Conclusion.
En revanche, le projet éducatif ébauché
par les fictions utopiques est suivi par une réalité sociale qui
admet et reconnaît les vertus de l'humanisme. Cela finalement aboutira,
comme aujourd'hui à la prise de conscience que le niveau d'instuction
d'une population est fondamentale pour son développement
économique et sociale ainsi que pour sa bonne santé au sens
large67. Mais au XVIIème, c'est véritablement Komensky
Comenius (1592-1670) qui se fait le porte-parole de l'importance primordiale
d'une extension générale du savoir et de son accessibilité
au
66 De Pietro Gianonne cité par François
Villegardelle La Cité du Soleil Paris, Paul
1841.(numérique)
67 La santé est désormais définie de
façon positive pa l'OMS comme «un état de complet
bien_être physique, mental et social»
68 Société secrète connue pour sa Fama
fraternitatis, une publication affichée sur les murs de Paris en
1616 et qui prétendait détenir un enseignement susceptible de
conduire au salut et à la régénération de
l'humanité.
plus grand nombre. Le pédagogue tchèque est lui
aussi un métaphysicien, partisan d'une sagesse universelle
inspirée par l'ésotérisme des Rose-Croix68,tel
que présenté par Johan Valentin Andrae avec qui il est en
correspondance. L'homme étant conçu à l'image de Dieu,
c'est grâce à l'éducation qu'il pourra actualiser son
potentiel, voilà la grande idée «utopique» de Comenius,
qui semble trop métaphysique pour l'esprit des lumières et
Diderot, en praticulier, dénonce l'obscurantisme de sa pensée.
Pourtant, deux grandes idées phares notamment dans l'Opera didactica
omnia (1657) orientent la volonté d'édification du penseur
tchèque : l'homme est destiné à apprendre et son
perfectionnement est sans limite ; cette éducation de l'homme sera
suivie d'une transformation de la société etd u monde. Mais il ne
faut pas s'y tromper, comme pour le citoyen des cités utopiques,
l'enseignement ne saurait vraiment valoir pour lui-même, comme la
poursuite d'une instruction variée à souhait et sans but. Dans
l'Unique nécessaire (1668), ainsi que dans le Labyrinthe du
monde et le paradis du coeur , il apparaît qu'une instruction
protéiforme et sans fil conducteur pourrait bien davantage nous
éloigner de la sagesse divine. Comenius ici, se méfie d'un
phénomène de son temps : les livres commencent à
être imprimés et publié en grand nombre et il se demande
vers quel type de savoir cela va-t-il nous conduire? On
retrouve ici, la problématique déjà évoquée
part Platon : sans la connaissance du bien le plus élevé, la
connaissance ne se mue pas en sagesse et devient inutile voire nuisible comme
dans le cas de la sophistique. Dans l' Euthydème , les
protagonistes s'avèrent être capable de toutes sortes d'exercices,
notamment athlétiques et militaires et depuis quelque temps, ils
professent même la sagesse ; Socrate en les interrogeant, mettra à
jour la perversion de leur discours. Il est clair cependant que, afin de
parvenir à la vérité et appliquer un plan de sagesse
universelle, Comenius veut échapper au risque de confinement de
l'enseignement confidentiel de maître à élève et
élargit au contraire son projet pédagogique à tous, filles
et garçons, riches et pauvres. Il pose ainsi les fondations de
l'instruction publique et place l'école au coeur de la vie des jeunes en
respectant également une progression naturelle et continue en instituant
des cycles scolaires suivant les âges respectifs.
De la lecture de Comenius, il ressort que la sagesse ne
saurait être cultivée indépendament d'une vision
métaphysique. Cela s'applique, d'une façon
générale, à cette étude sur la philosophie de la
Renaissance, dont la partie centrale est constitué par ce désir
de l'être, cet «éros» philosophique capable de
révéler des penseurs à la richesse personnelle qui
deviendra légendaire. Campanella choisit la date de
1600 pour annoncer des changements majeurs dans le monde et c'est aussi la date
à laquelle, le bûcher de Giordano Bruno s'embrase. Les limites du
monde connu sont repoussés et c'est dans l'espace infini que l'on
cherche des lueurs de vérité. Il n'est pas anodin que les
artistes ou les scientifiques soient davantage connus ; Copernic,
Képler, Galilée, voilà des noms qui renvoient à des
découvertes capitales pour la compréhension du monde physique,
mais les Marsile Ficin et autre Giordano Bruno proposent une philosophie
complète qui ne saurait être réduite à un marchepied
pour la modernité. Certes, une rupture s'annonce ; la naissance du
paradigme «mécaniste» est rendu possible grâce aux lois
de la physique, la métaphysique elle aussi va se muer par la suite en
«mathésis universalis». L'histoire de la pensée
occidentale peut-elle être pensée selon un progrès de la
raison ou vue comme un «oubli» de l'être selon la vision
heidegerienne ? L'étude de la philosophie renaissante pourrait
constituer surtout une interrogation sur le sens de la metaphysique
elle-même, une rémémoration d'avant l»'interdit «
kantien. Certes Kant fait sa critique contre la dogmatique et non contre toute
réflexion métaphysique, à laquelle il se livre
lui-même ; mais inévitablement cela va marquer une étape
essentielle dans «le devenir fable du monde vrai». Il est vrai que
depuis Aristote, déjà, la «doublure» du réel
est critiqué, la pensée moderne se
caractérise par un rejet du «platonisme», qui néanmoins
a survécu par le truchement d'objets mathématiques subistant par
eux-mêmes et reconnus seulement par quelques spécialistes ; au
départ les fondateurs de la logique moderne tels Frege, Russell ou
Cantor. Ce dernier soutiendra que la vraie science doit être
fondée sur une métaphysique ; l'en soi du monde et ses lois
existent réellement et indépendament de notre esprit subjectif.
Mais la métaphysique, ne saurait être appréhendée
seulement dans son rapport au vrai, mais aussi et surtout dans son expression
du beau et du bien, justement la penssée de la Renaissance le montre. Le
réel et son être ne cessent de s'imposer, de surgir incessament
devant nous et il nous faut le penser. La poésie est-elle seule parvenue
à dire le mystère comme l'ont souhaité, chacun à
leur façon, Heidegger et le positivisme? Un vide profond est apparu
quant à la question du sens de la vie, laissant la place dans la
pensée contemporaine, dans les meilleur des cas, à des adeptes
orientaux du Yoga et du Vedanta, dans le pire, à de nombreuses
dérives sectaires et au grand «bazar» du nouvel-âge.
Face à l'impossibilité de donner un sens supérieur
à l'existence, la philosophie est devenue affaire de
spécialistes, oeuvrant seulement pour un public restreint ; elle s'est
professionalisée et il n'est plus vraiment possible de parler d'une
vocation à la sagesse. 202Mais il
semblerait que certains veillent, tentant de ranimer les
braises d'un ancien foyer. L'»être» n'est -il que la copule
permettant de lier nos jeux de langage ou enferme encore et toujours un sens
transcendant que l'amour de la sagesse aurait à charge de dire à
nouveau : «Et si la métaphysique est intrinséquement
compénétrée de l'être, son absolu n'est pas
seulement ontologique, mais religieux. C'est dire que la métaphysique
est d'essence spirituelle, voire religieuse, car elle exprime une
expérience intérieure fondamentale qui est celle de l'Être.
Car l'être est intimement l'homme, il est son essence, il est sa
réalité, il est sa noblesse il est son
mystère»69.
69 Paul Emmanuel Stradda Metaphysica Theoria, tome 3
Philosophie première p 119 , L'Harmattan 2012.
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