III-3. Cause des résistances aux campagnes
gratuites.
On entend par cause ici, les motivations profondes à la
fois collectives et individuelles qui construisent le rejet des campagnes de
soin et de santé gratuits. Les origines des résistances à
la promotion des campagnes gratuites au soin et la santé sont
diversifiées. On distingue entre autres :
- Les causes individuelles.
- Les causes structurelles et conjoncturelles. -
Les causes collectives. a) Les causes
individuelles.
Les campagnes de soins et de santé gratuits venant de
l'OMS en collaboration avec le MINSANTE sont synonymes des moyens de rupture ou
d'élimination des maladies évitables. Mais ces campagnes
rencontrent des obstacles d'ordres individuels motivés par les raisons
propres à chaque conscience. Cette attitude de réticence
s'explique à travers la dissonance cognitive et la rationalité
limitée puis la limitation, source de modelage comportemental.
? Dissonance cognitive et rationalité
limitée.
En terme des représentations et d'idées, la
réticence aux campagnes de soin et santé gratuits ici est avant
tout la conséquence de la dissonance cognitive d'après FESTINGNE,
dit-il est difficile pour l'être humain d'accepter une chose et son
contraire, de faire siennes deux idées qui s'opposent. Cette tension
interne propre ici à la Briqueterie, vient du fait que les agents de
santé proposent les produits et les méthodes qui entrent en
contradiction avec leurs savoirs quotidiens. C'est ainsi que les individus de
ce quartier se retrouvent dans cet état psychologique tout à fait
désagréable et cherchent à s'échapper le plus
rapidement possible. Voilà pourquoi, DICQUEMAN, dit que : toutes
personnes agissant depuis de nombreuses années selon un certain nombre
de principes et valeurs profondément ancrées, aura donc
les
115 Madame AWAWOU, entretien du 18/01/2018.
3
grandes difficultés à là modifier, et
a spontanément tendance, à modifier à dénigrer de
nouvelles idées ou méthodes de
fonctionnement116
De ce fait, les résidents de la Briqueterie ont des
difficultés à intégrer les campagnes de soins gratuits que
proposent les pouvoirs publics pour améliorer leur état de
santé. Ceci se justifie par le fait que, ces individus mènent une
vie coordonnée ou légiférée par des nombreux
principes de base dont les coutumes sont responsables.
Alors cette dissonance cognitive s'exprime avec la
rationalité limitée, qui met à nu le caractère
inconscient de ces personnes et permettent d'affirmer et conforter leurs
idées ou leur système de pensée préétablis
vis-à-vis des campagnes de soins et de santé gratuits.
? Modelage comportemental.
S'agissant de modelage comportemental nous observons ici une
population dont les mobiles explicatifs du rejet des campagnes des soins
gratuits scie aux mêmes réponses. Elle s'impose ici en prenant
naissance en dehors de toute décision consciente et se manifeste par des
actions communes aux autres individus.
En effet, les individus de cette localité ont un
comportement bâtis à partir des valeurs culturelles qui leurs sont
propres. Pour cette raison, ils agissent conformément aux principes
traditionnels, communs, et respectent soigneusement les normes culturelles. Les
mobiles explicatifs des réticences partent du même fondement. Pour
DJIBRILA BOUBA parlant cette attitude, il dit : « je ne suis pas seul.
Mes frères savent qu'ils viennent juste pour nous nuire
»117.
Nous comprenons dès lors que les refus des campagnes de
soin et de santé gratuits tirent ses explications des interactions
quotidiennes qu'entretiennent ces individus.
b) Causes structurelles et conjoncturelles.
Les résistances aux campagnes de soins et de la
santé gratuite en matière structurelles et conjoncturelles sont
en générales de deux types à la Briqueterie : les facteurs
exogènes et endogènes.
116 DICQUEMAN Marguerite, bulletin de commission royale
d'histoire. Bruxelles. 1877. P.316.
117 DJIBRILA BOUBA, entretien du 05/03/2018.
? Les facteurs exogènes
Les facteurs exogènes correspondent aux
déterminants externes qui influencent les campagnes de soins et de
santé gratuits. Ces facteurs ne sont pas liés à ces
campagnes elles-mêmes, mais à l'environnement dans lequel elles
s'insèrent.
En effet, l'idée selon laquelle «
l'ingérence politique » touche le domaine sanitaire, d'aucuns se
disent que la « mainmise » occidentale sur le plan socio-politique et
même économique peut favoriser l'intoxication de la population
dans cette localité. Cette pensée les éloigne davantage de
soins et de santé gratuits. Car pour eux, la colonisation et le
néocolonialisme se développent partout.
C'est pourquoi, la vaccination et bien d'autres programmes
vont provoquer la résistance des individus de cette localité de
la capitale.
? Les facteurs endogènes
Les facteurs endogènes correspondent aux
caractéristiques intrinsèques du produit ou de service, ils
dépendent donc de la qualité du produit et ses
caractéristiques d'une part ; et de la pertinence du marketing pour
introduire le produit de soins et de santé de la population d'autre
part.
? L'ignorance
Ici on entend par ignorance, le fait de vivre sans
réflexion ni introspection et dominé par la mentalité
illusoire. Autrement dit, l'ignorance est un décalage entre la
réalité et une perception de cette réalité,
décalage qui est conséquence d'une croyance, d'un
préjugé, d'une illusion.
En effet la population de Yaoundé-Briqueterie est
majoritairement prédominée par des chefs de familles qui n'ont
pas un savoir certain sur la maladie comme le cas de la poliomyélite.
Les campagnes de soin et de santé gratuits notamment celle de la
poliomyélite qui revient chaque après six mois et pose un
problème sérieux aux populations bénéficiaires.
Cette population non seulement n'a pas de connaissance sur la maladie, les
causes et même les conséquences. Baba SANI nous étaye sa
pensée au sujet de la connaissance de la polio en ces termes :
Mon cher ami, je ne connais pas la polio. Alors que si tu
ne veilles sur tes enfants ils viendront les piquer peut-être chaque
trois mois ; ce n'est pas
5
normal. On parle dans les rumeurs qu'ils vont repasser.
J'ai déjà comme d'habitude laissé les consignes à
ma femme118.
De ce fait l'on constate que, la non maitrise de la maladie en
tant que telle représente un grand obstacle lié à
l'individu qui manque le savoir ou encore la connaissance des maux
fréquents et ses gravités. C'est pourquoi, à lire le
philosophe Matthieu RICARD, il nous dira que :
L'ignorance est une méprise accidentelle, un oubli
soudain qui ne change rien à la nature ultime mais une chaine
d'illusions, comme le cauchemar ne change rien au fait que l'on est
confortablement allongé dans le lit mais n'en peut engendrer une grande
souffrance mentale 119
Voilà alors pourquoi dans nos sociétés
caractérisées par un niveau d'éducation en construction
même dans sa capacité de diffusion des informations, la question
de rejet des campagnes de soins et santé gratuits trouve favorablement
son compte. Par ailleurs, la tâche est ardue particulièrement ici
à la Briqueterie ou la population arrive toujours à s'opposer
assez violemment. Ainsi plus récemment un mouvement d'hostilité
contre la vaccination s'est produit lors des dernières campagnes du 04
Mars 2018. C'est ainsi le cas « d'une femme qui a avorté avec
dernière énergie l'introduction des vaccins au sein de sa famille
accompagné des menaces, des violences si les agents insistent
»120.
La connaissance des personnes interrogées sur cette
appréciation de la population locale de la Briqueterie n'est pas
toujours satisfaisante. Cette population n'arrive pas à maitriser
l'utilité de la vaccination et de la sensibilisation administrées
par les pouvoirs publics. Car la connaissance de la maladie
elleÀmême reste a priori. La question de la prévention dont
rejette cette population peut aussi se justifier dans le cadre de l'ignorance
de la nécessité de ce programme d'après Charles
NSANGOU121. Le constat le plus observable et les pratiquants de la
religion traditionnelle sont exposée au refus. Ils sont nombreux
à rejeter le programme de la vaccination de soin et de santé
gratuits.
En plus, l'analyse faite, le niveau d'instruction des parents
détermine la réaction auprès des campagnes gratuites. Le
degré de compréhension reste relativement faible. Or dans ce
quartier, nous avons constaté que le nombre d'enfants par ménages
va très grandissant. L'écart de naissance rarement atteint un an
et demi. Influencées par la religion, les naissances
118 Baba SANI, couturier, interview du 12/01/2018.
119 Matthieu RICARD, le moine et le
philosophe.1997.
120 YIPOU, agente campagnes de soin et de santé gratuits.
Entretien du 03/03/2018.
121 NSANGOU Charles, PEV, entretien du 05/05/2018.
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vont aller jusqu'à la ménopause. Et nous notons
également une prolifération des foyers traditionnels
polygamiques. Ici, le dit AHOUI dans : « Le refus de la vaccination
s'observe plus chez les non instruits que chez les instruits
».122
Alors, plus les parents sont éduqués, instruits,
mieux ils parviennent à maitriser les questions liées au
programme de soins et de santé. Ici au quartier Briqueterie, les femmes
sont moins instruites. A cause du phénomène de mariage
précoces et une maigre importance accordée à
l'école moderne, elles sont moins accessibles aux agents et provoquent
de réticences farouches. Ainsi, le respect absolu aux principes tels que
les coutumes, favorisent la position des réticences chez les femmes par
rapport aux hommes contre les campagnes de soins et de santé gratuits.
Comme le cas dont précise MAURY « on rencontre certaines femmes
Haoussa qui refusent de répondre aux questions tant que leurs maris ne
sont pas là ».
c) Causes collectives
Normes, rites et stéréotypes s'érigent en
système de valeurs. Ils déterminent pour les membres d'un groupe
(formel ou informel), ce qui est bien ou mauvais, ce qui est souhaitable ou
non, aussi bien au niveau des attitudes que des comportements, des avantages
recherchés, et des contraintes.
Les campagnes de soins et de santé gratuits doivent
donc tenir compte de ce système de valeurs qui caractérise le
groupe.
Ici, la population de la Briqueterie Nord regroupée
chaque soir autour des chefs de famille respectifs, arrive à communier
en assimilant les conseils venant de grand père en même temps chef
religieux. Celui-ci parle donne les conseils en tant que responsable de la
tradition arabo-musulmane. On relève ici l'indice de la
solidarité confondu au solidarisme. L'idée
développée ici est partagée par tous. C'est ainsi pourquoi
ils vont donner les mêmes réponses ou encore les réponses
semblables.
III-3-1. Les risques liés aux soins gratuits
Le facteur expliquant le taux de couverture vaccinale au sein
de cette communauté locale concerne le doute quant à
l'efficacité du vaccin à se prémunir de la rougeole et de
la rubéole par exemple. Même si les risques causés par les
vaccinations sont faibles, ils sont quand même vivement ressentis en
regard des bénéficiaires qui échappent à un public
averti. Dans notre société caractérisée par un
niveau d'éducation faible par rapport à d'autres
régions
122 AHOUI, l'organisation et management du
système de santé dans les pays en développement,
S.D.
du monde, les pouvoirs publics en collaboration avec le
MINSANTE développent l'art de convaincre pour l'acceptation du programme
des campagnes gratuites. Cependant la tâche demeure difficile car les
imaginations des acteurs et des considérations des certaines valeurs
vont creuser l'écart vis-à-vis des campagnes gratuites. Ceci
portant sur le fait que les seringues peuvent déjà contenir les
maladies et, l'endroit piqué gonfle souvent et cause les pus dans la
chaire. AMBASSA Jean de la Briqueterie Sud sur la question des campagnes de
soins et de santé gratuits laisse comprendre ceci :
Mon fils ! Ces blancs dont tu vois ne nous ont jamais
voulu du bien. Ils veulent nous anéantir. Même les instruments
qu'ils utilisent pour vacciner, pour vacciner nos enfants sont infectés.
Ils sont venus la fois dernière au mois de juillet. Ils m'ont
injecté mon petit-fils. J'avais utilisé une somme
considérable pour soigner l'épaule de mon petit-fils ou ils
avaient piqué. Ce n'est pas bien. Moi je peux encore accepter autres
choses de gratuit mais pas sur le domaine de la santé. La santé
c'est de l'or mon fils c'est très précieux. 123
Les complications post-vaccinales sont à l'origine de
nombreuses réticences. Certains parents ont du mal à concevoir le
fait que leurs enfants tombent malade après la vaccination.
a) La peur des vaccins
La peur, du latin 'payorem'', accusatif''
pavor ' « effroi, épouvante, crainte », c'est une
émotion qui accompagne la prise de conscience d'un danger, d'une menace.
C'est également une émotion ressentie généralement
en présence ou dans la perspective d'un danger ou d'une menace. C'est
une conséquence de l'analyse du danger et permet à un sujet de
fuir ou de le combattre
La crainte et la peur des injections représentent bien
un facteur de réticence pour les uns. Cette population très
proche de l'interprétation qui s'enracine dans la culture survalorise
incessamment non seulement la culture locale traditionnelle mais aussi leur
époque. La justification de l'industrialisation qui pollue
énormément la planète d'où l'arrivée de
certaines maladies n'est pas partagée par beaucoup. Voilà
pourquoi Oumarou SANI nous explique en disant :
Ces blancs créent les maladies chaque jour pour
après venir piquer nos enfants. Moi, j'ai pris une piqûre pour la
première fois il y a quelque mois à cause d'un accident. Sinon
jusqu'aujourd'hui, je ne peux pas parler de piqûre. En tant qu'une grande
personne je sens mal combien de fois un adolescent ?
123 AMBASSA Jean, interview du 12/01/2018.
8
Un enfant ? C'est incroyable. De grâce l'Etat doit
chercher à aider la population d'une manière autre que tout cela.
Ça ne vaut pas la peine124
Nous constatons ici que l'idée de peur et de danger se
construisent à partir des représentations, des pensées,
des imaginations que les gens font autour des campagnes gratuites. Ils
craignent non seulement les piqûres, mais aussi les médicaments
gratuits.
En ce sens, en psychologie COURBET125
définit la peur comme une réaction affective
évaluée négativement et provoquée par
l'identification d'une menace personnellement pertinente. Elle est
accompagnée, d'une part, des réactions psychologiques et d'un
niveau d'éveil, d'autres part, d'expériences et, enfin
d'expression corporelles, notamment faciale.
Ainsi, cette clarification face à la population de la
Briqueterie s'enracine autour conception et de leur perception. De ce fait,
cette communauté développe une attention particulière en
faisant ressortir deux qualités ou types de réponses au sujet des
CSSG. Une première s'orientant vers le traitement de danger et une
deuxième contrôlant le danger par un processus de
résolution de problème. Ici, plus la menace est forte mieux elle
s'écarte des offres des CGSS.
b) La désinformation
Nous relevons d'abord un critique ou un état critique
de recherche sur l'influence des campagnes de communication de santé
publique qui essayent ou qui tentent de modifier des attitudes de peur,
néfastes pour la santé de l'individu.
Le domaine de la santé représente un domaine
très sensible auquel l'information traitée dans ce secteur doit
nécessiter une attention très particulière. Ainsi que lors
des campagnes de lutte contre le choléra. Bien que le perilfécal
désigne le danger que représente les selles du point de vue de la
transmission des maladies infectieuses tel que le choléra, les agents de
campagnes de sensibilisation doivent tenir une explication de ladite maladie en
respectant d'une certaine manière l'idéologie religieuse en
rapport avec celle-ci. Nous pouvons partager le témoignage de Mr ABDOU
qui explique une menace à l'endroit de leur statut de musulman lors de
cette campagne :
Il y a quelques années les gens qui sont venus pour
les campagnes de lutte contre le choléra nous ont bien insulté.
Je vous assure, j'ai compris depuis ce jour-là que on nous
déteste en détestant même notre religion. Les
grands
124 OUMAROU SANI, entretien du 27/01/2018.
125 COURBET Gustave, sans peur et sans
reproche. Edmond Gurien de la carrière. 1891.
9
cadres qui sont des musulmans-là ne nous aident
pas. Sinon ils devraient avoir un langage normal pour nous. Pendant cette
campagne de lutte contre le choléra, ils ont organisé une petite
conférence à ce sujet. Soucieux de cette importance, je suis
parti. Mais j'étais déçu lorsque c'est un agent ou un
membre dont je ne me rappelle plus son nom, nous ont dit ouvertement que c'est
à cause de nous que prolifère. 126
Dans une colère absolue, il continu de
développer cette assertion ambigüe jusqu'aujourd'hui en disant :
Dire que nous faisons la maladie c'est dire que les
musulmans sont sales. Pour moi c'est l'atteinte à ma religion. Depuis ce
jour-là, je fais l'effort d'aller à l'hôpital quand mon
enfant est gravement malade. Moi je ne les considère même pas. Je
n'aime pas quand ils viennent chez moi, même ma femme sait
cela.127
Au terme de ce chapitre, il ressort que le regard porté
par les individus ou les résidents du quartier Briqueterie émane
des considérations diverses. La perception des campagnes de soins et de
santé gratuits est influencée par les rumeurs, la peur construite
par des individus dans leur interaction quotidienne. Cette perception de
gratuité de soins motivée par la désinformation et la
crainte des effets secondaires galvanisent la réticence. Par ailleurs le
rejet de ces campagnes demeure une énigme plus que ces résidents
vont à l'hôpital seulement quand ils sont gravement malade.
126 ABDOU, interview du 02/03/2018.
127 ABDOU, interview du 02/03/2018.
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