.
Pour définir la frontière que les biculturels
sont invités à passer, nous nous appuierons sur la
définition d'Akkerman et Bakker (2011, p.133) : « une
différence socioculturelle conduisant à une discontinuité
dans l'action ou l'interaction ». En effet, il ne s'agit pas tant de
franchir les frontières nationales que les frontières
culturelles.
D'après Schotter et Beamish (2011), les boundary
spanners permettraient de réduire les comportements conflictuels
dysfonctionnels des filiales. Grâce à ces individus, une confiance
intra-organisationnelle entre le siège des multinationales et les
filiales étrangères pourrait se développer. Pour ce faire,
les passeurs de frontière s'appuient notamment sur des experts, des
informations, des référents et la partie informelle du pouvoir
légitime (Schotter & Beamish, 2011). Utiliser des passeurs de
frontière pour résoudre les conflits entraine, toujours selon
Schotter et Beamish, une plus forte probabilité d'externalités
positives.
14
C. La théorie de la ligne de faille
Dau (2016) reprend les recherches de Lau et Murnighan (2010)
afin de développer la théorie de la ligne de faille, qui
conceptualise la diversité des équipes au sein des
multinationales.
Le modèle de la ligne de faille distingue trois
catégories d'équipes :
- Les équipes sans diversité aucune, la
diversité pouvant être définie selon différents
critères. Nous choisirons ici la culture comme attribut de
diversité. On pourra citer les équipes monoculturelles ou,
à l'échelle d'une multinationale les équipes composants
une entité du groupe (par exemple dans une filiale ou dans un
siège).
- Les équipes où un ou plusieurs sous-groupes se
distinguent. Il peut s'agir d'équipes biculturelles par exemple.
À l'échelle de l'entreprise, on peut distinguer l'équipe
du siège et l'équipe d'une filiale comme deux entités
culturellement différentes.
- Les équipes où chaque membre est unique, par
exemple au sein d'équipes multiculturelles. Pour l'entreprise il peut
s'agir des relations entre plusieurs entités différentes, par
exemple lorsque plusieurs filiales négocient avec le siège.
Dans les deux compositions extrêmes des équipes
(ici monoculturelles et multiculturelles), Lau et Murnighan (2010) estiment que
les conflits seront moins importants car les sous-groupes distincts ne sont pas
créés sur la base de la diversité. En revanche, dans le
cas d'une équipe composée d'un ou plusieurs sous-groupes (ici en
cas de biculturalisme), les conflits intervenants entre ces sous-groupes
peuvent lourdement impacter l'efficacité et les performances de
l'entreprise. Une « ligne de faille » divise donc l'équipe en
sous-groupes (Lau & Murnighan, 2013 ; Mathieu et al., 2014 ; Meyer
et al., 2014).
Les individus biculturels peuvent donc être
amenés à gérer les conflits lors de différentes
situations. Les recherches de Lau et Murnighan nous permettent de mettre en
avant le fait que les relations les plus compliquées à
gérer sont celles impliquant un nombre réduit de groupes, comme
c'est le cas par exemple lors de conflits entre siège et filiale.
Dau (2016) soutient dans son étude que plus la ligne de
faille culturelle est forte, plus le fossé entre les deux groupes est
profond et donc plus l'impact positif du biculturel peut être important
pour l'équipe. Un individu partageant à la fois la culture du
siège et la culture de la filiale sera plus à
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l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
2019-20
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même de servir de ponts entre les cultures et les lignes
de faille. En réussissant à faire partie des deux groupes, le
biculturel permettra des synergies entre les équipes.
On remarque que les problèmes dus à la ligne de
faille sont principalement causés par des malentendus entre les
équipes. La meilleure solution pour les éclaircir et pour les
éviter semble donc d'améliorer la communication
intra-organisationnelle.
D. Le biculturel permet une meilleure communication
entre les deux parties en conflit
En tant que passeur de frontière, le biculturel peut
assurer une meilleure communication entre le siège et les filiales d'un
groupe. En effet, lors d'un conflit, les négociations seront
facilitées si les différents protagonistes sont en mesure de
comprendre la culture et la langue de leurs interlocuteurs (Lo & Tan,
2020).
Les recherches de Brannen et Thomas (2010) ainsi que celles de
Hong (2010) ont mis en évidence qu'avoir des membres qui comprennent
plusieurs cultures est fortement susceptible d'améliorer les
résultats des équipes.
Concernant la barrière de la langue, les
résultats de l'étude de Harzing et al. (2011) ont
montré que celle-ci a tendance à ralentir les processus
commerciaux et à entrainer des coûts supplémentaires. La
solution la plus fréquente pour palier à ce problème est
l'utilisation d'un passeur de frontière maîtrisant les deux
langues. Les entreprises ont également recours à des formations
linguistiques et à l'institution d'une langue d'entreprise, en
général l'anglais. Si Harzing et al. (2011) constatent
peu de recrutement sélectif, une bonne maîtrise de l'anglais
semble toutefois une condition importante pour être promu.
Maîtriser la langue d'un pays semble être une
condition sine qua non pour comprendre toutes les composantes
culturelles de celui-ci (Barner-Rasmussen & Bjorkman, 2005 ; Buckley et
al., 2005 ; Henderson, 2005). Cependant, Zander (2005) souligne que la
compréhension de la culture d'un pays ne dépend pas uniquement de
l'apprentissage de la langue de celui-ci. En effet, la chercheuse constate des
différences majeures dans les styles de communication entre les pays
d'un même groupe linguistique (Harzing & Feely, 2008).
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
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Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
2019-20
III. Le cas particulier des expatriés et des
impatriés
Il convient de distinguer les expatriés des
impatriés. Les expatriés sont des individus ayant
déménagé à l'étranger, en
général à la demande de leur entreprise. Le terme
d'impatrié peut quant à lui désigner deux sortes
d'individus. Il peut s'agir des individus anciennement expatriés qui
sont rentrés dans leur pays d'origine, notamment dans le cadre de leur
parcours professionnel. Les impatriés peuvent également
être des individus de nationalité étrangère que
l'entreprise aura fait venir.
Nous étudierons ici le cas où les
expatriés et les impatriés ont eu une expérience au
siège et une autre dans une filiale du même groupe.
A. La mobilité internationale permet une
meilleure compréhension entre les parties
Le premier intérêt de l'expatriation pour les
multinationales est la transmission des valeurs, des savoir-faire et de la
culture du siège aux filiales. En effet, la littérature existante
a mis en avant que l'expatriation (à court ou à long terme) et
l'impatriation sont essentielles au transfert des connaissances au sein des
multinationales (Beamish et al., 2010 ; Collings et al., 2010
; Harzing et al., 2016 ; Reiche, 2011 ; Salleh & Koh, 2013 ;
Salleh & Nankervis, 2015). Cependant, les différents savoirs ne
seront pas transmissibles avec la même facilité (Lagerström
& Andersson, 2003). Les missions internationales peuvent donc être
très différentes, selon la durée d'expatriation, le type
de connaissances à transmettre ou encore les différents objectifs
à atteindre (Duvivier et al., 2009 ; Harzing et al.,
2016).
Le deuxième intérêt de l'expatriation
réside dans les capacités de passeurs de frontière des
individus expatriés ou impatriés, dans le cas où ils
maîtrisent la langue du pays qui les accueille (Harzing et al.,
2011). La maîtrise de plusieurs langues est donc bien souvent un
élément clé dans le processus de recrutement d'un
expatrié.
Les expatriés et les impatriés ayant
travaillé à la fois au siège et dans une filiale disposent
d'une vision globale de l'entreprise. En effet, leur expérience au
siège leur permet d'envisager les objectifs et stratégies de
l'entreprise dans son ensemble. Leur expérience dans une filiale les
confronte à la réalité du terrain et aux enjeux locaux.
Étant les personnes les plus à même de
17
comprendre les motivations et obstacles de chacune des
parties, expatriés et impatriés peuvent défendre à
la fois les intérêts du siège et ceux de la filiale. Leur
rôle ne doit donc pas être négligé dans la gestion
des conflits siège-filiale.
De plus, la mobilité internationale des
expatriés et des impatriés les amène à rencontrer
physiquement un grand nombre de leurs collaborateurs. Le fait de connaitre les
différents membres de l'entreprise leur confère une
crédibilité et une légitimité lorsqu'ils devront
traiter avec eux (Beddi, 2015). Dans ce contexte, l'instauration d'une
confiance mutuelle entre les individus sera plus facile.
B. Le développement d'une confiance mutuelle
Chaque culture a sa propre interprétation de ce qu'est
la confiance (Mlaiki & Kefi, 2013). Celle-ci peut avoir différentes
significations et différents degrés. La manière dont les
parties créent une relation de confiance diffère également
d'une culture à l'autre (Dyer & Chu, 2003 ; Huff & Kelley, 2003
; McEvily et al., 2003 ; Zaheer & Zaheer, 2006). Un certain nombre
de chercheurs ont défini la confiance comme étant la croyance en
l'honnêteté et en la crédibilité d'une personne
(Cummings & Bromiley, 1992 ; Giddens, 1994 ; Granovetter, 2002 ; Lorenz,
2003 ; Vachon, 2007).
Le manque de confiance entre filiale et maison-mère
augmente le risque d'apparition de comportements déviants de la part des
deux entités. Celles-ci peuvent par exemple faire preuve d'opportunisme
et auront tendance à privilégier leurs intérêts
financiers personnels (Mudambi & Navarra, 2004). Dans ce cas, les processus
de résolution de conflits sont souvent longs et couteux. Le manque de
confiance réduit également le soutien volontaire des membres du
siège aux filiales.
À l'inverse, en cas de confiance mutuelle, le
siège sera plus enclin à communiquer sur sa stratégie et
à impliquer la filiale dans les réflexions, ce qui permettra de
la rallier à ses prises de décision (Kim & Mauborgne, 1993).
Cette stratégie semble permettre le développement de relations
cordiales entre le siège et la filiale.
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
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18
Les biculturels étant perçus comme ayant des
intérêts communs à la fois avec le siège et avec la
filiale sont susceptibles d'être des médiateurs efficaces en cas
de conflit. En effet, certains chercheurs notent que ceux-ci sont les plus
susceptibles de gagner la confiance des deux parties en conflit et de leur
proposer des solutions jugées acceptables par tous (Friedman & Liu,
2009 ; Hong, 2010).
Il ressort de l'étude de Mlaiki et Kefi (2013) que la
confiance semble se développer sur la base de la constatation de
l'efficacité et du résultat. Ainsi les chercheuses ont
noté que des relations de confiance commençaient après
qu'un individu ait été satisfait du travail ou de la prestation
fournie par un autre individu. Le fait que les individus biculturels aient
déjà fait leurs preuves dans l'entreprise contribue donc au
développement rapide d'une relation de confiance. Pour prolonger cette
constatation, nous pouvons supposer que plus les individus biculturels auront
tendance à résoudre les conflits survenant au sein de
l'entreprise, plus ils auront la confiance de leurs collaborateurs et donc plus
il leur sera facile de créer une ambiance favorable à la
résolution de conflits.
C. Le fort potentiel de négociation des
expatriés et des impatriés
Les expatriés en poste dans une filiale ont des
connaissances locales spécifiques et souvent tacites. Lors des
négociations avec le siège, ils ont donc un pouvoir de
négociation, puisqu'ils sont les plus proches du marché et donc
des attentes des clients. De plus, nous avons évoqué plus haut le
fait que les cadres ayant travaillé à la fois au sein du
siège et des filiales sont plus à même de comprendre les
points de vue des deux parties que les autres cadres n'ayant pas cette double
expérience (Schotter & Beamish, 2011).
Les passeurs de frontière orientent la
négociation des conflits vers la gestion des tâches et des
processus (Schotter & Beamish, 2011). Ainsi que mentionné en
introduction, l'intérêt des conflits fonctionnels réside
dans le fait que ceux-ci sont plus propices à générer des
externalités positives que les conflits dysfonctionnels. L'aptitude des
passeurs de frontière à passer outre les conflits interpersonnels
pourrait donc permettre une meilleure résolution des conflits.
Gestion des conflits entre siège et filiale :
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Gestion des conflits entre siège et filiale :
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Afin d'éliminer la probabilité d'un conflit
lié aux relations interpersonnelles, les boundary spanners
doivent nécessairement créer une confiance significative dans les
deux groupes que représentent la filiale et le siège. Pour ce
faire, la meilleure des solutions reste de devenir membre des deux
communautés (Schotter & Beamish, 2011). L'expatriation et
l'impatriation peuvent donc être considérées comme des
formes de boundaryspanning tout à fait envisageables.
D. Les limites des expatriés et des
impatriés
Lors de leur arrivée dans un nouveau pays, les cadres
expatriés ont en général une connaissance active ou
passive de la culture de celui-ci (Duport & Janicot, 2010). Cependant,
cette connaissance culturelle considérée par Schütz (1966)
comme « allant de soi » ne permet pas de comprendre l'ensemble des
situations auxquelles l'expatrié fait face. Les expatriés sont
donc contraints d'interpréter les composants culturels du pays, ce qui
conduit souvent à des simplifications voir à des caricatures de
ceux-ci (Lynd, 1939). Avant de comprendre et d'assimiler parfaitement la
nouvelle culture dans laquelle ils évoluent, les expatriés
doivent donc attendre d'avoir vécu une longue période dans leur
pays d'accueil. De même, après être rentré dans leur
pays d'origine les impatriés ont un temps d'adaptation avant d'avoir
réassimilé complètement leur culture. L'expatriation et
l'impatriation sont donc des projets mis en place sur le long terme et leur
effet ne se fait en général ressentir qu'après un certain
temps. Leur efficacité est ensuite évaluée par les autres
individus du groupe, qui pourront les intégrer au groupe en cas de
succès mais également les rejeter si leur intérêt
n'est pas constaté.
De plus, Beddi (2015) met en garde contre le statut des
expatriés. En effet, on peut observer un clivage entre expatriés
et locaux. Dans une filiale par exemple, les expatriés seront plus
considérés comme faisant partie du groupe, et conservent un
sentiment d'appartenance pour le siège. Les locaux en revanche seront
considérés comme ne faisant pas partie du groupe et
développent un sentiment d'appartenance pour la filiale. L'utilisation
des expatriés ne peut donc pas être la seule technique de
rapprochement des frontières utilisée par une multinationale.
La mobilité internationale favorise la
compréhension mutuelle et une meilleure connaissance du terrain. Avoir
une vision du point de vue local permet que les décisions du
siège soient mieux acceptées par la filiale (Kim & Mauborgne,
1993). Schotter et Beamish (2011) ont mis en évidence que grâce
à leur maîtrise des différentes cultures, les passeurs de
frontière possèdent la capacité de
20
développer la confiance entre le siège et les
filiales étrangères. Les expatriés et impatriés
servant de passeurs de frontière semblent donc particulièrement
qualifiés pour entamer des processus de négociation.
Face à ces constats, les multinationales ont souvent
tendance à promouvoir les passeurs de frontière à un poste
au siège. Cependant, ceux-ci y sont moins efficaces car ils doivent en
général gérer simultanément plusieurs dyades
siège-filiales et ne peuvent pas se pencher sur le cas d'une filiale en
particulier. Les passeurs de frontière sont donc plus précieux
pour la multinationale lorsqu'ils sont en poste dans des filiales locales
(Schotter & Beamish, 2011).
IV. Le rôle clé du biculturel nommé
à la direction d'une filiale.
Le dirigeant biculturel est identifié comme un
boundary spanner potentiel dans la littérature (Beechler et
al., 2004 ; Ernst & Chrobot-Mason, 2011 ; Schotter & Beamish,
2011). Schotter et Beamish (2011) vont même jusqu'à estimer qu'un
directeur de filiale est plus efficace en tant que passeur de frontière
que les autres membres de son équipe. En effet, ses décisions
auront tendance à être guidées par sa personnalité
individuelle et ses antécédents professionnels sans être
influencées par un intérêt financier. Le directeur de
filiale biculturel sera donc moins susceptible de s'aligner sur le
siège, comme le suggère la théorie de l'agence3
(Eisenhardt, 1989), et défendra mieux les intérêts de la
filiale.
A. Le directeur de filiale a un fort pouvoir
décisionnel à la fois sur le siège et sur la filiale
Le directeur de filiale est un élément
clé de la relation entre siège et filiale, puisqu'il
possède en général un fort pouvoir décisionnel. De
plus, Ambos et al. (2019) estiment que le degré d'influence du
directeur de filiale sur les décisions du siège a un fort impact
sur les conflits d'objectifs et sur le niveau d'autonomie accordée par
le siège.
3 La théorie de l'agence formulée par
Eisenhardt en 1989 étudie l'asymétrie d'information ainsi que les
divergences d'intérêt et de motivation qui peuvent exister entre
deux parties.
21
L'issue d'un conflit au sein d'une même entreprise
dépend de l'utilisation des différents pouvoirs mobilisés
pour les résoudre. Ainsi le directeur de filiale peut s'appuyer sur le
pouvoir organisationnel et sur le pouvoir de gestion individuel. Le pouvoir
organisationnel dépend de la maitrise d'une zone d'incertitude. Crozier
et Friedberg (1977) définissent un acteur stratégique comme
étant un individu maitrisant au moins en partie une zone d'incertitude
importante pour l'entreprise. Par exemple, le fait que le directeur de filiale
puisse comprendre la culture et les motivations du siège et de la
filiale lui permet d'anticiper les réactions des différents
acteurs. Le pouvoir individuel, quant à lui, est divisé en six
catégories par French et Raven (1959) :
- Le pouvoir légitime qui s'appuie sur les positions
hiérarchiques des individus ;
- Le pouvoir de récompense qui passe par l'attribution de
récompenses ou la suppression de
sanctions ;
- A l'inverse, le pouvoir coercitif qui est obtenu en appliquant
des punitions ;
- Le pouvoir d'expert, obtenu grâce à la maitrise de
certaines compétences ou connaissances ;
- Le pouvoir de référence, découlant de
l'admiration portée par des individus ;
- Le pouvoir d'information, enfin, qui peut concerner le
contrôle de l'information ou la capacité
perçue d'acquérir des informations en
période d'incertitude organisationnelle.
Schotter et Beamish (2011) mettent en avant que les managers
ayant un rôle de passeur de frontière ont tendance à
utiliser leur pouvoir personnel plutôt que leur pouvoir fonctionnel.
Ainsi on peut en déduire que les directeurs de filiale biculturels
préfèrent en général s'appuyer sur des pouvoirs
d'information et de référence ou sur une légitimité
informelle et évitent d'utiliser leur pouvoir hiérarchique formel
ou de mettre en place des systèmes de récompenses ou de
sanctions.
B. Être biculturel permet au directeur de filiale
de prendre des décisions complexes
Pour rester compétitives, les multinationales doivent
à la fois être efficaces à l'échelle mondiale et
être réactives au niveau local (Bjorkman & Budhwar, 2007 ;
Jackson, Schuler, & Jiang, 2014 ; Oppong, 2017). L'efficacité au
niveau local passe par l'instauration de normes internationales au sein des
filiales, qui peuvent ne pas correspondre aux réalités du terrain
et donc mener à des tensions, voir à des conflits (Beddi, 2015 ;
Bartlett & Ghoshal, 1986).
22
En tant que décisionnaire, le directeur est
confronté à ces mêmes pressions. Lorsque les
intérêts du siège et de la filiale divergent, cela peut
entrainer une confusion dans son rôle (Beddi, 2015 ; Katz & Kahn,
1966). C'est pourquoi Beddi (2015) compare le responsable de filiale à
un « marginal sécant », c'est-à-dire un acteur partie
prenante de plusieurs systèmes d'action.
La capacité à comprendre les motivations du
siège, l'adaptabilité et la créativité accrues des
individus biculturels sont donc des éléments pouvant les aider
lors de prises de décisions délicates.
C. Le directeur de filiale biculturel favorise la
coordination des équipes
Pour que les passeurs de frontière soient efficaces,
ils doivent être capables de comprendre les écarts de perception
(Casson & Cox, 1993 ; Richter et al., 2006). Ils ont donc besoin
de connaissances organisationnelles essentielles sur le siège et la
filiale afin d'augmenter l'efficacité organisationnelle. En tant que
directeur de filiale, un boundary spanner est donc en mesure de
comprendre les équipes du siège et ses propres équipes et
peut donc assurer une meilleure coordination de leurs actions.
La coordination entre les équipes est primordiale dans
la gestion des relations entre siège et filiale. On constate en effet
qu'une mauvaise coordination conduit à une mauvaise perception mutuelle.
Par exemple, le fait que différents membres du siège demandent
les mêmes informations à la filiale sans s'être
consultés entraine une perception négative du siège par la
filiale (Beddi, 2015).
Une coopération efficace entre les cultures, les
unités et les positions hiérarchiques nationales et
professionnelles permet à une multinationale de développer son
agilité culturelle (Fotso et al., 2018 ; Holbeche, 2018). On
peut supposer que cette coopération est à même d'entrainer
des relations harmonieuses entre les équipes et donc de limiter
l'émergence de conflits au sein de l'organisation.
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
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23
D. Le rôle de leader du directeur de filiale
En plus d'être un lien privilégié avec le
siège, le directeur de filiale est un leader pour ses équipes.
Favoriser la cohésion interne et la communication interne permet au
directeur de faire adopter ses idées par les membres de la filiale. De
plus, une plus haute performance des équipes permet au directeur de
filiale d'appuyer ses prises de décisions par un pouvoir d'expert. Si
les membres de l'entreprise constatent que ses décisions sont prises
intelligemment et sont bénéfiques pour l'entreprise, ils auront
tendance à se rallier à ses idées.
Lord et al. (1999) et Shamir et al. (1993)
ont développés des théories de leadership fondées
sur le concept de soi, qui identifient trois caractéristiques
essentielles à un leader lors de la gestion d'équipes
multiculturelles : l'intelligence culturelle, l'identité mondiale et
l'ouverture à la diversité culturelle.
- L'intelligence culturelle est la capacité d'un
individu à adapter son comportement à différents contextes
culturels ;
- L'identité mondiale correspond à un sentiment
d'appartenance au contexte mondial, plutôt qu'à une
identité culturelle unique ;
- L'ouverture à la diversité culturelle est
mesurée par la réceptivité aux différences
culturelles.
Faisant suite à ces travaux, Abadir et al.
(2019) soulignent qu'un leader possédant une intelligence
culturelle, une identité mondiale et une ouverture à la
diversité culturelle pourra communiquer plus facilement avec les
différents membres de son équipe et influencera positivement les
performances de cette équipe.
De nombreux autres chercheurs se sont appuyés sur les
théories de leadership de Lord et al. (1999) et de Shamir
et al. (1993) et ont associés les trois caractéristiques
du chef d'équipe multiculturelle aux caractéristiques du manager
biculturel (Barker, 2017 ; Engelhard & Holtbrügge, 2017 ; Friedman
et al., 2012 ; Lisak et al., 2016). Le leader biculturel
pourrait donc améliorer les performances de l'entreprise, tant dans les
relations entre filiale et maison-mère qu'au sein des équipes
multiculturelles grâce à la mobilisation d'une intelligence
culturelle, d'une identité mondiale et d'une ouverture à la
diversité (Ang & Koh, 2006 ; Shokef & Erez, 2008).
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
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24
D'autres études se sont penchées sur les
avantages de promouvoir des biculturels à des postes clés. Ainsi,
un leader biculturel pourrait développer une métacognition
culturelle4 (Clausen & Keita, 2016 ; Hong, 2010 ; Rickley,
2018), lui permettant de dépasser les frontières et d'arbitrer
les conflits culturels (Barner-Rasmussen et al., 2014 ; Clausen &
Keita, 2016 ; Kane & Levina, 2017). Dau (2016) note quant à lui que
les managers biculturels peuvent améliorer les systèmes de
mémoire transactive (TMS)5 des équipes
multiculturelles et donc améliorer les performances de l'entreprise.
Certaines recherches mettent en avant le fait que les
compétences et l'efficacité des managers biculturels sont
influencées par leur environnement de travail (Dau, 2016 ; Korzilius
et al., 2017). Cependant, quel que soit le contexte, leur
compréhension des différentes cultures permet d'améliorer
les performances de leurs équipes (Brannen & Thomas, 2010 ; Hong,
2010).
4 Thomas et al. définissent la
métacognition culturelle comme « la capacité de
contrôler consciemment et délibérément son processus
de connaissance et ses états cognitifs et affectifs, ainsi que la
capacité de réguler ces processus et états par rapport
à un objectif » (Thomas et al., 2008, p. 131).
5 La TMS ou Transactive Memory System
désigne l'ensemble des processus employés pour gérer et
utiliser les connaissances au sein d'un groupe (Wegner, 1987).
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Discussions
I. Les limites de l'utilisation des individus
biculturels dans la gestion des conflits
A. Les facteurs avec lesquels les individus biculturels
doivent composer
Malgré leurs multiples qualités pour les
équipes multiculturelles, les compétences managériales
biculturelles peuvent être influencées par diverses questions.
Tout d'abord, Latukha et al. (2020) soulignent que le
contexte du pays d'accueil est susceptible d'avoir un impact
considérable sur la transmission des pratiques de gestion des ressources
humaines du siège aux filiales.
Ensuite, les compétences des managers biculturelles
sont susceptibles d'être influencées par leur développement
personnel. L'intégration identitaire, la psychologie et les influences
socioculturelles sont autant de facteurs de différentiation potentiels
(Hong, 2010 ; Kane & Levina, 2017).
Les compétences managériales des biculturelles
peuvent également être impactées par un manque
d'opportunités ou de soutien, qui peuvent limiter leurs effets (Kane
& Levina, 2017 ; Roberts & Beamish, 2017).
Le premier soutien nécessaire aux individus biculturels
dans la résolution des conflits intra-organisationnels est bien entendu
la direction générale du groupe. Le biculturel ne peut être
réellement efficace que s'il est encouragé et soutenu par cette
dernière, cela lui conférant une légitimité
organisationnelle ambidextre (Schotter & Beamish, 2011). Sans ce soutien,
il semble que même la présence d'individus biculturels ne permet
pas une communication efficace entre les différentes entités. Les
externalités négatives des conflits peuvent être
réduites si la direction du siège les identifie et les
gère activement. Cependant, il convient de mesurer l'implication de
la
26
direction dans la prévention des conflits, qui sont
parfois inévitables, afin de ne pas être contreproductif.
Finalement, le style de management de l'entreprise est
primordial pour l'épanouissement des biculturels à des postes
clés dans la résolution des conflits. Ainsi, selon si les
individus sont choisis en fonction de leurs capacités ou en fonction de
leur position hiérarchique, les biculturels auront plus ou moins de
chance d'arriver aux postes adéquats à l'exploitation optimale de
leurs compétences.
B. Les solutions alternatives aux individus biculturels
La culture organisationnelle peut être un facteur
important lors de la résolution des conflits. Selon Pothukuchi et
al. (2002), son influence peut dépasser celle des cultures
nationales dans les relations entre siège et filiale. Le passeur de
frontière peut utiliser la culture organisationnelle comme
système de référence commune. Ainsi, les situations
conflictuelles ou stéréotypées peuvent être
réduites (Chevrier, 2004 ; Karjalainen, 2007), ce qui conduirait
à améliorer les relations entre siège et filiales (Viegas
Pires, 2008). On remarque toutefois que la culture organisationnelle d'une
multinationale est influencée par la culture nationale du pays
d'origine, où se situe en général le siège (De
Meier, 2010 ; Hofstede, 2001). Cette culture organisationnelle pourra donc
évoluer et être réinterprétée selon les pays
où se situent les différentes filiales (d'Iribarne, 2009). Si
l'utilisation de la culture organisationnelle est un bon outil pour
fédérer les individus, des malentendus culturels peuvent donc
persister (Chevrier, 2004 ; Karjalainen, 2007).
Dans leurs recherches de 2020, Lo et Tan mettent en avant le
fait que l'utilisation d'une langue et d'une culture communes facilitent la
création de liens et de connexions entre le siège et les
filiales. Les investissements sont donc facilités (Hou, 2002), notamment
dans le développement et l'implantation de nouvelles filiales. Une
langue et une culture communes permettent également une meilleure
fluidité dans la gestion des négociations au cours d'un
conflit.
Le développement d'une culture professionnelle (ou
culture fonctionnelle) permet de surmonter la barrière de la langue
(Harzing et al., 2011) et les différences culturelles. Ainsi,
les individus exerçant les mêmes professions peuvent plus
facilement se comprendre grâce à l'utilisation d'une langue
fonctionnelle. Par exemple, Harzing et al. ont constaté dans
leur étude de 2011 que les
27
ingénieurs pouvaient surmonter de manière
informelle la barrière de la langue en utilisant des dessins et des
chiffres pour exprimer leurs idées. Permettre une communication directe,
sans intermédiaire, entre des personnes occupant le même poste, ou
un équivalent, entre filiale et siège permet donc de faciliter la
compréhension entre les deux entités. Dans ce cas,
l'intérêt de l'individu biculturel reste limité.
De plus, certains chercheurs ont mis en avant le fait que
l'apparition d'un objectif commun permettrait aux équipes de surmonter
leurs différences culturelles et faciliterait des communications
cordiales (Erez & Gati, 2004 ; Shokef & Erez, 2008).
Certaines études soulignent le rôle du leader
charismatique dans la cohésion globale d'une entreprise (Mayrhofer &
Barmeyer, 2009 ; Mayrhofer, 2015). Ainsi la culture d'entreprise se forme
autour de la personnalité ou des idées d'un seul individu, qui
incarne d'une certaine façon l'ensemble des valeurs défendues par
le groupe. Mark Zuckerberg, Steve Jobs ou encore Elon Musk sont autant
d'exemples de leaders qui ont su fédérer leurs collaborateurs
autours de leurs idées. Les individus travaillant dans les filiales de
Facebook, Apple ou Tesla ont donc développé un sentiment
d'appartenance au groupe forgé autour de leur leader historique.
L'utilisation d'outils de gestion, tels que le DFVT, Document
de Formalisation des Valeurs au Travail (Antheaume & Saleh, 2020 ; Hatchuel
& Weil, 1992) est également un moyen de gérer les
différences culturelles pouvant survenir entre siège et filiale.
Antheaume et Saleh soulignent toutefois que le DFVT est souvent
décrié concernant son influence limitée sur les
comportements et sa volonté excessive de contrôle.
Finalement, on notera que confier la direction des filiales
à des individus natifs des pays d'implantation ou encore
internationaliser le bureau de direction sont des solutions pouvant
également être envisagées par les multinationales.
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
2019-20
28
C. Les biais potentiels des biculturels
Dans un contexte professionnel les individus peuvent
être victimes de certains biais. Ainsi, on constate que certains
biculturels peuvent développer des sentiments d'appartenance très
forts à la fois pour leur filiale et pour le siège, ce qui peut
causer des conflits d'intérêt. Les individus biculturels peuvent
également avoir des aspirations professionnelles ou des
intérêts personnels, qui peuvent biaiser leur prise de
décision.
Le respect de tous peut être compliqué, en
particulier dans des situations qui impliquent des identités et des
intérêts divers. Cependant, les individus biculturels peuvent
essayer de comprendre les différences culturelles et professionnelles
des différents groupes et gagner leur confiance et leur reconnaissance
en tant que négociateur (Kane & Levina, 2017 ; Roberts &
Beamish, 2017).
Lorsque des biculturels arrivent dans une équipe ayant
une culture qu'ils ne connaissent pas, ils peuvent être amenés
à prendre des décisions partiales ou à développer
une attitude prototypique envers les membres de ce groupe (Schindler et
al., 2016). L'attitude prototypique peut être un moyen pour les
individus de déterminer l'attitude à adopter dans un groupe. Pour
cela, ils s'appuient sur les réactions des membres du groupe face
à un membre imaginaire, un prototype du groupe qui incarne les
caractéristiques déterminantes de celui-ci. Un individu ayant des
réactions ne correspondant pas à celles du « prototype
d'attitude » aura tendance à être rejeté du groupe
(Lord et al., 1984). Ces réactions peuvent aggraver les
réactions conflictuelles dans les interactions avec des groupes
extérieurs (Schindler et al., 2016).
Le rôle de médiateur du biculturel peut l'amener
à percevoir les autres individus comme des hors-groupes (Friedman &
Liu, 2009 ; Kane & Levina, 2017). A l'inverse, les biculturels
représentant souvent une minorité ethnique au sein d'un groupe,
ils peuvent être victimes d'attitudes discriminatoires (West et
al., 2017).
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
2019-20
29
D. Questionnements sur l'intérêt des
biculturels
Si l'on a étudié dans le présent document
l'intérêt des individus biculturels dans une entreprise, leur
spécificité a été questionnée dans la
littérature. En effet, de récentes études
théorisent que les leaders des équipes multiculturelles
possèdent la même capacité que les biculturels de franchir
les frontières liées aux cultures nationales et individuelles
(Dau, 2016 ; Kassis-Henderson et al., 2018).
De plus, les études de Zaheer et al. (1998) et
de Mlaiki et Kefi (2013) tendent à démontrer que l'influence
des boundary spanners n'est pas reconnue par leurs collègues.
En effet, les individus interrogés aux cours de ces études ont
plutôt tendance à citer les pratiques institutionnelles, les
processus et les routines comme facteurs de résolution des conflits.
Enfin, au cours de leur étude, Clausen et Hvass Keita
(2016) ont relevé que dans certaines situations, la connaissance de deux
cultures peut représenter un handicap. En effet, une mauvaise
exploitation des connaissances culturelles peut entrainer une confusion pour
les individus et entraver certaines actions.
II. Voies futures de recherche
A. Comment mesurer l'impact de ces conflits ?
Afin d'étudier au mieux les conflits entre siège
et filiale ainsi que l'intérêt des biculturels dans leur
résolution, il convient de pouvoir mesurer les impacts de ces conflits.
Ramsey et Bahia (2013) ont identifié plusieurs dimensions pour mesurer
la performance des filiales : le niveau financier, le niveau
opérationnel et l'efficacité globale.
- Le niveau financier mesure le retour sur investissement, le
retour sur actifs, le retour sur fonds propres, le retour sur ventes, la marge
brute ou encore la marge bénéficiaire et la croissance des ventes
à l'étranger
- Le niveau opérationnel prend en compte la part de
marché, l'efficacité, la productivité et la satisfaction
des employés
- L'efficacité globale, finalement, étudie la
réalisation des objectifs et la perception de la performance globale par
rapport à la concurrence
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
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L'approche la plus évidente pour mesurer l'impact d'un
conflit semble être l'approche financière, qui permet
effectivement une certaine évaluation des performances. Cependant, il
est difficile de chiffrer le coût d'un conflit, celui-ci ayant de
nombreuses conséquences indirectes. De plus, les bilans financiers ne
prennent pas en compte des paramètres tels que la réalisation des
objectifs stratégiques, l'efficacité opérationnelle et
organisationnelle, la satisfaction des performances ou les retombées
nettes (Arino, 2003).
La motivation financière semblant être le
principal facteur de développement d'une entreprise, il pourrait donc
être intéressant d'étudier l'impact financier des
biculturels dans la gestion des conflits.
Arino (2003) a constaté que l'efficacité
organisationnelle semble être une mesure plus complète de l'impact
des conflits. Celle-ci évalue en effet des objectifs organisationnels
plus larges, tels que le fait que le siège et les filiales ont chacun
des objectifs individuels, qui ne vont pas nécessairement dans le
même sens (Arino, 2003 ; Cosier & Rose, 1977). L'efficacité
organisationnelle mesure également l'intensité des conflits et
les stratégies de négociation (Schotter & Beamish, 2011), qui
affectent la capacité des deux parties à atteindre leurs
objectifs communs et individuels (Arino, 2003).
Des études sur l'efficacité globale des
entreprises lorsque des biculturels ont pris en charge la gestion des conflits
ou non pourraient donc être pertinentes pour faire suite à cette
étude.
B. L'étude de la TMS
Nous avons évoqué plus haut le rôle du
manager biculturel sur l'amélioration des systèmes de
mémoire transactive des équipes (Dau, 2016). Le système de
mémoire transactive peut également être
désigné par TMS, pour Transactive Memory System.
La mémoire transactive est « un système de
traitement de l'information de groupe » (Wegner, 1987). Elle permet aux
groupes de générer, transmettre, stocker et accéder
à des connaissances communes (Dau, 2016). Selon Wegner (1995), un
système de mémoire transactive se compose des connaissances
stockées dans la mémoire de chaque individu, combinées
à une « métamémoire » contenant des informations
concernant les différents domaines d'expertise des coéquipiers.
Lors de
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
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Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
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la phase de Récupération, si les informations
collectées sont exactes et utiles, le lien avec le membre
possédant des connaissances spécialisées est
renforcé.
La théorie de la TMS est facilement observable en
pratique, dans un groupe où chaque individu à un rôle
précis. Lorsqu'une information parvient à ce groupe, elle ne sera
retenue que part le ou les individus directement concernés par cette
information. Si un membre du groupe a besoin de cette information pour la
réalisation d'une tâche, il pourra alors consulter la personne
spécialisée dans ce domaine. D'après Wegner (1995), la
récupération et la coordination des connaissances grâce
à la TMS sera fiable et sans friction. Cette répartition des
connaissances permet donc d'éviter les pertes de qualités des
données tout au long du processus (Wegner, 1987, Wegner, 1995).
La performance des équipes peut donc être
influencée par l'utilisation de la TMS (Choi et al. 2010 ; Dau,
2016 ; Mell et al., 2014). En effet, la TMS permet d'améliorer
la coordination et le travail d'équipe entre des membres aux
capacités cognitives diverses (Brandon & Hollingshead, 2004 ;
Choi et al., 2010 ; Mell et al., 2014, Wegner, 1995).
Il pourrait être intéressant d'étudier
l'impact de la gestion de la TMS lors de relations conflictuelles entre
siège et filiale. Des études sur le lien entre manager
biculturel, gestion de la TMS et résolution des conflits pourraient
également être pertinentes.
C. La diversité des individus biculturels
Cette étude s'est concentrée sur les individus
biculturels dans leur ensemble, en s'appuyant sur des
généralités. Cependant, nous estimons que chaque individu
est unique et qu'il conviendrait de s'attarder sur les différences
existantes entre les biculturels. En effet, selon sa personnalité, un
individu biculturel n'aura pas nécessairement la même gestion des
conflits.
Clausen et Hvass Keita (2016) et Dau (2016) ont relevé
plusieurs éléments pouvant distinguer les individus biculturels,
tels que les différences de perception des biculturels par
eux-mêmes, s'ils prennent conscience de leurs atouts ou non ou l'impact
des environnements professionnels et culturel sur leurs comportements.
Ainsi, concernant les différences de perception que les
individus ont d'eux même, Dau (2016) distingue quatre catégories :
les biculturels qui ont conscience de leur biculturalité, les
biculturels qui n'en ont pas conscience, les monoculturels qui se
considèrent comme biculturels et les
32
monoculturels se voyant comme tels. De plus, les individus
biculturels ont une intégration de leur identité
différente, selon s'ils considèrent que les deux cultures qu'ils
ont intégrées sont compatibles ou non (Benet-Martínez
et al., 2002 ; Dau, 2016 ; Hsu & Livingston, 2014 ; Mok et
al., 2010).
Le tableau suivant, conceptualisé par Dau (2016)
résume ces observations :
Figure 3 Relation entre les concepts de Biculturalisme
et d'Intégration de l'Identité Biculturelle (BII)
Ainsi, Dau (2016) propose que les individus biculturels qui
perçoivent leurs deux cultures comme étant en harmonie
(biculturels harmonieux) ont le plus grand impact positif sur la TMS de
l'équipe, et donc sur les performances de celle-ci, tandis que les
individus biculturels qui perçoivent leurs deux cultures comme
étant en conflit l'une avec l'autre (biculturels discordants) n'auront
un impact que minime. Benet-Martínez et al. (2002) notent quant
à eux que le degré d'intégration de l'identité
culturelle influe directement sur la capacité à changer de cadre
culturel.
Un prolongement de l'étude de Dau concernant les
différences entre biculturels harmonieux et biculturels discordants
pourrait s'intéresser aux différences d'impacts de ces deux
catégories sur les conflits entre siège et filiale. Il pourrait
également être pertinent d'appliquer ce prolongement aux
différences d'efficacité dans la gestion de conflits selon si les
individus sont dissonants
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
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(biculturel se croyant monoculturel ou monoculturel se croyant
biculturel) ou en harmonie avec eux-mêmes (biculturel ou monoculturel se
voyant comme tel).
Dau (2016) note également que la personnalité
des individus peut être un axe de différenciation entre les
biculturels et jouer un rôle dans leur efficacité au sein d'une
équipe. Ainsi que nous l'avons abordé précédemment,
Schotter et Beamish (2011) considèrent la personnalité des
individus comme une des sources potentielles de pouvoir dans les
organisations.
Goldberg (1981) propose cinq traits principaux de la
personnalité dans sa théorie des Big Five. L'ouverture à
l'expérience, la conscienciosité, l'extraversion,
l'agréabilité et le névrosisme constituent selon lui cinq
points essentiels de différenciation entre les individus. Nous avons vu
au cours de cette étude que les individus biculturels ont tendance
à être plus ouverts aux expériences que les individus
monoculturels. Il pourrait toutefois être intéressant de se
pencher sur l'impact de la variation de ces cinq caractéristiques sur
l'efficacité des biculturels à résoudre les
différents conflits.
Clausen et Hvass Keita (2016) ont quant à elles
distingué les biculturels conscients de leurs atouts de ceux qui n'en
avait pas conscience. Les chercheuses ont ainsi noté que les biculturels
conscients de leurs atouts étaient capables de transformer ceux-ci en
véritable ressource pour l'entreprise. Ainsi, on peut supposer que les
biculturels conscients de leurs compétences uniques seront positivement
reconnus et considérés au sein de leurs entreprises. Le
rôle de cette prise de conscience sur l'influence des biculturels au sein
d'une gestion de crise serait un autre point pertinent à explorer.
On note également dans la littérature certaines
mentions faites sur l'influence de leur environnement sur les comportements des
individus. Ainsi Lahire (2004) étudie le phénomène de
dissonance culturelle. Selon le sociologue, le comportement des individus varie
selon le secteur culturel auquel ils sont confrontés. Lahire
relève également que les pratiques effectives des individus
peuvent différer de leurs préférences selon le cadre dans
lequel ils évoluent.
Il pourrait être intéressant de se pencher sur
les différences d'efficacité des individus biculturels selon les
pays où la filiale et le siège sont implantés, selon la
taille de l'entreprise ou encore selon la composition des équipes au
sein desquelles ils évoluent. Par exemple, concernant les
différences de composition des équipes, celles-ci peuvent
être au choix multiculturelles, biculturelles ou
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
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monoculturelles. Selon leur composition et selon si le
biculturel a intégré deux, une ou aucune des cultures de
l'équipe, son influence sur la résolution des conflits pourrait
être variable.
D. Le recours à des missions internationales
plus courtes et bidirectionnelles
Nous avons étudié précédemment
l'intérêt de l'expatriation et de l'impatriation. Cependant,
certains auteurs ont mis en avant le fait que les expatriations de long terme
pouvaient être complétées par des missions de court terme
et bidirectionnelles (Duvivier et al., 2009). Celles-ci permettraient
de compenser les inconvénients de l'expatriation de long terme et de
faciliter le transfert de connaissances entre le siège et la filiale.
Les chercheurs incitent donc les entreprises à diversifier les missions
à l'international à s'assurer que celles-ci s'enchainent afin
d'optimiser leur efficacité. Les individus expatriés pour une
courte période ne sauraient être considérés comme
biculturels de part cette simple expérience. Cependant, envoyer des
biculturels pour ces missions courtes pourrait avoir un impact positif sur les
relations entre siège et filiale. Ainsi il pourrait être pertinent
de s'interroger sur les différences entre l'influence des
expatriés long terme d'une part et des expatriés court terme
d'autre part sur la gestion des relations conflictuelles
intra-organisationnelles.
E. L'impact de la confiance sur l'influence des
biculturels
Nous avons évoqués plus haut le rôle
joué par le développement d'une confiance mutuelle entre les
parties en conflit. Cependant, il conviendrait de s'interroger sur plusieurs
points concernant le développement de la confiance entre les individus
dans le cadre de relations multiculturelles.
Dans la continuité des recherches de Mlaiki et Kefi
(2013) ainsi que de Wang et al. (2020), nous nous interrogeons sur les
sources de la confiance développée entre une filiale et son
siège ainsi qu'entre les individus provenant des deux entités. On
pourra également se pencher sur les potentiels impacts (positifs et
négatifs) sur la confiance que pourrait avoir un individu biculturel.
L'impact de l'asymétrie d'information et de l'asymétrie de
confiance dans le cadre de négociations conflictuelles pourrait
également des points à soulever. Dans la mesure où l'on
observe des gradations dans la méfiance développée entre
deux parties, il pourrait être intéressant de se
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
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questionner sur l'impact du biculturel selon le degré
de méfiance régnant entre filiale et siège en conflit.
Finalement, nous pouvons nous interroger sur la manière dont les
individus biculturels peuvent mettre à profit la confiance qui leur est
accordée pour convaincre sans contraindre.
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Conclusion
La présente étude s'est penchée sur
l'intérêt des biculturels dans la résolution des conflits
entre maison-mère et filiale.
Les deux entités ayant en général des
objectifs conflictuels, leur gestion est donc complexe. Pour ce faire, il
convient que les médiateurs comprennent les différentes
interactions culturelles afin de favoriser les consensus (Hong, 2010).
Être capable d'utiliser le changement de cadre culturel mais
également d'assimiler les différences émotionnelles,
cognitives et comportementales des individus permet d'être plus flexible
concernant les différentes méthodes de résolution des
problèmes (Friedman & Liu, 2009).
Les multinationales peuvent être organisées de
différentes manières et les filiales peuvent avoir
différents niveaux de dépendance vis-à-vis du
siège. Ces disparités entrainent des écarts entre les
différents conflits à gérer et impactent le rôle des
individus chargés de régler les conflits. Ceux-ci peuvent
être vecteurs de solutions, interprètes, négociateurs ou
encore arbitres.
Parmi les différents profils présents dans une
entreprise, nous avons jugé intéressant de nous pencher sur les
individus biculturels. En effet, les chercheurs ont identifié les
biculturels comme étant plus sensibles aux différences
culturelles, ce qui leur confère une meilleure adaptabilité et
une plus grande flexibilité comportementale. Ils peuvent ainsi stimuler
l'efficacité et la créativité au sein de l'entreprise. Les
biculturels, dans leur rôle de boundary spanner, sont donc
invités à favoriser les échanges entre siège et
filiale. Ceux-ci permettent le développement d'un sentiment
d'égalité entre les deux entités.
Les expatriés et les impatriés de longue date
peuvent également être des biculturels. Ils auront tendance
à renforcer les liens existants entre siège et filiale et
permettent une communication plus efficace entre les deux parties. Le fait de
connaître physiquement un grand nombre des individus impliqués
dans le conflit et d'avoir des intérêts communs à la fois
avec le siège et avec la filiale en fait des médiateurs
privilégiés car ils ont généralement
développé des relations de confiance avec
37
ces individus. De plus, ayant une meilleure connaissance des
enjeux locaux, le siège sera plus à même de prendre des
décisions cohérentes avec la réalité de la filiale
(Kim & Mauborgne, 1993).
Chaque entreprise a un caractère organisationnel
propre, représenté par des cultures de relations
interpersonnelles et certaines normes comportementales informelles. Schotter et
Beamish (2011) ont relevé que les personnes qui ne correspondent pas
à ces cultures individuelles ont tendance à quitter rapidement
l'entreprise. En effet, les conflits peuvent conduire au licenciement ou au
départ volontaire d'éléments clé pour l'entreprise,
y compris les directeurs de filiales.
Le rôle des directeurs de filiales et des managers
biculturels est pourtant primordial dans la résolution des conflits
survenant entre siège et filiale. En effet, les responsables biculturels
sont censés avoir développé une complexité
cognitive importante, ce qui leur permet d'élargir leur champs
conceptuel (Friedman & Liu, 2009 ; Lakshman, 2013). Ils pourraient donc
relever plus facilement les défis auxquels ils sont confrontés,
grâce à une plus grande créativité et à une
plus grande efficacité, comparé aux responsables monoculturels.
Friedman et Liu (2009) relèvent une flexibilité
émotionnelle chez les managers biculturels, leur permettant de limiter
les prises de décision hâtives dues au stress. La communication au
sein des équipes serait également facilitée grâce
à une volonté d'inclusion des divers intérêts de
chacun (Kane & Levina, 2017 ; Lisak et al., 2016).
Les conflits pouvant survenir sont divers et peuvent avoir
différents impacts sur l'entreprise, aussi bien négatifs que
positifs. En effet, pour ne citer que quelques exemples, ces conflits peuvent
être la cause d'échecs commerciaux ou de frein aux innovations
mais peuvent également permettre aux individus et à l'entreprise
de se remettre en question et d'évoluer. On observe par ailleurs des
conséquences des conflits sur les relations entre les individus au sein
de l'entreprise. Ceux-ci auront par exemple tendance à développer
des comportements dysfonctionnels. En effet, les individus ou les
entités de l'entreprise peuvent être tentés de suivre leurs
buts individuels plutôt que les buts organisationnels (Ruekert &
Walker, 1987). Cependant, devoir gérer des conflits permettrait
d'améliorer la communication intra-organisationnelle et de mieux
équilibrer la répartition du pouvoir (Coser, 1956). Finalement,
les actions des individus lors de la gestion des conflits peuvent influencer
positivement ou négativement leurs relations avec l'ensemble de leurs
collaborateurs, y compris les responsables de la filiale.
38
Grâce aux éléments
développés dans le présent document, on constate qu'il est
possible pour les biculturels de gérer les conflits culturels de
manière à en faire une force pour l'entreprise. Il faut pour cela
que tous les acteurs soient impliqués dans une dynamique de
résolution du conflit. La transparence et la communication sont des
éléments clés dans cette résolution.
Les implications de ce document sont multiples. Tout d'abord
nous invitons les entreprises et les individus biculturels à prendre
conscience des capacités de médiateurs de ces derniers dans des
conflits interculturels. Ensuite, nous avons constaté que le rôle
du biculturel diffèrera selon la structure organisationnelle de
l'entreprise et le type de filiale engagée dans le conflit. Nous
invitons les biculturels à s'appuyer sur la confiance que leur accorde
leurs collaborateurs pour créer des ambiances favorables à la
résolution des conflits. Le profil unique des biculturels leur permet de
faciliter la coordination et les communications intra-organisationnelles. La
coopération entre siège et filiale entraine des relations
harmonieuses entre eux et permettrait donc de limiter l'émergence de
conflits au sein de l'organisation.
Suite aux observations développées dans le
présent document, nous invitons les entreprises à utiliser les
ressources des différents biculturels présents dans l'entreprise
afin de faciliter la résolution des conflits entre maison-mère et
filiale. Ainsi, il pourrait être pertinent d'avoir des individus
biculturels au sein des équipes du siège et de la filiale,
notamment à des postes décisionnels. Cette démarche
pourrait être complétée par la mise en place
d'expatriations, à court et long termes, et d'impatriations. De plus,
nous rappelons que des individus seuls ne peuvent être réellement
efficaces s'ils ne sont pas soutenus par la direction générale de
l'entreprise.
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39
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Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
2019-20
41
Annexe 1
Annexe 1. Les solutions à la barrière de
la langue (Feely & Harzing, 2003) adaptées par Harzing et
al. (2011)
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
2019-20
42
Annexe 2
Annexe 2. Les déclencheurs de résistance
et de conflits dans les filiales (Schotter & Beamish, 2011)
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
2019-20
43
Annexe 3
Annexe 3. Caractéristiques des techniques de
négociation des conflits dysfonctionnels (Schotter & Beamish,
2011)
44
Gestion des conflits entre siège et filiale :
l'intérêt des individus biculturels Mémoire de Master
2019-20
Liste des figures
Figure 1 Structure des entreprises selon Voynnet-Fourboul
et Bournois
d'après le modèle de Heenan et Perlmutter
(1979)
|
(1999),
8
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Figure 2 Les différentes tactiques de rejet
utilisées par les filiales
|
10
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Figure 3 Relation entre les concepts de Biculturalisme et
d'Intégration de l'Identité
Biculturelle (BII) 32
|